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EAN : 9782072893629
176 pages
Gallimard (12/03/2020)
3.13/5   75 notes
Résumé :
«C’était l’hiver après celui de la mort de ma mère, c’est-à-dire mon deuxième hiver à Montréal. J’ai rencontré Noah et j’ai eu ce secret. Tout s’est produit pour moi hors du temps réglementaire de la perte de sens. Longtemps après les premières phases critiques du deuil, que j’ai bien étudiées sur Internet. Les événements se sont déroulés dans cet ordre, de cela je suis sûre. Pour le secret, je ne suis pas certaine, il était peut-être là avant, un secret sans person... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (49) Voir plus Ajouter une critique
3,13

sur 75 notes
Dès les premières phrases, j'ai été frappée par la beauté subtile de l'écriture d'Anna Zerbib, une des ces écritures qui vous enveloppent immédiatement et vous placent dans un cocon ouaté, entre bercement gracieux et rythme légèrement décalé. Une écriture de l'intime où deux histoires de deuil et d'adultère fournissent un terreau pour dire le secret d'une vie et sa quête d'identité tout en faisant ressurgir le désir de vie.

La très belle idée est ce choix d'une narratrice qui écrit. Ces carnets donnent de l'ampleur et de la profondeur à une histoire d'amour clandestine très flottante. Comme si la réécriture du réel donnait plus d'épaisseur aux événements vécus, laissant toute la place au déploiement de l'imaginaire, du fantasme, aux élucubrations et aux petits arrangements avec le réel.

C'est un roman éminemment sensoriel, sur les sensations quasi impalpables, scrutant l'humain au plus près, plaçant le lecteur dans une bulle introspective presque sans décor malgré l'omniprésence de la neige de Montréal qui semble au diapason des secrets recouverts.

Mais au mitan du roman, mon intérêt s'est délité, malgré le support de cette très belle écriture. Je me suis un peu lassée des atermoiements de la narratrice sans parvenir à être totalement touchée par son ressenti et sa mélancolie. Sans doute ne suis-je pas la lectrice idéale pour ce type de roman très contemplatif, mon appétence littéraire se nourrit souvent beaucoup plus de romanesque voire de percussion. En fait, là où Anna Zerbib m'a le plus convaincue, sur la durée, c'est lorsqu'elle évoque le deuil de la mère, sans pathos mais avec une justesse incroyable.

Lu dans le cadre du collectif 68 Premières fois
https://www.facebook.com/68premieresfois
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Résumons ! C'est donc l'histoire d'une française Lambda (non nommée) qui quitte le sud de la France pour s'expatrier au Québec, où elle s'installe avec Samuel, son compagnon dans un appartement à Montréal. Elle perd sa maman et devra faire un deuil, puis elle rencontre Noah, l'homme de sa vie, elle devra donc cacher cette liaison à Samuel. Par la suite, tout son récit sera consacré à Noah, avec quelques flashbacks vers sa mère, et d'autres qui racontent des moments de sa vie avec Samuel, avec Noah, ce qui rend le tout quelque peu confus.

J'ai trouvé cette histoire bien ennuyeuse, avec une héroïne dont les aventures ne m'ont aucunement intéressée, une héroïne qui enfermée dans une bouteille avec son Noah ne s'intéresse pas à autre chose qu'à sa personne.

L'ensemble m'a paru bien fade, cette jeune femme semblant mettre sur le même plan la plupart des événements qui surviennent, je n'ai pas ressenti l'expression de ses émotions. Ce roman ne me laissera pas un souvenir impérissable.
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«Je reviendrai à Montréal»
Dans son premier roman Anna Zerbib s'empare d'une histoire d'adultère pour en faire une fine analyse de la stratégie du secret. Entre son ami et son amant, elle va chercher jusqu'où sa double-vie peut la mener.

