fouché
Stefan Zweig (1881-1942)
Il demeure vrai encore aujourd'hui que
Joseph Fouché a trouvé peu d'amour auprès de ses contemporains et encore moins de justice auprès de la postérité. Toutefois d'un caractère égal et à toute épreuve, il ne se souciait guère de l'amour et de la justice et encore moins de la fidélité. Il a réussi à se glisser dans tous les partis tout au long de sa longue carrière politique, de la République au Directoire, du Consulat à l'Empire et la Monarchie. Plutôt que de les servir, il s'en est beaucoup servi. Travailleur de l'ombre acharné, très fin psychologue, pouvant être cruel, contrôlant le moindre de ses nerfs, dissimulateur maniant le reniement aisément tout comme la trahison, ce demi prêtre passa sans problème des Oratoriens à la Révolution et de la Révolution au pillage d'églises. Conventionnel modéré, il vota la mort du Roi le lendemain même du jour où il s'était prononcé pour sa grâce. Il alla même jusqu'à cambrioler l'ambassade de Saxe que le Directoire lui avait confiée à Dresde.
Sous
Bonaparte, il est ministre de la Police et agit à son aise. Sachant parfaitement mêler ses affaires à celle de l'État, il devient un grand propriétaire foncier.
fouché n'ignore pas que la politique est très rarement le domaine du bien, mais plutôt celui de la trahison et du crime orchestré. Machiavel est son guide et il n'est point besoin de morale pour agir. Il faut bien voir que fouché fut un des hommes les plus puissants de son époque et l'un des plus remarquables de tous les temps. Et pourtant et peut-être à cause de cela, il fut considéré comme un traitre né, un intrigant, un transfuge professionnel et un pitoyable immoraliste. Seul
Balzac a vu de la grandeur et de la puissance dans cette figure hors norme dont il évoque la personnalité dans « Une ténébreuse affaire ». Devenu plus tard duc d'Otrante, il continua d'agir en disciple parfait de Machiavel.
Né en 1759 à Nantes, il montre rapidement un zèle constant dans les études. Devenu très tôt professeur de mathématiques et de physique, il porte l'habit ecclésiastique et la tonsure. Malgré tout il conserve sa liberté vis à vis de l'Église comme il le fera ultérieurement pour la Révolution, le Directoire, le Consulat, l'Empire et la Royauté. Il mène une existence claustrale dénuée de tout désir et s'inflige une discipline de fer quasi spartiate en tout. Il n'a aucun goût pour le luxe et l'ostentation et cache sa vie privée. Il adhère à la technique du silence diplomatique et manie avec brio le grand art de la dissimulation. Il sait rester maître de ses émotions et possède une technique infaillible d'observation pour connaître les âmes. Il ne montre jamais un signe de colère, d'irritation, d'émotion ou de dépit. Rappelons que de la même école de l'Église sont sortis Talleyrand et Sieyès.
Il adhère à une société très singulière appelée les Rosati, où il rencontre
Lazare Carnot et
Maximilien de Robespierre. Avec ce dernier, de grands amis ils deviendront les pires ennemis. fouché sentant venir le changement et prévoyant une tempête sociale se tourne vers la politique. Il fonde un club à Nantes : « Les amis de la Constitution ». Il épouse la fille d'un riche marchand et en 1792 est élu député à la Convention. Il se joint aux plus forts, les Girondins, à côté de Condorcet. Face à lui, la Montagne, les extrémistes avec
Robespierre qui de ce moment devient son ennemi. Il a alors 33 ans et sa puissance inouïe de travail étonne d'autant plus qu'il a toujours l'air fatigué et malade. D'un sang-froid inébranlable et d'une impassibilité de pierre, il tiendra tête à
Robespierre et plus tard à Napoléon. Roi de l'intrigue et de la prudence, il sait rester dans l'ombre pour agir. Ambitieux, il déteste la gloriole.
« Une révolution, il le sait dans son expérience précoce, n'appartient jamais au premier qui la déclenche, mais toujours au dernier qui la termine, et qui la tire à lui, comme un butin. »
Joseph Fouché sait se contenter de regarder se déchirer les grands passionnés tels que Desmoulins, Danton, Marat et
Robespierre.
le 15 janvier 1793, avec les Girondins, il vote la grâce du roi. Mais le 16 au matin, sous la pression de l'émeute populaire suscitée par les extrémistes menés par
Robespierre, le chef des Girondins, Vergniaud, annonce à la tribune d'une voix éteinte ; « La mort ». Pour être de la majorité des députés qui vote la mort, fouché se renie et fait comme Vergniaud. Être du côté du vainqueur est une obsession chez lui. fouché ne marche pas selon une idée, mais avec son temps, avec cynisme, impudence et effronterie. Il change de couleur tel un caméléon et vire au rouge, extrémiste révolutionnaire le plus à gauche.
