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Jean-Paul Manganaro (Traducteur)Julio Pomar (Illustrateur)
EAN : 9782020227506
89 pages
Seuil (26/10/1994)
3.79/5   14 notes
Résumé :
Novembre 1935. Pessoa est sur son lit de mort, à l'hôpital Saint-Louis-des-Français à Lisbonne. Trois jours d'agonie, durant lesquels, comme dans un délire, le grand poète portugais reçoit ses hétéronymes.
Les hétéronymes étaient d'"autres que lui", des voix qui parlaient en lui et qui eurent une vie autonome et une biographie. Pessoa leur parle, leur dicte ses dernières volontés, dialogue avec les fantômes qui l'ont accompagné pendant toute sa vie.
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Tabucchi a écrit ce livre romancé, sur Pessoa qui est sur son lit de mort où il reçoit ses hétéronymes, ces doubles dont il a inventé l'existence. Tabucchi y parle aussi de délire. le livre romancé a le mérite de faire vivre ces hétéronymes, mais j'aimerais commenter ce prétendu délire, et dire un mot de la vraie mort de ce poète surdoué.

Il est mort sur fond de cirrhose du foie, d'alcool à petite dose car aucun contemporain ne relate d'ébriété. le soir, en rentrant chez lui, il achetait sa bouteille. Il fut soigné par un cousin, le Dr Jaime Neves. Ses derniers mots, en anglais, furent «I know not what tomorrow will bring». Il avait été admis à l'hôpital l'avant-veille, après avoir fait patienter le taxi et ses amis qui voulaient l'accompagner, appelant d'abord Manacés, son barbier depuis 15 ans, et lisant en attendant des poèmes de son ami décédé Sá Carneiro. Parmi ceux qui l'accompagnèrent il y avait l'un des patrons de la firme d'import-export pour qui il travaillait, Carlos Moitinho de Almeida dont le fils, Luis Pedro, avocat et homme politique a écrit des poèmes préfacés par Pessoa et plus tard quelques études sur lui (1954, 1959). le fils de ce Luis Pedro a été juge à la Cour de justice de l'Union Européenne à Luxembourg, où une salle d'audience porte le nom de Pessoa.

Tabucchi parle de «délire», et certains biographes n'ont pas manqué d'abonder dans ce sens en énonçant toutes les maladies mentales imaginables. Pour Mário Saraiva par exemple, Pessoa serait à la fois schizophrène, paranoïaque et psychopathe.

Il faut d'abord rappeler que Pessoa, 1er sur 899 au concours d'entrée à l'université, brillant intellectuel féru de lectures en plusieurs langues, sur Freud, des philosophes et des essayistes, est avant tout un surdoué. Les symptômes en sont: exacerbation des sens et des émotions, décalage social, hypersensibilité, épuisement psychique et physique, dépression, autodépréciation,... (cfr Cécile Bost, Différence et souffrance de l'adulte surdoué, et excellents commentaires sur Babélio). Tout cela se confirme dans les écrits de Pessoa.

Il y a quelques années, à Zurich, on m'a demandé de présenter dans un congrès de psychanalyse, un exposé sur Pessoa. Dans mes recherches préparatoires, confirmées par un psychanalyste portugais et directeur de revue, j'ai constaté bizarrement qu'aucun psychiatre ou psychanalyste n'avait jamais rien publié sur la question.

On ne relève en tous cas chez Pessoa, personnalité certes atypique, aucun vrai délire. Il a toujours été un employé modèle. Ses lettres sont pleines d'humour, dépourvues d'agressivité. Son comportement est normal, et il a plein d'amis avec qui il va prendre un verre «Chez Abel» ou au «Martinho da Alcada». Il ne se prend jamais pour l'un de ses hétéronymes, mais en joue lucidement, écrivant «Je brise l'âme en morceaux et en personnes diverses... J'ai construit en moi certains personnages distincts entre eux, et de moi, personnages à qui j'ai attribué divers poèmes». S'il s'agit de créer un autre monde, c'est dans la fiction, non dans le délire, mais la fiction n'est pas sans racines.

Comme d'autres écrivent un journal intime, il invente des amis pour sortir de son isolement. Surdoué, il n'a qu'eux à qui parler. Il a vécu le choc affectif de la mort de son père à 5 ans, et de son frère à 7 ans, un père dominé par la mère qui va se remarier sans amour (par procuration, le marié n'étant pas présent) avec le consul du Portugal à Durban, en Afrique du Sud.

On trouve aussi chez Pessoa un désintérêt de la sexualité (peut-être une forme d'homosexualité refoulée mais on parle aussi d'a-sexualité), un sentiment de solitude, d'étrangeté, de vide, d'incapacité à aimer, d'aboulie, de tristesse, mais pas de dépersonnalisation au sens clinique du terme, bien qu'il ait toujours eu peur de la folie depuis qu'à la fin de son adolescence, l'une de ses tantes, brillante intellectuelle elle aussi, a été un moment internée pour dépression. Il écrit «La nuit et le chaos font partie de moi » (manuscrit 92H52).

