l'Incursion 1852,
Léon Tolstoï
Publié en mars 1853 dans le Contemporain pour la première fois. sera publié en livre seulement en 1911, à titre posthume, mais je dis ça sous réserve, car ça m'étonne un peu ! C'est loin d'être un texte négligeable, surtout en tant que premier texte tiré de son expérience militaire au Caucase, répertorié s'il vous plaît entre
Enfance, La Matinée d'un seigneur et
les Cosaques qui ne sera achevé qu'en 1862. du russe vers le français, en tout cas, une traduction a bien été faite par
J.W. Bienstock en 1902, sous la direction de Paul Birukov, secrétaire particulier de l'auteur, c'est le livre que j'ai sous les yeux et que je me propose d'ouvrir ici.
Je tiens à le préciser car je me méfie des premiers textes qui paraissent après coup dont la profession ou les biographes, historiens s'emparent un peu vite, quand ce n'est pas ce qui entoure les "inédits"... Si c'est par exemple comme celui de
Blaise Cendrars, eh ben ici non clairement !
De tous ces textes de jeunesse, si on ajoute encore
Les Récits de Sébastopol qui vont suivre, avec au coeur de cette moisson peut-être
Enfance, le chef d'oeuvre, non seulement on en mesure toute la maturité précoce et un écrivain hors pair en devenir, mais on n'est pas surpris que le maître de la littérature russe de cette époque,
Tourgueniev fut subjugué par ces textes du jeune Tolstoî qu'il va prendre sous son aile et qui va devenir le plus grand écrivain de la terre russe, selon les propres termes de l'auteur des
Récits d'un chasseur. On ne dira pas bien sûr que 10 ans plus tard l'apparition de Guerre et Paix ne fut qu'une formalité à nos yeux tant le défi était immense, mais en tout cas pas étonnés.
L'Incursion se présente sous la forme d'un récit quelque peu arrangé non pas travestissant la vérité mais comme un
rhum arrangé de la Réunion ou des Antilles, du vrai de vrai, du véritable, comme il en a l'habitude ; c'est comme un peintre qui ne va pas peindre un poteau éléctrique ou une bouche à égout dans son paysage .. Une commodité de langage en quelque sorte. Ce n'est donc pas une incongruité si on le classe en nouvelle. Là Tolstoï est militaire, mais c'est un artiste dans le fond !..
L'année plus tôt en 1851, il a quoi 22 ans, c'est loin d'être dit partout, son frère aîné
Nicolas officier dans l'artillerie au Caucase récupère son frère par la peau des fesses d'un des bordels de la capitale où ce dernier menait une vie de débauche et l'enjoint de le rejoindre à son bataillon. L'intéressé ne s'en est jamais caché du reste. Bref !
C'est en lisant le Napoléon dans la littérature russe de
Sorokine qu'un titre attribué à Tolstoï Nabieg comportant une citation sur la philosophie de la guerre que j'ignorais, m'a amené à ce texte plus connu sous le nom de l' Incursion qui en fait m'a filé entre les doigts jusque là parce que je l'ai confondu avec une autre nouvelle qui s'intitule l'Evasion et qui n'a rien à voir. du coup, ben voilà j'en découvre encore des textes non lus de Tolstoï et je ne vais pas m'en plaindre !..
Alors du coup je peux citer le passage que remonte
Sorokine dans son livre, assez édifiant je dois dire, de la part d'un jeune homme qui a trois poils au menton :
"La guerre m'a toujours intéressé. Non pas la guerre, procédé de la stratégie des grands capitaines - mon imagination se refusait à suivre leurs hauts faits - mais la guerre tout court, c'est-à-dire le meurtre. Ce qui m'intéressait c'était de savoir comment et sous l'inspiration de quel sentiment un soldat quelconque avait pu tuer un autre soldat quelconque et non pas quelles furent les dispositions des troupes lors de la bataille d'Austerlitz ou de Borodino"
Le brave capitaine qui a plutôt sa carrière derrière lui et qui anime cette Incursion en pays Tchetchène, on l'aura compris, alors à pacifier, avait toujours sa pipe dans sa bouche - peut-être pas facile de l'avoir ailleurs quand on est cavalier et qu'on s'aventure dans la plaine caucasienne où coule la rivière, bordée de montagnes, à priori hostiles.