Face à la guerre des chefs entre Danton et
Robespierre, Hébert et Desmoulins, il quitte l'arène politique de la Convention. Il laisse la bataille se dérouler sans lui et ne prend pas parti. Il attend de voir qui sera vainqueur. Il est missionné en province par la Convention pour accélérer le rythme de la Révolution et maintenir l'ordre. Zélé à l'extrême, fouché se conduit en terroriste envers les modérés. Il établit un programme socialiste révolutionnaire de type bolchéviste dans sa région,
De Nantes à Lyon. Il s'agit en vérité du premier manifeste communiste de l'histoire de la République. Lutter contre la propriété privée et l'Église, « égaliser les fortunes », c'est le but de fouché.
Sénateur de sa région, il est chef des forces militaires, premier magistrat de justice, dictateur absolu en matière d'administration et a tous pouvoirs ecclésiastiques. À la Convention il est cité en exemple d'énergie et d'efficacité.
Après la révolte antirévolutionnaire de la ville de Lyon et l'exécution de Chalier, un révolutionnaire acharné, Lyon cité bourgeoise et industrielle, fouché et Collot d'Herbois sont désignés par la Convention pour rétablir l'ordre révolutionnaire. fouché est appelé alors le mitrailleur de Lyon : il pratique en série et sans état d'âme le massacre : mille six cent exécutions en quelques jours plaine des Brotteaux. Les églises sont saccagées dès le 10 novembre 1793 et une messe noire est célébrée à la mémoire de Chalier. Les plus beaux immeubles de la place Bellecour sont détruits après que leurs habitants ont été chassés.
Pendant ce temps à Paris, la Convention voit
Robespierre s'attaquer aux ultra - révolutionnaires. fouché alors lève le pied et attend d'avoir des nouvelles de Collot d'Herbois parti dans la capitale pour se rendre compte de l'ambiance. Il faut alors pour fouché se rallie aux modérés. Il dissout les comités révolutionnaires. Il fait peser toute la responsabilité des massacres sur son collègue Collot d'Herbois. Mais
Robespierre veut la tête de fouché depuis toujours. Il le convoque à Paris pour comparaitre devant un tribunal, le Comité de Salut public, accusé d'avoir dissout les comités révolutionnaires. fouché compte sur le talent de Danton, avocat, pour lui sauver la mise. Mais les événements se précipitent avant même qu'il n'arrive à Paris :
Robespierre a fait guillotiner Danton. Condorcet se suicide pour échapper au couperet.
Robespierre s'est débarrassé d'une bonne centaine de ses adversaires de droite, guillotinés ou suicidés. Les Montagnards aussi ont vu leurs rangs se clairsemer avec l'exécution de Desmoulins, Fabre d'Églantine et bien d'autres. Exit aussi Marat, Mirabeau, Vergniaud.
Seul face à
Robespierre, fouché veut justifier sa conduite à Lyon devant la Convention et défie ainsi le Comité de Salut public. Une entrevue avec un
Robespierre impitoyable et incorruptible se solde par un échec. Humilié, repoussé, menacé, fouché ne voit qu'un moyen de sauver sa tête : faire tomber celle de
Robespierre dans le panier avant la sienne. Une guerre à mort s'engage entre les deux. Deux hommes intelligents et fins politiques vont se livrer le duel le plus terrible de la Révolution. Mais l'un et l'autre vont réaliser qu'ils ont commis l'erreur de se sous-estimer depuis toujours.