Quand elle rencontre Noah à Montréal, la narratrice lui explique avant même de donner son prénom qu'elle a «déjà quelqu'un». Ce qui ne va pas l'empêcher d'entrer dans cette histoire amour comme si elle en avait été longtemps sur le bord: «Je n'ai eu qu'à me laisser glisser, le mouvement fut à peine perceptible pour moi, invisible, je pense, de l'extérieur. Très vite, j'y ai été tout entière et le bord m'a semblé loin (...) Tout ce qui m'arrivait m'arrivait comme du passé. de cette sorte de temps d'avant la naissance et d'après la mort, hors du temps des horloges: cela arrivait dans le temps du récit.»
C'était lors de son second hiver à Montréal. Elle avait quitté le sud de la France pour le Canada après la mort de sa mère. Elle voulait fuir son chagrin. Samuel, son compagnon, avait décider de la rejoindre. C'est au hasard de la ville, qu'elle avait croisé le chemin de Noah. Lui venait de de perdre son père. C'est sans doute ce qui les a rapprochés, lui l'anglophone venu de l'Alberta et elle, la Française venue de Marseille. Une banale histoire d'adultère? Non. Il ne s'agit pas de raconter «une histoire d'amour. Ni deux. Ce n'est pas un texte sur Noah, ni sur Samuel. Ce n'est pas un texte sur moi, sur nous. C'est à propos de la vie secrète. Je voudrais écrire ce mouvement: faire, en somme, l'histoire d'un passage secret.»
Le roman bascule alors dans le récit de cette double vie, où il faut se dissimuler, inventer des stratagèmes – enregistrer Nora comme contact sur son téléphone au lieu de Noah – et construire des scénarios pour cacher à l'autre la relation «coupable». Ce qu'Anna Zerbib réussit très bien dans son roman, c'est ce cheminement de la pensée entre le passé, les pensées qui la font revenir vers sa mère, ses relations et ses ambitions, sur les chemins pris, les amitiés nouÉes et la réflexion sur un Lavenir possible, sur la direction à suivre… ou pas.
Un temps de l'incertitude partagé avec son amie Claire qui, comme elle, s'est pris un amant. Un temps comme une parenthèse dans Les après-midi d'hiver qui finiront par disparaître comme la neige qui dissimule les traces avant de fondre et de laisser la place à la nouvelle saison.

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Alors qu'elle vient de perdre sa mère et de déménager dans un nouvel appartement avec son amoureux, l'héroïne rencontre Noah, un artiste sans attache, avec lequel elle débute une liaison... C'est un roman où la plume est belle, charmeuse, introspective, où les pages se tournent vite. C'est un texte intéressant où deuil, amour et création artistique sont intimement liés. C'est surtout le récit d'une passion, d'une mue, d'un hiver à Montréal. Une belle découverte.
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There's a certain Slant of light,
Winter Afternoons –
That oppresses, like the Heft
Of Cathedral Tunes –

Heavenly Hurt, it gives us –
We can find no scar,
But internal difference –
Where the Meanings, are –

None may teach it – Any –
'Tis the seal Despair –
An imperial affliction
Sent us of the Air –

When it comes, the Landscape listens –
Shadows – hold their breath –
When it goes, 'tis like the Distance
On the look of Death –
****
Certaine clarté Oblique
L'Après-Midi d'Hiver –
Oppresse comme la Houle
Des Hymnes Liturgiques –

Céleste Blessure, elle ne laisse
Aucune cicatrice
Mais une intime différence
Là où résident les Sens –

Nul ne peut l'enseigner – Non –
C'est le Sceau du Désespoir –
Une impériale affliction
Que des Airs on nous envoie –

Elle vient, le Paysage écoute –
Les Ombres – retiennent leur souffle –
Elle s'en va, on dirait la Distance
Sur la face de la Mort
Emily Dickinson (258), traduction de Claire Malroux, éd. José Corti, 1998

