La Vie de Léon Tolstoï: Une expérience de lecture

Je ne suis pas enclin spontanément à lire des biographies.
Ici, c'est un cadeau qui m'a été fait pour les Fêtes de fin d'année par quelqu'un qui connaît mon admiration pour ce monument de la littérature qu'est Guerre et Paix, et plus généralement pour toutes les oeuvres de Leon Tolstoï.

Cette biographie est passionnante. Il faut dire que la vie de l'écrivain russe s'y prête car elle est d'une incroyable richesse que je ne connaissais pas. Elle-même est un roman et pourrait faire le sujet d'un film, je ne sais si cela a été fait.

Quel personnage que celui-là! Quel homme complexe, à la fois attachant et exaspérant, charismatique mais avec un tel mauvais caractère! Quelle richesse que sa vie! Il fut à la fois, ou successivement, écrivain, pédagogue, fondateur d'un nouveau courant religieux, défenseur des pauvres et des opprimés. Et quel homme tourmenté, aussi bien par sa relation avec les femmes et le « péché de la chair » que par la voie à choisir pour sa vie. Et quelle relation tumultueuse avec son épouse, Sonia Bers. qu'il préférera à sa grande soeur Liza qui lui était promise. Sonia, femme d'une grande intelligence, douée pour l'écriture, mais qui se mettra au service de son Léon, recopiant ses manuscrits, gérant la diffusion des livres, et qui lui donnera de nombreux enfants. Mais qu'est-ce qu'ils se sont disputés ces deux-là! Jusqu'à la rupture finale que l'on connaît. Tolstoi, à quatre-vingt deux ans, quitte le domicile conjugal, part en train, veut se retirer dans un monastère, mais on refuse de l'accueillir, vu sa critique violente de l'Eglise orthodoxe (il a d'ailleurs été excommunié) et, malade, il va mourir dans une gare, en ayant refusé de revoir Sonia.

Andreï Zorine décrit la vie de Leon Tolstoï dans une narration chronologique sobre et fluide,et sans prendre parti.
Je me limite au commentaire de trois aspects de la biographie: l'écrivain, le pédagogue, le guide spirituel.

En ce qui concerne l'écrivain, Zorine cherche surtout nous donner les clés pour comprendre la genèse et le sens de beaucoup de ses oeuvres. le texte est accompagné de nombreuses citations du journal que l'auteur de Guerre et Paix a tenu toute sa vie, de ses échanges épistolaires avec ses proches et ses amis. On y découvre notamment un homme plein de paradoxes, jamais content de ce qu'il a écrit, tout en étant quand même conscient de la portée de son oeuvre!

Mais la vie de Tolstoi n'est pas que celle d'un grand écrivain. Nous découvrons qu'à plusieurs périodes de sa vie, il a abandonné la littérature pour s'intéresser à l'enseignement des paysans russes (au grand dam de son épouse), a ouvert plusieurs écoles, écrit des manuels pédagogiques qui ont eu une grande diffusion. Mais à chaque fois, le pouvoir russe, mécontent de voir ce comte Tolstoï s'occuper de l'éducation des paysans, fera fermer les écoles.

Enfin cet homme généreux et épris de vérité, ne sera pas tendre avec les fastes de l'Eglise orthodoxe, prônera une religion chrétienne « radicale », allant à l'essentiel, dépouillée de ses rites qui l'encombrent, et il fera des disciples qui enseigneront ses préceptes. Excommunié, il aura la peine de voir ses disciples persécutés, alors qu'il sera relativement préservé par le pouvoir religieux et politique.

J'ai découvert par cette belle biographie que Tolstoï est non seulement un génie de la littérature, mais un homme généreux, soucieux de l'amélioration des conditions de vie des paysans et de leur éducation. Et un homme profondément sincère, recherchant la verité, refusant le compromis. Mais aussi un homme plein de contradictions. Par exemple, plein d'humanité et de compassion, mais considérant le mariage comme la forme légale de la prostitution! Un éternel insatisfait, difficile à vivre pour ses proches.
En conclusion je crois que tout lecteur de cette vie de Tolstoï sera touché tout autant par les faiblesses que par les qualités de cet homme authentique et créateur génial.

Une expérience de lecture comportant cette fort jolie photo en couleur de l'écrivain portraituré dans son parc, assis sur son banc préféré, à l'allure qui se veut paysanne : la blouse ceinturée à la taille qu'on ne voit pas ici mais qui est certaine, les fameuses bottes qu'il confectionnait lui-même, le pantalon que je trouve plutôt soigné, chic, agréable. On a cancané pas mal là dessus, mais pour moi la tenue de gros propriétaire terrien ne trompe pas. En 4 eme de couverture, on renseigne que la photo date de 1905, mais à mon avis elle est plus ancienne : 1900, pas plus et peut-être moins, car je le vois en forme, non souffreteux comme il fut dans les années 1901-1902..