Dans un premier temps,
Robespierre en maître rhéteur marque des points en instaurant le culte de l'Être Suprême au cours d'un discours largement applaudi où il fustige l'attitude impure de fouché. Pendant ce temps, fouché ourdit le fil de ses intrigues en consultant, visitant et expliquant autour de lui. Et le 18 prairial 1794, fouché est élu président du Club des Jacobins, le saint des saints, la garde prétorienne de la Révolution, contre toute attente et surprend
Robespierre. La colère de
Robespierre est sans mesure et il contre-attaque traitant publiquement fouché d'imposteur vil et méprisable aux mains rouges de crimes. fouché encaisse et est démis de ses fonctions. Cette exclusion du Club des Jacobins équivaut à une marque d'infamie et vaut la guillotine. fouché se cache. Il n'est pas le seul dans ce cas et la dictature de
Robespierre commence à susciter des haines chez nombre de députés que fouché va savoir utiliser. Comme dit Zweig, l'auteur,
la peur secrète son antidote, la haine. Ainsi fouché, Barras, Tallien, Carnot vont devenir les ennemis secrets de l'Incorruptible
Robespierre. Et fouché une fois de plus d'ourdir dans l'ombre la conjuration contre
Robespierre dont la police l'a prévenu que fouché est le chef d'une conspiration. Avec Saint –Just,
Robespierre prépare la réplique.
le sort va se mêler de précipiter les événements : durant l'été, fouché perd sa toute jeune fillette d'une maladie des poumons. Lui si froid et insensible là marque le coup et à présent son audace ne sera plus tempérée par
la peur de mourir. Il annonce alors aux conjurés que l'attaque aura lieu le 8 thermidor, le surlendemain de l'enterrement de la petite.
Une ambiance étrange règne ce 8 thermidor à la Convention.
Robespierre le premier prend la parole au cours d'un discours de trois heures pour fustiger les conspirateurs de tout bord sans citer de nom. Les députés qui n'approuvent pas restent silencieux. fouché n'est pas venu. Et malgré l'insistance des députés,
Robespierre ne citera pas fouché, son pire ennemi, et cela reste inexpliqué. Une fois de plus
Robespierre restera impénétrable et secret à jamais sur ce sujet.
Dans la nuit qui suit, fouché peaufine sa stratégie pour abattre l'ennemi commun. le 9 thermidor à la Convention,
Saint Just, homme de main de
Robespierre, est interrompu par Tallien.
Robespierre ne peut prendre la parole non plus dans le désordre de l'assemblée et il est mis hors la loi et conduit en prison, puis délivré par ses amis, avant d'être rejoint à l'Hôtel de ville par les troupes de la Convention qui le capture à nouveau grièvement blessé. le lendemain il est conduit à la guillotine. La Terreur est finie. fouché sort vainqueur.
Mais un an plus tard, il est mis en accusation toujours pour les massacres de Lyon. Il est démis de ses fonctions et disparaît de la scène publique : il se fait oublier et pendant trois ans, son nom n'est plus prononcé.
L'exil est une dure école, mais c'est une école où l'on apprend bien. Seul Barras lui conserve son amitié et lui confie une mission d'espionnage. C'est l'époque du Directoire dont Barras est le président. fouché devient l'intime des banquiers et hommes d'affaires. L'argent circule une fois le Terreur oubliée. En 1798, fouché devient négociateur pour le République française. Diplomate avisé et prudent, il réussit tout et se voit nommé par le Directoire ministre de la Police. Il fait fermer le club des Jacobins : c'est la fin de la Révolution française. Puis il couvre le pays d'espions, d'agents secrets et de mouchards. Lui qui était méprisé devient l'ami de tous car il sait tout et il rend service à chacun par son silence.
fouché considère que la république est en danger depuis quelques temps. le Directoire s'essouffle.
Bonaparte brille à Arcole et Rivoli, puis s'enlise dans le désert égyptien. On songe à lui pour sauver la république, mais il est bien loin. C'est
Joséphine de Beauharnais qui informe fouché des desseins de
Bonaparte, son mari, pour un retour anticipé vers la mère patrie. Et le 11 octobre 1799,
Bonaparte débarque à Fréjus. fouché joue le temps avant de rencontrer le général. Ils se jugent et s'apprécient. À chacun son rôle, celui du maître et celui du serviteur.
C'est le coup d'état du 18 brumaire : le Directoire s'étonne que fouché n'ait pas eu vent de la conspiration qui s'ourdissait avec l'aide de l'armée et la moitié du Sénat. En vérité, fouché savait tout mais faisait l'ignorant. Talleyrand et Sieyès dans le coup, fouché attend pour choisir son camp, mais il ne fait plus guère de doute que le Directoire a vécu et que
Bonaparte va prendre le pouvoir.