« L'année dernière j'ai fait quelque chose pour franchir l'hiver. Je n'ai pas eu d'idées, pas eu d'autre choix. C'est tout ce qui m'est venu pour creuser un tunnel. Je suis tombée amoureuse de Noah. [...] Je voudrais parler du tunnel, ce n'est pas ce que l'on croit. [...] Résister au désir de rentrer au pays se réfugier sous la cendre. Ne pas laisser l'absence prendre toute la place, ne pas s'effacer dans la pâleur du manque. C'est au sujet de s'engouffrer là où on pense que ça ne passera pas.
Je suis passée. »

Le 1er roman d'Anna Zerbib, Les après-midi d'hiver, est paru en mars dernier, moins d'une semaine avant le début du confinement. La narratrice lisant la poésie d'Emily Dickinson, je risque que le titre du roman soit peut-être inspiré du poème 258 qui m'est revenu à l'esprit et que j'ai décidé, bien qu'un peu longuet, de placer en exergue, avec la traduction de Claire Malroux en miroir.

Dans Les après-midi d'hiver, il est question du pouvoir de l'écriture. D'aimer et d'écrire. Les deux, indissociables, initient le mouvement oscillatoire du récit :

« Moi, c'est le temps de l'amour qui m'a donné le temps d'écrire, tout est arrivé ensemble. Sans l'histoire d'amour il n'y aurait pas eu de texte. J'aurais eu un hiver blanc. Sans ce texte, il n'y aurait pas eu d'amour. […] L'écriture ne console pas, ne rattrape rien, elle ne s'occupe que de ce qui est perdu d'avance. »

On sait que l'on entre dans un roman en noir et blanc, où la blancheur de l'hiver fait pendant à la noirceur de la cendre du deuil et de l'encre de l'écriture. Oscillatoire, encore.

Oscillatoires aussi, cet amour donné à Samuel venu habiter avec elle qui vit à Montréal depuis deux ans, et cet amour autre, l'amour tu, celui qui se donne à un autre que Samuel, à Noah, plus âgé, artiste aux fêlures si semblables aux siennes (elle a perdu sa mère ; lui, son père). L'amour des après-midi d'hiver, le clandestin, qu'elle-même ne s'explique pas

« Cet amour né au croisement de deux saisons a d'emblée porté en lui quelque chose de lointain. […] C'était l'hiver après celui de la mort de ma mère, c'est-à-dire mon deuxième hiver à Montréal. J'ai rencontré Noah et j'ai eu ce secret. Tout s'est produit pour moi hors du temps réglementaire de la perte de sens. […] Les événements se sont déroulés dans cet ordre, de cela je suis sûre. Pour le secret, je ne suis pas certaine, il était peut-être là avant, un secret sans personne dedans. »

Dès la première phrase, nous savons que nous pénétrons un monde où tout est déjà fini. La narratrice, jamais nommée, est revenue en France, la canicule du sud a chassé la neige québécoise.

« J'écris depuis l'endroit où ça n'est pas arrivé […] C'est arrivé de l'autre côté de l'Atlantique, à l'étranger, ailleurs. Je ne voudrais pas en faire toute une histoire, je voudrais raconter la trace violette laissée par ce que j'ai attendu et qui ne s'est pas produit. »

Dès le début de la lecture, l'oeil repère à l'instinct les mots primordiaux, ceux qui habitent cette histoire : amour, écriture, (entre-)deux, trace, autre... que l'on trouve parfois rassemblés dans un très court passage :

« L'amour physique est immédiatement écriture : gravure. On peut toujours écrire, après, un autre texte que celui qui s'inscrit dans la chair, mais cela ne sera jamais que le deuxième ».

Il en est d'autres : pâleur, manque, tunnel, traverser, décalage, passer, passage...

