«
La Faussaire de Buenos Aires » de
Maria Gainza, traduit par
Gersende Camenen (2022,
Christian Bourgois, 172 p.), pour continuer d'explorer les écrivains d'Amérique du Sud. Une pose lors de la lecture des 6 tomes des « Oeuvres Complètes » de Roberto Bolaño. En fait, j'avais déjà lu, mais ai relu, le dernier tome « 2666 » traduit par
Robert Amutio (2008,
Christian Bourgois, 1024 p.). Une pose aussi après la lecture presque complète des
romans de
César Aira. La littérature argentine dans ses meilleurs auteurs.
Maria Gainza est née un jour de Noël à Buenos Aires, petite fille du directeur du
journal « La Prensa ». Très vite, elle se consacre à l'art, devenant correspondante pour le « New York Times » et « ArtNews », puis « Artforum ». Son premier roman « El Nervio Optico » est publié en 2014, suivi par « Ma Vie en peinture », (2018, Galimard, 192 p.), fiction autobiographique centrée sur l'histoire de l'art, un peu trop pédant à mon goût. le présent roman, traduit de « La Luz Negra » date de 2019. En fait le titre original était « Portrait d‘une Dame Inconnue ». Curieusement la « luz negra » est bien traduit par lumière noire, mais émanant d'une lampe de poche sous forme d'un « faible rayon bleu ». En fait, il s'agit souvent de lumière dans l'ultra-violet souvent obtenue par une décharge électrique dans des vapeurs de mercure. le texte est une satire des métiers de critique d'art, avec la mise en scène de la narratrice qui va devenir la collaboratrice et confidente de Enriqueta Macedo, critique d'art sur le déclin, qui se révèle être un faussaire de génie, faisant passer des croûtes (qu'elle adore) pour des « authentiques faux ».
L'action commence par une chambre d'hôtel donnant sur le cimetière de « La Recoleta » à Buenos Aires. Cimetière, sûrement, mais promenade touristique prisée, plus populaire que le Père Lachaise, où m'on peut contempler les tombes d'
Eva Perón,
Adolfo Bioy Casares et
Mariette Lydis. Quoique pour cette dernière, à la concession 212, elle a été vendue. de nombreuses niches d'inconnus porteños. Mais un quartier ombragé, avec foule de cafés avec terrasse. Puis il y a l'entretien d'embauche, c'est tout de suite l'entente entre les deux femmes, qui se poursuit d'ailleurs un peu plus tard au hammam. Là, Enriqueta se confie. Elle est faussaire avant d'être critique d'art reconnue. « Un bon faux, ne peut-il pas procurer le même plaisir qu'un original ? À un moment donné, le faux n'est-il pas plus réel que l'authentique ? Et au final, le marché n'est-il pas le vrai scandale ? ». Connue sous le nom de « La Negra », elle a inondé le monde local de l'art contrefait. Et elle disparait.
Suit alors un roman « à la Bolaño », dit la critique. Cela tombe bien. C'est la recherche de la Negra, sans doute un pseudonyme pour María Vargas, peintre ayant travaillé dans les années 60, fort bien connue dans les cercles bohèmes de Buenos Aires du quartier de la Boca. de peau sombre, à la beauté provoquante, et la personnalité affirmée autant qu'indisciplinée, des amants célèbres. « C'était une faussaire originale ». Il y a tout à croire que la Negra et Enriqueta ne font qu'une seule et même personne. Mais il est vrai que l'on est dans un roman bolañien.
Ce qu'il y a d'étrange dans le roman, mais qui ne surprend pas dans un roman argentin, c'est le parallèle que l'on pourrait faire entre la falsification dans l'art et en politique. le tout est amené de façon très discrète, mais on ne peut s'empêcher d'en faire la relation. C'est le lien perdu entre l'art argentin politiquement engagé et les pièces manipulées par les commissaires et vendues dans le marché. Tandis que l'État, la politique, l'empire et l'économie sont dépeints comme les vrais malfaisants. de fait, l'idée n'est pas ancienne.
Jorge Luis Borges avait déjà suggéré cette relation trouble dans « Les Théologiens », avec on « histoire circulaire », qu'il fait remonter à Aurélien et aux dévastations des Huns. C'est une nouvelle de «
L'Aleph » dans laquelle un écrivain ne sait jamais si l'incident provoque le conte ou si l'histoire crée l'événement. Autre argentin qui modifie ainsi l'histoire à sa façon, avec la rencontre improbable entre
Franz Kafka et le peintre raté
Adolf Hitler dans « Respiration artificielle », traduit par Isabelle et
Antoine Berman (2000,
André Dimanche, 214 p.). sans parler de
Malcolm Lowry, mais qui était sous influence de
Conrad Aiken te de William Goddis et son pavé « Les Reconnaisances » traduit par
Jean Lambert (1955, Gallimard, 1000 p.). Quand je disais qu'il y avait du Bolaño sous
Maria Gainza.
