AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

René Jouglet (Autre)Romana Altdorf (Autre)
EAN : 9782070704286
238 pages
Gallimard (14/10/1985)
4.03/5   15 notes
Résumé :


La fuite sans fin raconte les aventures d'un officier autrichien, Franz Tunda, fait prisonnier par les Russes en 1916. Il s'évade, vit en Sibérie, participe à la Révolution, aime une militante, épouse une paysanne caucasienne, retrouve Vienne, et enfin, à Paris, sa fiancée d'autrefois qui ne le reconnaît pas.

Que lire après La fuite sans finVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Comment mieux commencer la nouvelle année que par un de ses auteurs favoris et un problème, hélas, toujours au centre de l'actualité : la fuite !
Selon le rapport statistique annuel du Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR), le nombre de personnes déracinées dans le monde en 2016, a dépassé les 60 millions, atteignant le seuil historique de 65,6 millions de personnes, soit l'équivalent de l'intégralité de la population française ou italienne. 17,2 millions ont fui leur pays (parmi lesquels 5,5 millions de Syriens, 2,5 millions d'Afghans, 1,4 million de Soudanais etc.) et 40,3 millions sont réfugiés dans leur propre pays. Chiffres auxquels il convient d'ajouter les chercheurs d'asyle.
Des statistiques absolument ahurissantes !

L'écrivain autrichien Joseph Roth (1894-1939) a publié son ouvrage "La fuite sans fin" en 1927. La même année, d'ailleurs, que son "Juifs en errance", que j'ai chroniqué pour les lectrices et lecteurs de Babelio, le 10-06-2017, et auquel je me permets de renvoyer pour, en autres, ses relations avec d'autres auteurs, tel son ami et compatriote, le grand et toujours très populaire Stefan Zweig (1881-1942).

Contrairement à son autre livre de la même année, qui va plus dans le sens d'un essai, ce récit-ci retrace les pérégrinations de son héros, Franz Tunda, officier dans l'armée impériale autrichienne au cours de la Grande Guerre, après qu'il s'est évadé d'un camp de prisonniers de guerre pour tomber dans le chaos de la Russie de la révolution. Un périple qui conduit notre pauvre Franz un peu partout dans l'immense ex empire des tsars, en route pour son pays natal et Vienne.

Il est évident que ce Franz Tunda est, en fait, l'alter-ego de Joseph Roth lui-même : son long voyage en passant entre autres par Amsterdam, Bruxelles et Ostende, sans mentionner sa longue excursion, accompagnée par l'écrivaine allemande, Irmgard Keun, en Pologne et encore plus à l'est, pour mourir finalement, dans des conditions tragiques, à l'âge de seulement 45 ans, dans un hôpital à Paris.
Il ne peut y avoir de doute là-dessus, car l'auteur n'a pas pour rien donné comme sous-titre à cette oeuvre "Un rapport" et dans une lettre à Stefan Zweig, du 24 janvier 1928, il explique, qu'initialement il avait rédigé ce livre à la première personne du singulier. (cf. "Correspondance 1927-1938").

Cette oeuvre est relativement brève (à peine 159 pages dans la version que je tiens en main), mais incroyablement dense. Cette densité est essentiellement le résultat du grand art de Joseph Roth pour la formulation courte et précise. Une qualité propre à cet ecrivain-journaliste qu'une autre ecrivaine-journaliste bien de chez nous, Florence Noiville, a souligné en ces termes : "Sur le plan de l'écriture d'abord, je suis toujours frappée par la netteté et la précision du style chez Roth. Des phrases courtes qui le rendent extrêmement tranchant. Et puis, il y a une espèce de charme, de légèreté. C'est une écriture qui n'est jamais datée. Sur le fond, Roth aura été un visionnaire." Cette citation, qui vaut celles de son maitre, sort de l' extraordinaire Cahier de l'Herne consacré au géant autrichien et édité, en 2015, sous la direction de Carole Ksiazenicer-Matheron.