« J'adore dormir dans ce lieu de passage, dans ce divan. La pièce n'est pas close, il y a des portes, des fenêtres, des courants d'air. Ce n'est pas une vraie chambre et c'est ce que j'aime. »

Ils parsèment les pages et leurs répétitions, peut-être pour éviter d'avoir à souffrir de ne pas assez les dire, imprègnent le texte du brouillard envoûtant et presque irréel qu'affectionne tant la narratrice et qui émane de la prose d'Anna Zerbib, cette « brume [qui] aide. Grâce à elle […], il n'y a pas assez d'étés pour le nombre d'automnes. »

L'amour s'est invité à l'improviste, compagnon de traversée de ce tunnel hivernal du deuil, il est passé et a fondu comme elle ressortait, neuve, dans la lumière printanière.

« Je suis entrée dans cet amour comme si j'en avais été longtemps sur le bord. Je n'ai eu qu'à le laisser glisser, le mouvement fut à peine perceptible pour moi, invisible, je pense de l'extérieur. [...] C'était une histoire de souffle court, de souffle coupé. »

Elle est terriblement nostalgique, presque élégiaque cette écriture qui tente de saisir ce qui a été, ce qui se dérobe et qui n'est plus. Trouver, perdre, retrouver, perdre encore. Oscillatoire, toujours. Est-il dérisoire de vouloir écrire, à défaut de les combler, ces creux laissés par un amour défunt ou par la perte d'un être familier ? L'écriture pour sauver du manque malgré tout, même si elle ne console pas.

Le secret permanent, la clandestinité intermittente, « Je venais de plonger dans le versant doux de l'absence ; dans la distraction », la bascule de ces après-midi hors des bruits et de l'agitation quotidiens sont tous trois clairement assumés « "J'ai quelqu'un", mais lui ne souhaitait pas "s'attacher", alors elle l'avait revu, s'abandonnant à la clandestinité par ennui. »

Avec un secret comme expédient à la distraction pour tromper l'ennui, il lui faut tricher. Tricher avec les deux. À Samuel, elle ne dit rien de ses après-midi d'hiver auxquels il restera étranger. Sans rien en dire à Noah, elle écrit ou cuisine pour meubler les heures qu'elle passe dans l'attente de son prochain rendez-vous avec lui, dans l'attente de prendre stricto sensu « la tangente », - ça ne s'invente pas ! - « la ligne bleue [...] perpendiculaire à la orange ». Claire est la seule amie dépositaire de son secret, celle avec qui elle ne triche pas ; il faut dire que Claire a elle aussi un secret.

Cette prose, qui conjecture directement sur la page, en plus de dévoiler l'intime en disant l'entre-deux, quel qu'il soit - continents, pays, langues, amours... -

« Mon secret me donnait le pouvoir d'être dehors et dedans à la fois. Grâce à lui j'avais un soudain don d'ubiquité qui me soulageait : partout où j'étais, je n'étais pas vraiment. C'était une clé des champs. »

compose une partition qui donne son rythme de berceuse à l'histoire, feutré et lent comme la neige qui tombe au dehors blanchit le paysage, effaçant les traces en un bruit sourd et enveloppant : le temps s'étire comme pour magnifier ces moments volés, en sursis, puisque l'on sait, depuis les premières phrases, que le compte à rebours est lancé.

« On n'arrête pas ce qui file, mais on peut retarder la déchirure. »

C'est le temps d'un amour qui se défait, sans fracas ni désastre, mais avec acceptation. C'est le temps d'un amour qui se fane, paradoxalement à la saison où la sève revient :

« J'ai senti très vite que nous ne connaîtrions pas le printemps, l'heure d'été, le grand jour. J'écoutais Septembre de Barbara, "quel joli temps pour se dire au revoir", et je trouvais que la fin de l'hiver serait aussi une belle période pour les adieux, comme la fin de l'été, deux saisons couperets. Aux beaux jours, nous serions à découvert, ça deviendrait glauque […] »

De l'amour tranquille de Samuel, elle s'est échappée sans trop savoir « qui a quitté qui », mais a-t-elle vraiment aimé Noah dont elle parlait si peu et si mal la langue, faisant de lui un être proche et étranger tout à la fois, une énigme ? Et si c'était là leur séduction ultime : être l'un pour l'autre un amour qui dépayse ?

