Ouf! Enfin un livre qui me justifie et crédibilise les heures que j'ai passées devant les émissions déco de M6: non, l'intérêt que nous portons à la couleur d'un carrelage ou à la forme d'un robinet n'a rien de futile. Car en vérité il n'est question ni de robinet ni de carrelage : c'est de notre âme qu'il s'agit.
Après ce préambule désinhibant, j'ai donc parcouru avec le plus grand intérêt cet essai richement illustré et plaisamment didactique (ben si, c'est possible). Après avoir rappelé que l'architecture fut longtemps synonyme de décorum,
Alain de Botton s'amuse des principes fonctionnalistes de le Corbusier en rappelant que la villa Savoye cumula les catastrophes en commençant par son fameux toit plat propice aux infiltrations. Malgré toute sa rhétorique,
Le Corbusier n'est pas plus rationnel que
Viollet-le-Duc: il contribue lui aussi à créer un état d'âme, à exprimer une certaine idée du bonheur, même s'il est clair que leurs conceptions sur ce point divergent.
Alors, qu'est-ce qui nous rend heureux ? Quel est le chez-soi idéal ? Nous voulons un décor non qui nous ressemble mais qui soit le rappel permanent de ce à quoi nous aspirons. Ainsi, quand
Le Corbusier (encore lui!) construisit à Pessac des lotissements pour des ouvriers, ce n'est pas par manque de goût que ses occupants ajoutèrent volets et nains de jardins aux volumes épurés voulus par le génial architecte : c'est juste que eux étaient suffisamment mal payés par le constructeur automobile qui les employait pour refuser, une fois rentrés chez eux, de vanter la modernité déshumanisante dans laquelle l'usine les jetait.
Nous voulons donc que notre intérieur nous offre ce qui nous manque, ou ce qui manque à la société dans laquelle nous vivons. L'architecture, comme tout art, est affaire de rééquilibrage.
Il existe néanmoins des vertus qui transcendent les besoins particuliers. L'ordre, tout d'abord, qui nous rappelle que notre liberté individuelle doit parfois s'effacer pour atteindre un but collectif plus élevé et qui nous rassure par sa régularité prévisible. L'équilibre, également, qui nous assure que chaque aspect de notre personnalité est nécessaire à son harmonie. La cohérence par laquelle nous affirmons notre appartenance à notre siècle. L'élégance qui choisit de résoudre les problèmes sans affectation. Et enfin, last but not least, la connaissance de notre humanité réfractaire aux rigidités et aux solutions tranchées.
Bref, c'est un petit livre épatant, qui a la politesse de ne jamais rien évoquer sans nous fournir l'illustration adéquate et qui nous rend plus intelligent sans trop d'effort. J'aurais parfois préféré suivre une pensée en train de se former, plutôt que cet impeccable produit fini qui laisse peu de place à la réflexion personnelle.
Mais bon, ma réflexion personnelle n'aurait pas volé si haut.
Alors je regarde devant moi et je contemple ravie la projection de mon moi idéal que figure ma bibliothèque aux étagères qui ploient (parce que me ruiner en planches chez Leroy-Merlin plutôt que d'engraisser Ikea m'aide à me sentir meilleure, j'assume). Et consciente de ce que ma maison doit refléter ce vers quoi je dois tendre, j'ouvre résolument le dernier numéro de Rustica.