Bonaparte Premier Consul et maître de la France, fouché exploite de suite la victoire et se met au service du nouveau maître. Ce sont les années les plus mémorables de Napoléon selon l'auteur : il installe une bonne monnaie, le Code Napoléon qui soumet le Droit et les moeurs à des formes rigides et humaines, il assainit le pays dans tous les domaines administratifs et pacifie l'Europe. fouché rétablit la paix intérieure et fait disparaître les nids de terroristes et de royalistes. La confiance du Consul est totale envers son ministre de la police jusqu'à ce jour de 1800 où à Marengo, le général
Bonaparte met du temps à obtenir la victoire, temps durant lequel fouché ne se prononce pas quand des bruits de chute éventuelle du Consul circule.
Bonaparte le saura et ne l'oubliera pas. Il attendait un soutien franc qui n'est pas venu en temps utile.
L'attentat de la rue Nicaise auquel échappe
Bonaparte est l'occasion pour le Consul de sévèrement critiquer le ministre de la Police qui n'a pas su prévenir le complot orchestré selon lui par les Jacobins. fouché se mure dans le silence et laisse passer l'orage, soutenu par Joséphine dont il s'est fait une alliée. Il s'avère que ce sont les Chouans, royalistes de Vendée qui sont les comploteurs avec pour chef Cadoudal financé par les Anglais. fouché avait vu juste qui d'emblée avait disculpé les Jacobins. Il mène son enquête et regagne la considération du Premier Consul.
Bonaparte est plébiscité Premier Consul à vie, et il songe déjà à la couronne impériale et fouché le sait et n' est pas d'accord. Comme il ne peut changer de ministre de la Police, le Consul supprime le ministère de la Police et offre une place au Sénat ainsi qu'un pécule conséquent à fouché. Congédié fouché certes, mais avec les honneurs et un pont d'or !
fouché qui fut naguère l'homme du premier manifeste communiste se retrouve à la tête d'une fortune estimée la deuxième de France avec un espace foncier qui fait de lui le plus grand propriétaire du pays. Mais il vit toujours aussi sobrement. Marié avec trois enfants, il mène une vie tranquille de bon père de famille et de tendre époux dans sa propriété.
Mais fouché ne peut se passer de la politique : il aime le pouvoir et agir sur les destinées. Il continue officieusement et pour le plaisir à espionner au profit du Premier Consul.
Sur les conseils mal avisés de Talleyrand,
Bonaparte fait fusiller le duc d'Enghien. Pour fouché « c'est plus qu'un crime, c'est une faute » ! Cependant, il est mandaté pour assurer la sécurité du Consul et il prépare les conditions pour enterrer la République, lui qui fut le plus républicain des républicains, pour que
Bonaparte devienne Napoléon 1er.
Nous sommes en 1804 : fouché est nommé à nouveau ministre, cette fois de l'Empereur. Les deux hommes ne s'aiment pas même s'ils s'admirent, mais ils ont besoin l'un de l'autre. Et durant dix ans, ils vont se servir l'un de l'autre. La puissance de fouché sur Napoléon restera une énigme pour les contemporains. fouché est au courant de tout, connaît tous les secrets impériaux, et Napoléon ne pourra se passer de lui jusqu'à la dernière heure de son règne.
Deux hommes, ministres, sont proches de l'Empereur : Talleyrand l'improvisateur paresseux et génial et fouché, le calculateur lucide aux mille yeux. Les deux se détestent et se surveillent l'un l'autre. Ce qui arrange bien Napoléon qui sait profiter de la rivalité de ses deux ministres.
Jusqu'au jour en 1808 où les deux hommes tombent d'accord pour voir la guerre d'Espagne comme un acte inutile et insensé. Napoléon informé revient en toute hâte à Paris et invective violemment Talleyrand pour son rapprochement avec fouché et le destitue de ses fonctions… Et fouché reste contre vents et marées !
Napoléon parti guerroyer en Autriche en 1809, c'est fouché qui est là pour assurer la permanence de l'État. Et avec talent et réussite. En remerciement, il est fait duc d'Otrante par l'Empereur. Mais fouché ne se satisfait pas de son retour au ministère de la Police. Il a de grandes ambitions et notamment celle de faire la paix avec l'Angleterre en secret sur des bases imaginées par lui seul, l'ennemi héréditaire, ce qui va à l'encontre de la volonté de Napoléon.
fouché est renvoyé et l'opinion publique se met de son côté ainsi que