« Je me disais qu'avec lui il n'y aurait jamais le danger de la confusion, je serais, pour toujours, d'un autre pays, il était, serait toujours, d'un autre âge, d'une autre culture, d'une autre histoire. Il n'aurait pas connu ni ma mère ni sa mort, seulement la trace blanche des larmes qui en découlent. Il ne pourrait pas lire mes carnets, à cause de la graphie, mais aussi de la syntaxe. La distance entre lui et moi serait irréductible. »

Le secret encore et toujours, ce qu'elle tait à Samuel et ce qu'elle dissimule à Noah. D'ailleurs, Noah n'a-t-il été autre chose qu'un homme qui l'a aidée à porter le poids du deuil d'une mère dépressive au point de cesser de vivre dès l'automne pour renaître aux beaux jours ? un homme qui a partagé sa souffrance pour traverser l'hiver du coeur au coeur de l'hiver ? Pourquoi a-t-elle noirci des carnets ? Est-ce parce qu'écrire aide à se souvenir de cet amour-là, douloureux et beau, car il est celui du poids du silence et du secret ?

« Peut-être écrit-on pour dire qu'un jour, en plus de soi, quelqu'un, quelque chose, était là. Souvent, ça n'y est plus et on y est encore. »

Le roman d'Anna Zerbib est l'exemple même du texte dont le ton contemplatif et rêveur, la prose poétique et le cours sinueux offrent une expérience de lecture faite de moments oscillatoires, atemporels et suspendus, des moments de toute beauté et de fulgurante irréalité. C'est un cheminement sur l'insignifiance des tourments humains, qui ravira certains lecteurs et en perdra d'autres, peu friands de l'écriture de l'intime. Pour ma part, mon souffle de lectrice s'est accroché à chaque page, j'ai été emportée dès les premiers mots. Je sais avoir abusé de citations, tant il m'était impensable d'écrire ce billet sans donner à entendre la sensibilité fine et poétique de l'autrice, le bercement léger de son écriture. Les après-midi d'hiver est un roman à l'écriture flottante, aiguë, au cantabile durassien. Je me suis demandé quel film Claude Sautet en ferait, s'il était toujours en vie. En s'attachant au détail infime et si juste, aux petits riens sublimés par l'écriture, ce roman rare, raffiné, traversé du voile de la mélancolie douce, raconte le désordre des choses de la vie quand les êtres ne savent pas où ils en sont.

« J'ai quelque chose en moi qui ne vit pas. Je n'arrive pas…
Je suis en retard depuis si longtemps. »
Claude Sautet, Un coeur en hiver