Je signale au passage que cette critique littéraire au Monde, est l'auteure d'une splendide biographie d'un autre "Ostjude" (Juif de l'est), l'unique Nobel en yiddish, Isaac Bashevis Singer - pour lequel elle a reçu le Prix du récit biographique en 2004 - et dans un tout autre registre, du remarquable ouvrage "J'ai fait HEC et je m'en excuse" (HEC pour l'institut des Hautes Études Commerciales de Paris).
Un exemple. À Bakou, la capitale de l'Azerbaïdjan, Franz rencontre la belle Alia, fille d'un Géorgien et d'une Koumyk du Daghestan, et Roth résume les sentiments de Franz pour Alia en une phrase : "La fille devenait le deuxième amour de Tunda."

Comme membre de l'Association Joseph Roth de Belgique et des Pays-Bas, sous la présidence de sa fondatrice, Els Snick de l'université de Gand, je pourrais continuer encore longtemps à exprimer ma profonde admiration pour les 2 maîtres autrichiens, mais ne voulant pas abuser de votre patience en ce début d'année, je préfère m'arrêter par une citation de Stefan Zweig et une de Joseph Roth, qui illustrent de façon éloquente le thème central de cette "fuite sans fin".

Dans une lettre du 1er mai 1936, 2 ans avant l'incorporation de l'Autriche par les nazis, Stefan Zweig écrivit à Joseph Roth : que la chute de l'Autriche "serait aussi notre naufrage intérieur " (cf. "Correspondance 1927-1938").

Et Joseph Roth dans son chefs-d'oeuvre "La Marche de Radetzky" a lancé sa fameuse boutade : "Dans la vie, il n'y a que les petites choses qui soient importantes".

Commenter  J’apprécie          442
Franz Tunda, lieutenant de l'armée autrichienne, est le fils d'un Major Autrichien et d'une Juive polonaise, né dans une petite ville de Galicie où son père était en garnison. En 1916 il est fait prisonnier par les Russes et envoyé dans un camp en Sibérie. Il s'échappe et se refugie dans la ferme d'un polonais qui l'avait aidé à s'enfuir. Il change d'identité et devient le jeune frère de celui-ci. A Vienne Tunda avait laissé une fiancée. A la fin de la guerre il tente de rentrer mais est entraîné dans la révolution russe. Il s'éprend d'une révolutionnaire puis, plus tard, d'une jeune caucasienne, qu'il quitte pour, enfin, retrouver l'Europe. Sa fiancée s'est mariée. Il vit à Vienne, dans une ville du Rhin, à Berlin, à Paris, sans trouver nulle part sa place. Issu de la petite bourgeoisie autrichienne, dans une Europe bouleversée par la guerre, il est devenu un homme sans patrie, confronté à l'errance et la misère. Joseph Roth, dans ce roman, nous fait traverser cette Europe, avec le sens de l'observation et le style tranchant qui le caractérisaient.
Commenter  J’apprécie          492
Ce petit livre permet de comprendre exactement ce que la littérature nous apporte : mettre en scène des personnages dont l'attitude, qu'ils soient ou non proches de ce que le lecteur pense être, qu'ils vivent ou non à la même époque, lui parlent de lui, et, en même temps l'aident à mieux comprendre le monde.
Franz Tunda ne parvient pas à trouver de sens à sa vie, sauf quand il est emporté dans la bourrasque d'une guerre ; mais même cet engagement mérite-t-il vraiment d'être défini par ce terme, alors qu'il fait le choix de la carrière d'officier de l'armée autrichienne faute d'avoir pu poursuivre ce qu'il pensait être sa vocation musicale, et que, quand, fait prisonnier par les russes, il s'évade, et change d'identité, c'est par le plus grand des hasards, et aussi par l'amour qu'il croit avoir pour une femme, qu'il se retrouve plongé dans la guerre civile du côté bolchevique, dont il épouse la cause jusqu'à en adopter, en tant qu'officier de l'armée rouge, les comportements les plus cruels?
La guerre finie, il ne trouve jamais plus même l'illusion de rencontrer un type de vie auquel il pourrait adhérer, et pourtant, le regard d'une affreuse lucidité qu'il porte sur ce qui l'entoure est lumineux, et pour nous, d'une actualité brûlante.
Dans des conversations avec son frère, devenu le chef d'orchestre à succès qu'il aurait, peut-être, (mais en est-il bien certain?) voulu pouvoir être lui-même, il conteste la notion même de culture européenne qui fonde toute la vision du monde de son interlocuteur, culture qui, selon lui, a cessé d'exister tellement elle s'est batardisée, notamment par l'américanisation.
Dans ces sociétés de gens qui se reçoivent, il note à quel point chacun joue un rôle auquel il est contraint par des lois mystérieuses. Lui-même ne s'est il pas senti obligé de dire "je vous aime" à une dame de la haute société à qui il servait de guide dans le Caucase, et avec qui il passait une nuit d'un amour pourtant évidemment passager ?
Et le caractère totalement artificielle d'une jeunesse qui se fait imposer des comportements qu'elle croit spontanés, n'est elle pas aussi une belle illustration de la parfaite continuité dans le temps entre l'époque de Roth et la nôtre ?
M Tunda, qui entretient un certain temps l'illusion que la rencontre avec celle qui a été, avant la guerre, sa fiancée, et qui l'a longtemps attendu, pourrait redonner du sens à son existence, finit par perdre ce dernier espoir. Mais y croyait-il, le souhaitait-il vraiment ? Ne préfère-t-il pas conserver sa lucidité, dans un monde où trouver un chemin suppose de se laisser aller à des illusions ?
Ce court roman, qui n'a pas l'ampleur de "la marche de Radetzky", l'oeuvre la plus célèbre de l'auteur, mérite tout de même d'être mieux connu.
Commenter  J’apprécie          130

