« L'une des personnes qui attendaient dans la salle des pas perdus était
Austerlitz, à l'époque en 1967, encore presque jeune d'allure avec ses cheveux blonds étrangement frisés, seulement comparables à ceux du héros allemand Siegfried dans les Nibelungen de
Fritz-Lang ».
Une beauté et une souffrance, voilà ce qui me vient à l'esprit pour qualifier ce récit. Une beauté tant l'écriture exigeante de Sebald est hypnotique, fascinante, des phrases longues qui défilent sous les yeux, des détails qui suintent la mélancolie, poésie qui envoûte, une lenteur qui nous oblige à nous poser, à ne rien négliger mais une lenteur qui absorbe jusqu'à notre moi intime, jusqu'à notre inconscient qui finit par s'identifier à Jacques
Austerlitz pour devenir une douleur. Eprouvantes aussi, ces lignes magnétiques, ces pages qui se tournent sans chapitre, tout est écrit comme dans l'urgence, pour ne pas oublier, on suffoque entre la fascination de l'écriture et le malaise qui s'en dégage, il faut faire une pause malgré l'envie de continuer.
De cette rencontre entre notre narrateur – Sebald ? – avec Jacques
Austerlitz, dans la Gare d'Anvers, va naître une intimité qui de rencontre en rencontre, de confidence en confidence, durera trente ans.
Est-ce de chez
Austerlitz qu'exhale, enfoui au plus profond de lui-même, une douleur, comme un sentiment obscur d'incomplétude, une personnalité tronquée, ou bien est ce de la plume de l'auteur, de ses mots que s'exprime cette souffrance. Lui, dont le père fut sous-officier dans la Wehrmacht, lui dont les prénoms Winfried Georg Maximilian ne sont plus que des initiales, lui qui se disait un « produit du fascisme ».
En chroniqueur de la mémoire, l'auteur s'efface devant cet ami, parti de Prague en 1939 à destination d'Angleterre, à l'âge de quatre ans. Adopté par un pasteur sectaire, névrosé, dont il ne comprend pas la langue, élevé dans le silence, sous le regard d'un Dieu qui châtie, sans plus aucune marque d'affection tant de l'épouse que du pasteur, comment ne pas ressentir comme une béance affective, un vide profond traversé par des angoisses, une instabilité émotionnelle.
Austerlitz ne découvrira sa véritable identité qu'à l'âge de quinze ans.
Véritable quête identitaire,
Austerlitz se doit de rassembler les morceaux du puzzle pour tenter, peut-être, d'apaiser cette sensation terrible du manque, ne plus vivre la superposition du passé et du présent, cette construction qui rend votre relation au monde totalement flou. Un rien : une couleur, un lieu, un mot en relation avec le traumatisme ravive le choc, la blessure et vous envoie valser avec la détresse.
Austerlitz devra parcourir un long chemin sur des lieux semés d'ombre qui se réactiveront au fur et à mesure de ses découvertes. Aidé par sa nourrice qu'il retrouvera, ses pas l'emporteront vers des lieux emblématiques comme Terezin et Gurs à la recherche de ses parents. L'émotion surprend à toutes les pages.
Austerlitz en perpétuelle recherche, perpétuelle incomplétude, se questionne et questionne le monde autour de lui et nous entraîne à sa suite, épousant ses vagues émotionnelles.
Que de silence, que de douleurs, éprouvant ce sentiment de ne jamais être à la bonne place, de ne pas avoir sa propre existence, d'être à côté de la réalité « qui je suis, d'où je viens, où vais-je ».
Faisant preuve d'une grande érudition,
Austerlitz est chargé de cours dans un institut d'histoire de l'art londonien, ses recherches l'ont mené à l'élaboration d'une thèse monumentale sur l'architecture, tout particulièrement sur les réseaux, tels les chemins de fer. Il ne pouvait expliquer cette fascination qui lui permettait, surtout, ne pas parler de lui, de se réfugier derrière son intellect pour ne pas affronter cette béance, un abri en quelque sorte bien dissimulé derrière la reconnaissance intellectuelle.
La rencontre entre le narrateur et
Austerlitz se fait dans la gare d'Anvers, salle des pas perdus.
Austerlitz observe la gare, la coupole, et couche sur le papier toutes ses réflexions, ses observations. C'est le prétexte que choisi le narrateur pour aborder Jacques
Austerlitz. Ces premiers entretiens se limiteront très longtemps à l'histoire de l'architecture dont les connaissances d'
Austerlitz forcent l'admiration jusqu'au jour où, la confiance aidant, une once d'estime naissante,
Austerlitz s'abandonnera aux confidences.
Quatrième de couverture : « Par ce portrait saisissant d'un émigrant déraciné, fragile, érudit et digne, l'auteur élève une sorte d'anti-monument pour tous ceux qui, au cours de l'Histoire, se retrouvent pourchassés, déplacés, coupés de leurs racines – sans jamais en comprendre la raison ni le sens ».
C'est un livre sublime, sensible, à l'évocation puissante que je relirai, c'est évident ! Merci à Eduardo et à Dan pour ce conseil de lecture mais j'ai beaucoup moins souffert avec « Séfarade ».