Troublant.
1er roman, lu pour la session 2021 des #68premieresfois
Lien : https://www.calliope-petrich..
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Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
Peut-être que si Noah avait peint, cet hiver-là, il aurait eu moins peur. Il disait qu’il ne trouvait plus le temps, j'ai souvent eu l'impression qu’il me le reprochait. Moi, c’est le temps de l'amour qui m’a donné le temps d'écrire, tout est arrivé ensemble. Sans l’histoire d'amour il n'y aurait pas eu de texte. J'aurais eu un hiver blanc. Sans ce texte, il n'y aurait pas eu d'amour. Avant, je pensais qu'écrire me soustrayait au monde ; c'est faux, je sais maintenant que c'est ce qui m'en donne le courage. J'ignore comment on fait, sinon pour devenir autre chose qu'une pierre sur une tombe. L'écriture ne console pas, ne rattrape rien, elle ne s'occupe que de ce qui est perdu d'avance. Grâce à elle, je ne suis pas restée figée dans le temps de l'amour ou celui de la peine. Elle m’a maintenue dans le cycle du jour et de la nuit, dans celui des saisons. C’est par elle que rien ne dure. Je me lèverai encore le matin et je dormirai le soir. Les après-midi seront longues mais elles ne seront pas infinies, les jours à nouveau raccourciront. p. 165
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INCIPIT
J’écris depuis l’endroit où ça n’est pas arrivé. Je suis sur la rive d’en face, sans images de Noah, sans presque de souvenirs de moi. À mes pieds la valise est béante, chaque vêtement, chaque pull d’hiver est resté roulé sur lui-même, roulé et non plié, on m’avait expliqué : Tu gagneras de la place. L’idée m’avait plu mais peu importe, j’ai laissé bien des choses là-bas, j’ai cru bon de me défaire. Dans la chambre moite, je suis revenue les joues froissées, la nuque courbe. La chaleur du Sud est sans répit, j’écris la nuit, j’écris nue, je ne lui écris plus. Je n’ai pas réussi à rattraper l’heure française, j’ignore toujours si c’est le moment de se lever, de se coucher, j’ai du mal avec les réalités que désignent ici et maintenant. Depuis que je suis rentrée on me dit : Tu as changé, on me trouve un accent, les cheveux longs, le visage blanc. J’ai tout le temps faim et jamais aux repas, si je ris c’est en retard. Le sommeil ne me prend pas. Tant mieux. J’ai déplacé le bureau pour voir dehors, le ciel d’été est clair comme un soir de neige. J’ai ouvert les vitres et les volets en grand. Je n’étais pas faite pour les fenêtres américaines.
C’est arrivé de l’autre côté de l’Atlantique, à l’étranger, ailleurs. Je ne voudrais pas en faire toute une histoire, je voudrais raconter la trace violette laissée par ce que j’ai attendu et qui ne s’est pas produit, la trace grattée et grattée pour qu’elle demeure ; le reste m’est passé au-dessus. C’est arrivé c’était l’automne c’était octobre. Cette année je ferai autre chose, je le sais, je trouverai bien, il y a des chocolats à boire, les parcs seront beaux, les feuilles mortes jaunes et humides. Il y a des salles de cinéma où aller se blottir dans les bras rouges, des enfants à embrasser, je voudrais reprendre la Recherche là où je me suis plusieurs fois arrêtée. L’année dernière j’ai fait quelque chose pour franchir l’hiver. Je n’ai pas eu d’idées, pas eu d’autres choix. C’est tout ce qui m’est venu pour creuser un tunnel. Je suis tombée amoureuse de Noah.
Ici, personne ne l’a connu et personne ne m’a connue amoureuse de lui. Maintenant, il est impensable pour moi-même de m’imaginer errante sous ses fenêtres. Ici, je ne peux pas croire que la seule vision de son vélo me suffisait les jours où je ne pouvais avoir accès à lui. Maintenant, je ne sais plus que je me rasais les jambes plusieurs fois dans la journée pour recommencer la préparation de mon corps à son contact. Mes amies n’en reviendraient pas.
Je voudrais parler du tunnel, ce n’est pas ce que l’on croit. C’est autre chose que les températures négatives et le jour qui tombe tôt, c’est autre chose. C’est à propos de résister au désir de rentrer au pays se réfugier sous la cendre. Ne pas laisser l’absence prendre toute la place, ne pas s’effacer dans la pâleur du manque. C’est au sujet de s’engouffrer là où l’on pense que ça ne passera pas.
Je suis passée.
