Les sept messagers

"Les brigands morts demeuraient silencieux, manifestement émus,mais remplis d'une commune joie.Ils attendaient que Planetta vienne."
Cette absence de frontière perçue au moment de la mort et les êtres bienveillants en attente de l'agonisant est l'un des thèmes majeurs des 20 nouvelles de Dino Buzzati Les sept messagers (titre éponyme de la première).
Si l'idée de la mort est omniprésente, elle n'est pas triste mais elle panique parfois, comme dans "On frappe à la porte" (qui est ce on après une coulée de boue catastrophique?) alors que dans L'attaque du grand convoi:le vieux brigand, rejeté par ses compères à sa sortie de prison et qui par défi a attaqué seul "le grand convoi" sera fêté par ses amis morts.
L'angoisse de mort présente dans le désert des Tartares (chef-d'oeuvre existentialiste de Dino Buzzati) et l'absurdité de la vie se retrouvent dans la nouvelle Sept étages, où le malade hospitalisé transféré d'étages se rapproche peu à peu de l'issue fatale. le rapport au temps est également mis en avant (notions de désert, d'attente,d'éternité comme pour le désert des Tartares). J'ai beaucoup aimé la nouvelle (très émouvante) où le fils mourant revient voir une dernière fois sa mère et qu'une "mystérieuse silhouette noire" patiente au dehors. C'est comme si le lien affectif permettait de prolonger un tant soit peu la vie et, alors qu'on comprend que le blessé se meurt sur son champ de bataille, d'engendrer une autre réalité fugace.
Le fantastique émerge ici de façon imprévue: un tel s'immisce grâce à des jeux enfantins dans le monde des fables: délire-t-il, transpercé par une flèche d'indien? Meurt-il d'un infarctus qui le transperce lui faisant voir une autre réalité?
Existe-t-il des univers parallèles où une goutte d'eau peut monter un escalier?Où une chanson aux "stupides paroles" peut entrainer des soldats vers des champs d'honneur?Peut-on revenir sur terre à la demande pour écouter les critiques à notre sujet? Les fantômes existent-ils? Dieu fait-il partie de la nature (j'ai beaucoup aimé la vision poétique de Dieu : "Les saints vivent dans une petite maison sur le rivage avec un balcon qui regarde l'océan,et cet océan est Dieu")?
Les sept messagers est un recueil de nouvelles qui interroge sur l'au delà et en donne en même temps une vision positive.
Dino Buzzati, romancier talentueux à présent décédé ,nouvelliste,conteur,poète,scénariste,homme de théâtre italien, à l'écriture limpide lit-il en ce moment mes propos du haut de son nuage ?

J'ai toujours beaucoup de plaisir à découvrir les créations de M. Buzzati. Dans ce recueil de 20 nouvelles, on en trouve plusieurs où les protagonistes tentent d'atteindre l'inaccessible, thème qui m'est déjà familier avec l'auteur. C'est le cas de la nouvelle titre, un cas intéressant et source de paradoxes, mais j'ai trouvé peu d'attraits à son développement, je l'ai trouvée moins percutante que d'autres. Ma préférée sur ce thème est ''L'inauguration de la route'', avec le troublant voyage des dignitaires. La clinique médicale où est admis le patient dans ''Sept étages'' fait partie de mes souvenirs les plus vivaces. J'ai bien aimé l'ambiance et l'illustration du déni face à la catastrophe dans ''Et pourtant on frappe à la porte''. Il y a deux nouvelles où l'auteur traite de l'art contemporain, et celle où un critique soudainement inspiré tente de révolutionner son travail pour l'amener au niveau de cet art... particulier m'a beaucoup amusé. Cela a dû être un casse-tête pour le traducteur ! Je trouve que Buzzati démontre un indéniable talent pour exprimer en mots des aspirations difficilement formulables, je pense ici au ''Bourgeois ensorcelé'', nouvelle étrange et étonnante. On trouve maintes autres choses dans ce recueil : des nouvelles fantastiques plus classiques comme ''Le manteau'' ou celle sur le thème de la mystérieuse Égypte antique, un amusant récit philosophique cyclique, et plus encore. Mon recueil favori demeure néanmoins ''Nouvelles inquiètes''.

La nouvelle "sept étages" (disponible aussi ici : https://esprit.presse.fr/article/buzzati-dino/sept-etages-nouvelle-de-dino-buzzati-19784 ) est un petit bijou. J'y ai vu de l'humour noir, presque comique, là où peut-être certains lecteurs y verront seulement de l'angoisse façon Maupassant. Je comprends qu'on en ait fait une pièce de théâtre. Cette nouvelle est mentionnée, utilisée et résumée, dans le roman Mathématique du crime de Guillermo Martinez.

Toutes les obsessions de Buzzati (le temps qui passe, l'absurdité de l'existence, ...) se retrouvent dans ce petit recueil de nouvelles. A lire après le désert des Tartares, cet immortel chef d'oeuvre.

Le protagoniste est un jeune prince en route vers les confins de son royaume afin d'en prendre possession. Il demeure en contact avec la capitale par l'intermédiaire de sept messagers qui font incessamment la navette .Plus le prince s'éloigne,plus le trajet de chaque messager s'allonge et plus augmente l'intervalle de temps entre l'arrivée d'un messager et le suivant. le voyage n'a pas de fin,les frontières semblent se retirer au loin,peut-être le prince s'est-il perdu dans l'inconnu.