Ca me donne envie tellement comme c'est raconté de sortir ma vieille bouffarde qui n'a pas fait la guerre tout de même, au rebus depuis plus de trente ans -qui s'est éteinte avec le temps, me semble-t-il- et d'en fumer une avec lui. Décidément mes lectures ont un lien entre elles, hier c'était Ceci n'est pas une pipe du grand Magritte que je suis réellement en train d'explorer pour le coup..
Mais je pense que la pipe est révolue, à moins d'en activer le foyer chez soi, avant ça faisait respectable et ça servait à donner contenance à ceux qui n'avaient pas trop confiance en eux, mais aujourd'hui, j'ai plutôt le sentiment qu'au dehors on aurait vite fait de se faire rentrer une pipe à l'intérieur avec cette haine qui envahit l'espace public désormais ..
Un passage me coupe la chique et aurait pu me faire cracher ma bouffarde imaginaire, je cite : " .. Au même moment galopait devant nous un très bel adolescent, tout jeune, en costume d'officier et coiffé d'un haut bonnet blanc. (..) Je n'eus que le temps de remarquer qu'il se tenait en selle et maintenait les guides avec une grâce particulière, qu'il avait de beaux yeux noirs, un nez petit, très fin, des moustaches naissantes. Ce qui, surtout, me plaisait en lui, c'est qu'il ne pouvait s'empêcher de sourire en remarquant que nous l'admirions. Rien qu'à ce sourire, on pouvait conclure qu'il était encore très jeune .."
De quoi encore donner du grain à moudre à notre ami
Dominique Fernandez qui voit des homosexuels partout ! C'était entre parenthèses, un vieux compte à solder, ça y est, c'est fait !
On s'apercevra à la lecture de ce texte que l'intention de l'auteur était de créer une sorte d'oxymore du beau téméraire et du laid mortifère pour atteindre efficacement la guerre dans son fondement.
Une halte dans l'incursion.
"J'écoutais avec curiosité la conversation des soldats et des officiers et je regardais attentivement l'expression de leur physionomie. Mais chez aucun, je ne pouvais distinguer l'ombre de cette inquiétude que j'éprouvais moi-même. Les plaisanteries, les rires, les racontars exprimaient l'insouciance générale et l'indifférence pour le danger immédiat, comme si l'on ne pouvait même supposer que quelques-uns ne retourneraient déjà plus par cette route !"
Je n'ai rien à ajouter à cela franchement, tant c'est péremptoire !
On s'aperçoit et ce se
ra mon dernier mot qu'il n'y a rien de trop dans le descriptif de la nature caucasienne qui revient à chaque chapitre comme s'il s'agissait du premier : "le soleil se cachait derrière la chaîne des montagnes couvertes de neige et jetait ses derniers rayons roses sur les nuages longs, minces, qui s'arrêtaient sur l'horizon clair, transparent".. Nous ne sommes pas chez
Flaubert ou le descriptif occupe des pages et des pages, contemplatif, qui vaut pour une volonté anthropocentrique. D'abord chez Tolstoï il n'y a pas d'abus habituellement, - même si ici il l'introduit comme acteur de son dessein -, où une touche impressionniste lui permet de fixer le décor et de volonté clivante comme composante de son texte, mais plutôt un idéal d'amener l'homme à la nature qui est la sienne.
Petit détail de fin, je n'ai pas retrouvé dans la lecture de L'Incursion le passage sur la philosophie de la guerre que remontait
Sorokine dans son Napoléon dans la littérature russe. Je vais donc revoir ma copie et chercher encore !..