Si je me replace dans ma position exacte ce jour-là, j’étais allongée. C’est arrivé au-dessus de ma tête. Je me trouvais sur un banc au soleil rue Émery, en face du cinéma. J’avais une pause entre deux cours, je m’étais étendue. Je portais des collants noirs et des tennis foncées, il faisait chaud, un soleil impudique d’octobre que je craignais d’attirer avec ma tenue sombre. J’avais laissé mes jambes pendre de chaque côté du banc, je me disais que mes collants étaient assez opaques pour que l’on ne voie pas ma culotte. Je portais un pull en laine que ma grand-mère avait tricoté pour moi avec des pelotes de gris trouvées chez ma mère quand ils avaient vidé l’appartement. Dans mes oreilles passait I’m your man. Leonard Cohen était mort lui aussi un an plus tôt. J’attendais. J’étais prête pour un miracle, résolue à l’accident. Je vivais mes journées comme des nuits avec l’impression d’être somnambule. Je tendais le front je n’avais pas peur, j’espérais que ce qui se produirait me fendrait le crâne et me livrerait à l’oubli. Je l’ai connu couchée, moi qui la vraie nuit arrivée repousse toujours le moment de poser ma tête.
Il s’est présenté perpendiculaire à mon visage, au balcon, quelques mètres au-dessus de moi. Aujourd’hui, depuis la rive d’en face, depuis le recul et depuis le retour, je pourrais situer là l’origine de l’illusion, dans cet angle de vision. Je l’avais en contre-jour et je ne portais pas mes lunettes, dans mes oreilles I’m your man s’est terminé et l’album a continué à se dérouler. Noah est apparu, il faut bien le dire, dans un nuage de fumée, et coupé de moitié par la rambarde. Il a fumé deux cigarettes avant de descendre et de m’adresser la parole. J’ai hésité à m’asseoir. Il m’a semblé que j’aurais pu tout aussi bien rester là et attendre qu’il se penche sur moi. Je me suis relevée par politesse.
Parmi l’ensemble des signes engageants que j’ai rassemblés sur lui en quelques secondes, il y a l’intersection précise de son visage et du mien dans le soleil d’octobre, le regard intense et souriant, le premier baiser, délicat, l’air triste, la façon protectrice dont il m’a tenue dans ses bras, ses pommettes saillantes qui me rappelaient un amour d’enfance, il était ébloui, il était petit, il disait mon prénom, il était artiste donc sensible, il a demandé, l’air incertain, et je ne savais pas que ce serait la seule fois qu’il s’en inquiéterait, if it was the only time he was going to see me. J’ai dit non. Pour toutes ces raisons je n’ai pas compris la question de Claire, la première à qui j’ai tout raconté : Tu n’as pas eu peur ?
À lui je n’ai pas menti, avant même mon prénom avant tout, j’ai dit : J’ai quelqu’un. Il a semblé à la fois respecter cela et ne pas y accorder trop d’importance. Nous n’avons rien ajouté après le premier baiser. Le silence a commencé là. Je venais de plonger dans le versant doux de l’absence ; dans la distraction. Si j’avais tendu l’oreille, j’aurais sûrement pu entendre grésiller mes écouteurs posés sur la pierre du banc.
Ay, Ay, Ay, Ay
Take this waltz, take this waltz
Take its broken waist in your hand.
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 C’est à ses disparitions que je m’étais attachée. De lui je n’aurai rien de plus que son absence, sa lueur vacillante, ses yeux dans le vague. Je ne connaîtrai rien d’autre que ce qui m’a nourrie sous la neige, c’est-à-dire mon espoir, à chaque moment de se quitter, de le revoir. Il m’a semblé à ses mots qu’il allait mieux, qu’il était peut-être en train, lui aussi, de sortir de l’hiver. 
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Grâce à elle je sais bien, il n’y a pas assez d’étés pour le nombre d’automnes. 
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Quand ma double vie amoureuse a commencé, j'ai poursuivi sans transition la duplicité dans laquelle je vivais depuis un an. J'étais familière avec l'envers et l'endroit, ce qui doit se garder, ce qui doit se montrer, j'avais l'habitude de ne dire que certaines choses, d'avoir un sourire pour les uns et les autres, de porter seule mon coeur gros, de me taire en public, de ne pas peser, d'attendre d'être seule pour m'adresser à ma revenante. Mon deuil était déjà une double vie, je voyais déjà quelqu'un en secret.
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