Avec
Adolfo Bioy Casares, la fiction et la tragédie ne sont jamais loin de la réalité. Il lui suffit de faire bouger les curseurs pour faire basculer notre quotidien dans l'incertitude. Et, quoi de plus horrible que l'incertitude.
Le
journal de la guerre au cochon se passe en Argentine, plus précisément à Buenos-Aires.
Vidal, le narrateur, est un sexagénaire, Isidro de son prénom. Don Isidro, comme on l'appelle dans son immeuble, vit avec Isidrito son fils dans un « vaste immeuble populaire » qui abrite « les filles de l'atelier de couture installé dans la grand pièce donnant sur la rue » ; « pour aller aux cabinets, il fallait traverser deux cours. »
Sa vie de retraité est consacrée à un objectif illusoire : vouloir paraitre toujours jeune. Dentiers, teintures de cheveux, séduction de femmes plus jeunes, rejet des femmes de son âge jugées « laides ».
« Cette femme est devenue une virago répugnante. La vieillesse vous joue de ces tours ! », dit-il de Madame Dalmacia qui n'est guère plus âgée que lui.
Une préoccupation partagée par ses amis qu'il retrouve chaque après-midi, « pour son habituelle partie de truco (…) dans ce café Canning de la place Las Heras.»
Entre eux, ils s'appellent « les garçons », ce qui pour Isidrito répond à « un désir obscur et inavoué de passer pour des jeunes, (…) »
A cette époque Farell « le chef secret des Jeunes Turcs » occupe les ondes nationales et y répand sa diatribe antivieux.
Les garçons, Dante Révora, Nestor Labarthe, Isidro Vidal, Jaime Newman, Lucio Arevalo, Leandro Rey, ne portent pas Farell dans le coeur. Très vitre le sujet occupe l'essentiel de leurs discussions. Jusqu'où pourrait aller cette guerre déclarée aux vieux ?
Pour l'essentiel, les fondements de l'intrigue reposent sur ces données. La force et l'intérêt du roman réside dans l'analyse des réactions des différents personnages.
Dans un premier temps, les « vieux » - appelons-les ainsi par commodité - nient la réalité. La façon dont
Adolfo Bioy Casares décrit ce déni n'est pas sans rappeler la façon dont l'opinion des pays européens, et celle de l'Allemagne, ont réagi à la montée du fascisme et du nazisme.
Quand ils assistent au premier assassinat d'un vieux par un groupe de jeunes :
« Se sentant plein de courage pour autant que ses amis le retenaient. Vidal insista :
- Allons-y. Ils vont le tuer.
Arévalo observa flegmatiquement :
- Il est déjà mort.
- Mais pourquoi ? demanda Vidal, un peu égaré.
Jimmy lui murmura amicalement à l'oreille :
- Tais-toi donc. »
Lorsque le cercle de la violence se resserre autour « des garçons », Vidal comprend qu'il n'obtiendra lui aussi, qu'indifférence de la part de ses concitoyens, mais c'est un peu tard pour le regretter. Les Taxis, conduits par des jeunes refusent de s'arrêter pour le prendre, et obligé de marcher, il se déplace en rasant les murs, la peur au ventre, mais l'envie de continuer à vivre collé au corps.
La solidarité entre les « garçons » en prend un coup et les soupçons sur l'intégrité de certains d'entre eux fissurent leur belle amitié :
« - Il parait que Jimmy, pour qu'on le relâche, a dit à ses détenteurs qu'Arévalo fréquentait une mineure, et il a indiqué le lieu et l'heure où on pouvait les surprendre. »
Isolé, plus seul que jamais, Vidal ne rencontrera que la maigre compassion d'un barman qui, au lieu de le dénoncer, lui dira :
« - Vous ferez comme bon vous semble, mais je ne vous conseille pas de rester. le climat est malsain.
- La raison, la fatalité, (se dit Vidal) c'est d'accepter les humiliations. Quand on est vieux, s'entend. »
En utilisant le vecteur de la guerre entre les jeunes et les vieux,
Adolfo Bioy Casares, décrit non sans humour, le dilemme de l'être humain condamné à perdre son utilité sociale et à mourir, quoiqu'il fasse.
- « Et on vit dans l'insécurité. le pire, c'est de toujours craindre une surprise.
- C'est ce que je dis, reprit le chauffeur. Supposons qu'effectivement il y ait trop de vieillards inutiles. Pourquoi ne les mène-t-on pas dans un endroit décent où on les exterminerait par des moyens modernes ?
- le remède ne serait-il pas pire que le mal ? Demanda Vidal. Il y aurait des abus.
- Là, je ne dis pas le contraire, reconnut l'homme. le gouvernement a tendance à abuser. On le voit bien avec le téléphone.
Dans la guerre entre les jeunes et les vieux, Vidal est le seul personnage capable d'aborder sans préjugé les points de vue des deux parties qu'il renvoie dos à dos :
« Pour la deuxième fois de la soirée, Vidal se dit qu'on prend l'habitude de vivre sans se rendre compte de rien. Tandis qu'il était accaparé par ses petits problèmes personnels (avant otu la stricte observance de ses habitudes : son maté à heures fixes, sa sieste, sa hâte à se rendre place de Las Heras pour profiter du soleil de l'après-midi, ses parties de truco au café) il s'était opéré de grands changements dans le pays. Cette jeunesse – le garçon boutonneux et le plus petit, qui paraissait intelligent – parlait de ces changements comme quelque chose de connu et de familier. Sans doute faute d'avoir suivi cette évolution, il n'y comprenait rien aujourd'hui. « Je ne suis plus dans la course, se dit-il. Je suis devenu vieux où je vais bientôt l'être. »
Dans ce roman-parabole,
Adolfo Bioy Casares nous met en garde contre les conformismes conduisant à l'aveuglement et au rejet de l'autre. Jeune contre vieux, actifs contre chômeurs, malades contre bien portants, la parabole s'applique à de nombreuses situations.
Vidal, le sage, nous montre qu'il est un chemin pragmatique, à défaut d'être vertueux, conduisant à comprendre l'autre, à le respecter. Ainsi, il conquiert l'amour de la jeune Nelida, qui voit en lui un homme nouveau, en dépit de son âge.
A lire.
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