Mais le 21 novembre 1914, il écrit «Aujourd'hui, je suis entré en pleine possession de mon Génie et j'ai la divine conscience de ma mission. Un éclair m'a aujourd'hui ébloui, Je suis né».

Dans une lettre du 19 janvier 1915, il écrit «Ma crise est de ces grandes crises psychiques, qui sont toujours des crises d'incompatibilité, sinon avec les autres, assurément avec moi-même... ce n'est pas, disons-le tout de suite, une incompatibilité violente... C'est moi qui ressens cette incompatibilité, elle est en moi, et je porte tout le poids de mon désaccord avec ceux qui m'entourent... L'autodiscipline que j'ai acquise peu à peu est parvenue à unifier en moi les éléments divergents de mon caractère qui pouvaient être conciliés. J'ai encore beaucoup à faire dans mon esprit. Je suis encore loin de l'unification à laquelle j'aspire».

Le 6 décembre 1915, il écrit à Sá Carneiro «Je suis de nouveau en proie à toutes les crises imaginables, mais cette fois, l'agression vient de partout. Par une coïncidence tragique, j'ai été assailli par des crises de toutes sortes. Psychiquement, je suis cerné».

L'année suivante, en mars 1916, dans une lettre qui mériterait d'être citée en entier, il lui écrit «Je suis aujourd'hui au fond d'une dépression sans fond... La vie me fait mal à petit coups, à petits traits, par intervalles... Ce n'est pas vraiment la folie».

Le suicide de Sá Carneiro l'affecte, mais deux mois plus tard, il écrit à sa tante Anica «Je suis mieux que je n'ai jamais été» et en septembre, il écrit à son ami Córtes-Rodrigues «J'ai passé ces quelques mois par... une longue histoire de dépression».

Il dépose un brevet d'invention (1926) puis crée une revue (1930) et écrit «Je me sens maintenant un peu plus dynamique» (1930) et «Je suis maintenant en possession des lois fondamentales de l'art littéraire. Shakespeare ne peut plus m'enseigner la subtilité ni Milton la perfection. Mon esprit a atteint une souplesse et une portée qui me permettent d'éprouver n'importe quelle émotion si je le désire, et d'entrer à volonté dans n'importe quel état d'esprit» (non daté, en anglais). Bien d'autres textes sont similaires, on ne peut tout citer. En 1933, il retombe dans la dépression, mais sans que cela affecte son travail.

Il meurt au moment où se renforce la censure et rédige peu auparavant, ce commentaire impertinent et plein d'humour «Depuis le discours fait par Salazar... nous avons appris que la règle restrictive de la censure «Il ne faut pas dire ceci ou cela» était remplacée par la règle soviétique du pouvoir «Il faut dire ceci ou cela»... Je suppose que cela signifie qu'il ne pourra y avoir au Portugal de manifestation littéraire permise qui ne renferme quelque référence à l'équilibre budgétaire, à l'organisation corporative... et à d'autres rouages du même genre». Il passe finement à l'acte dans «Le poème d'amour en l'État nouveau» où il y a des vers du genre «Mon amour, mon budget».

Ce dont Pessoa souffre, c'est une alternance de ce qu'il nomme «neurasthénie» et d'épisodes euphoriques, comme en1914 quand il a découvert tous ses hétéronymes et composé un grand nombre de poèmes le même jour. Dans une série de documents qui vont de 1907 à 1935, il nomme de manière récurrente ce dont il souffre «hystéro-neurasthénie», terme de son invention qui diagnostique parfaitement ces épisodes bipolaires. Dès 1907 (il a 19 ans), il fait écrire par l'un de ses hétéronymes, spécialiste des maladies mentales, dans un «Rapport médical de psychiatrie» (sic) «C'est sans doute un neurasthénique vésanique. La neurasthénie... (a) bouleversé une organisation mentale caractéristiquement hystériforme». Voir et être vu, mais aussi se dissimuler derrière les hétéronymes sont parmi ses thèmes majeurs avec le désir inflatif de «tout être» pour échapper au «n'être rien». Pessoa était aussi phobique des chats, de l'orage, des lieux inconnus et du téléphone. Ses rites, son côté perfectionniste et ses mécanismes de défense font penser à une composante obsessionnelle. Il y a aussi une peur hypocondriaque de la maladie, mentale comme organique. Une telle nature multiple est un ensemble difficile à unifier.

Si Pessoa est mort d'une crise hépatique liée à la consommation d'alcool, on peut au moins émettre comme hypothèse que l'alcool, compensation orale comme le tabac, est aussi ce qui lui a permis de vivre,... avec la littérature, tout comme pour A. Arthaud et James Joyce. Pessoa fait dire à B. Soares «Cette sensation irrémédiable, je la guéris en écrivant».
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Un petit livre où Pessoa rencontre tous ses hétéronymes les trois derniers jours de sa vie!
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