Voici ce qu'en dit Georges Bourdon un ami français homme de lettres venu le rencontrer à Iasnaia en 1904 dans son « En écoutant Tolstoi » : «  je ne sais point d'homme à qui ses livres dessinent dans les imaginations une figure plus souveraine, plus impressionnante, plus démesurée, et Tolstoi m'apparaîssait comme un bon dieu biblique, infiniment fort, infiniment bon, inflexible à l'injuste et rude au mal, et plus redoutable par l'infinité même de sa personne … » «  ses yeux gris bleu, le regard aigu de ses yeux profonds qui brillent comme des cratères, et, quand ils fixent sur vous la flamme noire de leurs pupilles, se posent sur votre âme… « 

Et notre ami Russo-anglais Andrei Zorine qu'est-ce qui nous raconte sur la vie de Léon Tolstoi en 250 pages, alors qu' il y a tant à dire sur sa vie de bout en bout ou bien des auteurs se sont cassés les dents . Même de nombreux peintres ont éprouvé des difficultés à tailler son portrait, et pour peu qu'ils n'en disposaient pas en modèle , ça se voyait tout de suite qu' ils ne l'avaient jamais vu de visu.

Le livre de Zorine tient lieu pour moi de piqûre de rappel et s'apparente plus à un essai. Il n' a nullement la prétention de nous faire découvrir un nouveau Tolstoi, s' attache en bon soldat à nous faire partager son admiration pour l' auteur par des extraits de l'a vie et l'oeuvre qui lui paraissent signifiants s'appuyant souvent d'ailleurs sur les journaux intimes de l'auteur. je me suis donc amusé à relever toutes les inexactitudes du russo-anglais. je n'ai que ça à faire pensez-vous ! néanmoins et évidemment j'ai apprécié des choses comme l'épisode Stolypine, l'épisode Taneiev. mais ce sont des choses courues et qui ne m'ont rien appris.

Extrait de la réponse de LT au Synode : « Je dois vivre seul, et mourir seul (et très bientôt) , c'est pourquoi je ne peux , alors que je m'apprête à retrouver le Dieu qui m'a créé, me mettre à croire autre chose que ce que je crois. je ne dis pas que la foi est sans aucun doute et pour tout temps la seule véritable, mais je n'en vois pas d'autre plus simple, plus claire qui réponde mieux aux exigences de mon coeur et de mon esprit ; si je voyais pareille foi , je l'adopterais aussitôt, car Dieu ne demande rien d'autre que la vérité. Il me serait aussi impossible de revenir à ce que j'ai quitté au prix de tant de souffrances qu'il le serait à l'oiseau voltigeant dans les airs d'entrer dans la coquille de l'oeuf dont il est sorti ! »

Je pense qu'on a bien compris mon expérience de lecture..

Est-il vraiment besoin de présenter Tolstoi ?

Son nom arrive, inévitablement, aux lèvres des lecteurs interrogés sur les auteurs russes, souvent associé à Dostoïevski d'ailleurs. Guerre et Paix, Anna Karénine…ses romans fleuves font partie des livres salués au niveau mondial.

Pourtant, la vie de l'auteur est souvent méconnue. Cependant, que de choses à dire !

Entre sa philosophie, sa vie conjugale, son engagement pour les paysans, il y aurait moyen d'écrire un pavé de 2000 pages.

Et c'est là que cette biographie russe de l'auteur trouve tout son sens.

Car si les briques vous font peur, cette biographie, est plutôt brève (250 pages au compteur) ce qui la rend d'une grande fluidité. D'autant plus que ce n'est pas une simple présentation chronologique de la vie de Tolstoï.

Andreï Zorine aborde, outre la vie de l'auteur, le contexte politique dans lequel il a évolué, ses oeuvres et leur signification. Pour ce faire, l'auteur se base sur les journaux de Tolstoï, sa correspondance ou encore les journaux de sa femme.

Zorine maintient cependant une distance salutaire, n'excusant pas tous les comportements de l'auteur à l'aune de l'admiration qu'il a pour lui.

Au final, ce livre permet de mieux comprendre, sans être ennuyeux un instant, cet auteur exceptionnel.

La vie de Léon Tolstoï. Une expérience de lecture nous fait accéder avec clarté au parcours d'un homme dont l'oeuvre littéraire et la vie réelle s'imbriquent très étroitement, témoignant des possibles et des contraintes d'une époque charnière pour la Russie et pour les existences individuelles : celle qui va de l'abolition du servage aux prémices de la Révolution de 1917. Andreï Zorine réussit parfaitement à saisir le grand écrivain comme étant, à la fois pleinement de son temps et comme interprétant celui-ci au prisme de la tradition et de la modernité.
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