Un Groc ? Ne vous y fiez pas : le Groc n’est pas comme le Gru de « Moi moche et méchant ». On est loin du vieux chauve râleur qui a bon fond avec ceux qu’il aime… Bien au contraire, on est plus sur un personnage antipathique, alcoolique, violent, râleur, sot et antipathique avec tout le monde, même avec sa compagne ! Le pauvre Eole, onze ans, n’en peut plus de ce Gro(s)C(on) qui passe son temps à les rabaisser. Il ne supporte plus les cris quotidiens, les menaces à peine voilées et l’impuissance de sa mère qui accepte d’être maltraitée. Pour fuir cette ambiance tendue et pénible, l’adolescent va se rapprocher de son grand-père. Celui-ci est à présent en maison de retraite où il coule des jours généralement tranquilles et, parfois, vraiment hauts en couleur ! Il faut dire que les pensionnaires de cet endroit sont aussi adorables qu’originaux ! Les découvrir fut un véritable régal.
Certains pourront peut-être se plaindre du fait que le récit est très (trop ?) optimiste : dans une maison de retraite, il est rare que l’atmosphère ressemble à celle-ci… De plus, l’épopée peut paraître improbable, en particulier à la fin… Mais, est-ce si important ? Ne peut-on pas plutôt se focaliser sur les beaux messages ou les émotions ? Pour ma part j’ai trouvé ce texte tellement touchant que j’ai passé volontiers outre ces éléments. J’ai adoré faire la rencontre de la belle et mystérieuse Gilda, de Joseph le bandit, de Mireille la chercheuse et de ce grand-père bricoleur aussi pétillant et aimant avec son petit-fils que la mamie de « Sacrées sorcières » (Roald Dahl). Ils sont si attachants ! Honnêtement, toute cette belle brochette a su me faire sourire ou m’émouvoir plus d’une fois ! D’une certaine manière, ce groupe de petits vieux rebelles m’a rappelé ceux de « Tu comprendras quand tu seras plus grande » ou de « Quand nos souvenirs viendront danser » (Virginie Grimaldi). Il y a également un petit air de ces chers « Vieux Fourneaux » (Wilfrid Lupano et Paul Cauuet), notamment dans l’idée de protagonistes âgés encore très jeunes d’esprit et prêts à tout pour s’entraider ou pour commettre une ultime folie !
Dans cette maison de retraite, on notera surtout la merveilleuse Marinette, une aide-soignante à la fois dynamique, douce, attentive, compréhensive et drôle. Un véritable rayon de soleil ! En quelques interventions, cette femme a su me charmer. On a là un bel hommage à ce corps de métier. Or, je trouve cela très intéressant de sensibiliser le jeune lectorat à l’entraide intergénérationnelle et aux maisons de retraite/aux EHPAD. Avec douceur et humour, Alexandre Chardin a également su redorer l’image des seniors. Contrairement à ce que pense l’un des adolescents du livre, ces aïeuls ne sont pas « des vieux invalides, ennuyeux et impotents ne pouvant plus vivre chez eux ». Que ce soit un proche ou un inconnu, tous ont eu une vie intéressante, voire sensible, avant d’arriver en ces murs… Or, ils sont encore de très belles personnes… J’espère que ce roman fera réfléchir les lecteurs ados ayant encore leurs grands-parents près de chez eux. Vous avez des puits d’histoires, de savoirs et de tendresse à portée de main ! Ne les laissez pas se tarir sans avoir profité de leur compagnie…
Bien que l’histoire ne brille pas par de l’action ou par des rebondissements en chaîne, je n’ai ressenti aucun ennui. Certes, le plan pour en finir avec le Groc arrive assez tardivement néanmoins, ce n’est pas gênant. En effet, on se laisse porter avec plaisir par tous ces portraits fascinants et atypiques ! De plus, Eole est un jeune héros attachant, franc, déterminé, mature et débrouillard. Il est aisé de faire preuve de compassion (et sans doute d’identification) à son égard. Le suivre dans sa quête de changement fut très divertissant. Voilà une lecture vraiment plaisante qui, je suis certaine, va permettre à son lectorat cible de passer un bon moment, tout en étant sensibilisé à des thématiques assez rares en littérature jeunesse-ado (intergénérationnel, envie de liberté, rébellion, manipulation psychologique, violence verbale voire physique au sein d’un foyer, personnel soignant dévoué et impliqué, mauvais traitement ou infantilisation des personnes âgées, etc.). Voilà un récit fut sans pathos qui met toujours en avant l’humour, la tendresse, la poésie et la simplicité. Bref, encore une belle aventure humaine signée Alexandre Chardin !
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