D'ailleurs tout commence dès le début du roman, quand la narratrice se fait enregistrer sous le pseudonyme de Maria Lydis, référence évidente à
Mariette Lydis (1887-1970), la peintre viennoise qui a réalisé des portraits kitsch de l'élite de la classe argentine. « Personne ne m'a demandé mes papiers ; si quelqu'un l'avait fait, il aurait peut-être reconnu la critique d'art que j'ai su être ». Plus loin dans le roman, elle est recontactée par l'ancienne équipe d'Enriqueta pour rédiger le catalogue des archives personnelles du peintre autrichien. Ce sera le « Catalogue de vente des biens de
Mariette Lydis » en 26 lots. L'argent est « destiné à venir en aide à une douce et vieille traductrice retirée dans un hospice d'Ibiza ». Car comme le disait
Bob Dylan « lorsqu'on vit en dehors de la loi il faut être honnête ». Finalement, le roman est explicite là-dessus. « La fantaisie n'est-elle pas toujours au coeur de l'art, au même titre que la critique, l'histoire de l'art, et la conservation ? ».
Rien que ce catalogue des biens de
Mariette Lydis vaut le détour. Un chef d'oeuvre d'authentiques falsifications et d'oeuvres véritablement fausses. Tout comme le portrait de la comtesse Cagliostro, à bord du « Highland Princess ». le tableau est un peu incliné, dû à la gite du bateau car « le charbon y a été mal stocké ». Autres anecdotes, celle des musiciens Mozart et Beethoven à Baden bei Wien.en cure
Il est évident que la façon dont on aborde le roman va produire des réactions et critiques plus que variés, voire même avariées. J'ai dit qu'il y avait du Bolaño ou du Aira, pour ne pas dire du
Borges en
Maria Gainza. Il faut prendre cette remarque comme un éloge. Resituer les Argentins, maîtres du contre-pied au football, dans leur ambiance. Dans « 2666 », vendu comme étant un
roman sur la centaine de femmes violées et assassinées à Santa Teresa, il y a bien le chapitre 3 qui détaille à la façon des rapports de police ou de la morgue, ces assassinats. Il y a bien un dernier chapitre qui résume le parcours d'un soldat allemand, témoins de massacres, pendant la dernière guerre. le lecteur doit-il, ou peut-il, faire le lien. le tout via la recherche académique d'un trio de linguistes sur les traces d'un hypothétique écrivain allemand. Je peux déjà imaginer les critiques qui en ressortiront. Tout comme les lecteurs de « Les Fleurs du Mal » ont pu se plaindre de ne pas y trouver de remède contre les foulures, ni les conseils sur la culture des oeillets. Il est vrai que dans un texte de
Sylvie Germain proposé au bac de français, il faut mettre en note ce qu'est une venelle ou un objet ludique. On se pose alors des questions sur le niveau de compréhension du lecteur (plus que) moyen.
Un roman avec cinq femmes qui le composent. En tout premier, la narratrice, une femme passionnée d'énigmes. Puis une femme aux abords respectables, Enriqueta, dans une banque d'affaires, experte et escroc, en liaison avec une faussaire en peintures, la Negra, qui à son tour copie des peintures à l'huile de
Mariette Lydis, une peintre autrichienne de la haute société, et enfin Renée Cuellar, qu'on recherche mais que l'on ne voit pas. Ce n'est pas un roman historique, ni policier. Ni même un livre sur l'art. Plutôt sur l'art d'être faussaire. A partir d'une banque publique, la « Ciudad Bank », où tout est en verre, « allusion peut-être à la transparence des transactions ». Histoire aussi de donner un cadre présentable afin que les faux tableaux passent pour de vrais. Un commerce quasi honnête qui alimente l'industrie du faux, dans laquelle travaillent la Negra et ses amis. Un monde dans lequel tout le monde trouve son compte. Même la narratrice, qui assume les corvées. C'est elle qui, à la mort de son patron, commence à jouer dans une histoire moins d'enchevêtrements que de descriptions d'un monde plus ou moins reconnaissable selon l'origine du lecteur. Dans le roman, le thème du vrai dans l'art est traité, avec une option pour le faux égal à celle de l'authentique et du réel. « Ne vous attendez pas à des noms, des statistiques, des dates. le solide m'échappe, il ne reste qu'une atmosphère imprécise entre mes doigts, techniquement je suis un impressionniste de la vieille école. Aussi, toutes ces années passées dans le monde de l'art m'ont rendue méfiante. Je me méfie surtout des historiens qui, avec leurs données précises et leurs notes de bas de page glaciales, exercent une sinistre coercition sur le lecteur ». Ce n'est pas pour rien que l'hôtel de départ s'appelle « Hotel Etoile » en opposition à celui des artistes et faussaires, « Hôtel Melancólico ».
Et ce sera le chapitre de « La Bande des Faussaires Mélancoliques », suivi par celui de «
La Galerie des Femmes Illuminées ». Tous les chapitres n'ont pas le même son ni la même résonance. « Après avoir écouté une musique irrésistible, nous devons nous contenter d'un robinet qui fuit ». Après Enriqueta, elle devient critique d'art. « Ecrire sur l'art est assez facile lorsqu'on saisit le truc ».
« Il m'est venu à l'esprit qu'on n'écrit pas pour se souvenir, ou pour oublier, ou pour trouver un soulagement, ou pour se guérir d'une douleur. On écrit pour sonder ses propres profondeurs, pour comprendre ce qu'il y a à l'intérieur ».