Citations et extraits (1) Ajouter une citation
"L'idée que le petit bourgeois se fait de la pauvreté, c'est que le pauvre a désiré la pauvreté dans l'intention de faire du tort à son prochain à l'aide de cette pauvreté.
Mais c'est précisément du petit bourgeois que dépend celui qui n'a rien de rien. Tout là-haut, derrière les nuages vit un Dieu, dont la bonté universelle est devenue proverbiale. Un tout petit peu plus bas habitent les hommes qui ont de la chance et qui sont cuirassés contre toute contagion de la pauvreté, de telle manière que chez eux se développent les vertus merveilleuses : compréhension de la misère, charité, bonté et même absence de préjugés. Mais entre ces nobles hommes et ces autres qui en tout premier lieu ont besoin de cette générosité, on voit, coincées et pareilles à des isolateurs, les classes moyennes : elles exercent le commerce du pain, sont préposées à la nourriture et au logement. Toute la question sociale serait résolue si les riches qui peuvent donner un pain étaient en même temps les boulangers du monde. Il y aurait bien moins d'injustice si les juristes de la Cour Suprême siégeaient dans les petits tribunaux et si les chefs de la police voulaient arrêter eux-mêmes les petits voleurs.
Mais il n'en va pas ainsi."
Commenter  J’apprécie          80

Videos de Joseph Roth (9) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Joseph Roth
Après avoir parcouru l'Ukraine pour y exhumer les grandes mémoires enfouies de l'autre Europe, Marc Sagnol y est retourné au milieu des bombardements pour en contempler les ruines.
Les images et les mots, comme une invitation au voyage, nous plongent dans des mondes évanouis, sur les traces des grands penseurs d'autrefois. Avec lui, on arpente la terre noire de l'Est à travers villes et villages, aux côtés De Balzac, de Joseph Roth en Galicie et Bucovine, de Leopold von Sacher-Masoch à Lemberg-Lviv, de Paul Celan à Czernowitz…
C'est en connaisseur de la philosophie et de la littérature que Marc Sagnol traverse les « terres de sang » abîmées par tous les chaos. Terres qui furent celles de la plus haute civilisation et des plus grands malheurs. Quelle fut la culture juive, jadis florissante en ces lieux, et qu'en a-t-il été de sa disparition dans la Shoah ? Qu'est-il advenu de ces mondes révolus ? Comment penser la tragédie d'hier au regard du drame d'aujourd'hui ? Une plongée dans les siècles pour dire que notre destin se joue d'abord là-bas. Actuelle parce que inactuelle, une grande fresque littéraire. Un récit d'exception.
Germaniste, philosophe, Marc Sagnol est l'auteur de nombreux ouvrages dont Tragique et tristesse. Walter Benjamin, archéologue de la modernité, primé par l'Académie française, ainsi que d'un film sur Paul Celan, Les eaux du Boug.
+ Lire la suite
autres livres classés : littérature autrichienneVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus


Lecteurs (55) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3202 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *}