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Critiques de Alexandre Soljenitsyne (390)
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Le pavillon des cancéreux

Alexandre Soljenitsyne est une sorte de Zola russe du XXème siècle : sa volonté de documenter un système et une époque est tout à fait comparable à ce que faisait le père des Rougon-Macquart à propos du Second empire en France.



Ici, nous sommes en U.R.S.S. (Union des Républiques Socialistes Soviétiques — 4 mots, 4 mensonges disait Milan Kundera) en 1955. Basé sur sa propre expérience, l'auteur se propose de nous décrire un centre de cancérologie de l'époque, en croisant les regards tant des patients que des soignants.



Pour ce faire, il y a nécessairement un certain nombre de personnages — sans toutefois tomber dans l'excès, en ce sens, le récit est très bien mené — auxquels le lecteur s'identifie plus ou moins. Cependant, dans le choix des personnages principaux suivis, je trouve qu'il y a un petit hiatus.



En effet, si Soljenitsyne n'avait eu pour projet que de nous documenter le fonctionnement d'un établissement de santé provincial, il aurait pu rendre le récit beaucoup plus fort, beaucoup plus poignant, faire ressentir davantage ce que vivent les malades durant leur séjour et ce qu'éprouvent les médecins et infirmières qui s'occupent d'eux.



Mais, à beaucoup d'égard, c'est loin d'être le seul objectif de l'auteur : il souhaite également dénoncer politiquement un système. En somme, j'ai le sentiment que dans ce livre, il court deux lièvres à la fois et je le regrette un peu car, comme dit le proverbe « qui trop embrasse, mal étreint ».



Je m'explique. Dans un premier temps, nous suivons l'arrivée d'un patient au pavillon des cancéreux, dont l'auteur nous dit qu'il se situe dans une zone reculée d'Ouzbékisthan (dans la réalité, Soljenitsyne était au Kazaksthan, à deux pas de la Mongolie). Or, ce patient, Paul Nikolaïevitch Roussanov, alors que nous devrions nourrir une certaine empathie vis-à-vis de lui, est un fervent rouage du système répressif soviétique, un gars qui n'a pas hésité à balancer pas mal de monde, bref, un sale type, qui plus est privilégié du système, le genre de type auquel on a rarement envie d'allouer des kilos d'empathie.



Du point de vue du projet politique du roman, c'est utile, du point de vue psychologique et médical, c'est mal vu, car on se sent loin de ce patient, ce qui lui arrive, au fond de nous, on se dit : « bien fait pour lui ». Il y a un autre patient essentiel dans ce roman, mais on ne découvre que petit à petit qu'il est un personnage principal, si bien que, pour lui aussi, on rate un peu le coche de l'empathie, ça n'est que sur le tard qu'on s'attache un peu à ce personnage. Dommage, d'un point de vue du fonctionnement romanesque, dommage.



Ce personnage, Oleg Filemonovitch Kostoglotov, est un ex-détenu politique et désormais relégué dans cette province reculée. On comprend (mais, là encore, sur le tard) qu'il est le double de l'auteur. Vraiment dommage car ce roman recèle par ailleurs des tonnes de qualités ; j'aurais tellement préféré lire deux romans distincts, l'un centré sur l'expérience de la maladie et du centre médical, l'autre conçu comme une dénonciation politique. Je pense que l'un et l'autre auraient été plus forts respectivement que de façon combinée.



Car il a un talent fou ce Soljenitsyne, je n'ai pas peu de l'affirmer, c'est très bien écrit, ce sont des personnages qui sonnent juste, c'est un regard d'une remarquable acuité, mais je lui adresse un peu le même reproche que celui qu'on pourrait faire à un George Orwell dans son 1984, c'est-à-dire de trop vouloir faire passer ses idées politiques en oubliant qu'un roman est grand justement quand il laisse au lecteur toutes les possibilités interprétatives, quand il est un univers fictif en soi et non un moyen détourné de parler d'une réalité.



Quand on sent trop l'auteur derrière une narration, quand on sent trop qu'on veut nous dire quelque chose, et qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur cette chose, cela nuit forcément un peu à notre faculté d'immersion et d'identification aux personnages. Or, un roman, qu'on le veuille ou non, c'est d'abord et avant tout ça.



Il y a des réflexions pénétrantes dans ce roman. Je pense notamment au fait que le patient, le sujet, se retrouve ravalé au rang d'objet pour certains médecins. Je pense aussi au côté " honteux " de nommer la maladie ou ses conséquences, qui conduit à de fameux euphémismes ou carrément à une crasse hypocrisie.



La psychologie des patients est assez bien restituée et ça sent vraiment le vécu. Ce que l'auteur fait également très bien, concernant les soignants, c'est de nous les présenter un peu dans leur vie privée, lorsqu'ils quittent les habits blancs du pavillon des cancéreux : il développe admirablement leurs doutes et leurs compétences, leurs charges administratives, etc. C'est particulièrement intéressant, psychologiquement parlant.



Ce qui est parfaitement exécuté également, ce sont les échanges entre patients dans ces grands espaces communs où ils doivent cohabiter dans une certaine promiscuité. L'auteur nous fait bien sentir la lourdeur administrative et les restrictions de liberté à tous les échelons.



Personnellement, ce que je trouve particulièrement intéressant, c'est justement ce que l'on comprend en filigrane et que l'auteur n'a pas forcément voulu mettre en avant mais qui, avec un regard rétrospectif peut s'avérer édifiant.



En effet, voici un service assez pointu de cancérologie, nous sommes en 1955 et la cheffe de service est une femme, Lioudmila Afanassievna Dontsova. On nous dit qu'elle est particulièrement compétente. Sa seconde est également une femme, Vera Kornilievna Gangart, dont Kostoglotov est secrètement amoureux. L'infirmière, Zoé, la femme de chambre, bref, à peu près tout le service repose uniquement sur des femmes, à l'exception du chirurgien qui est un homme.



Je trouve ça particulièrement édifiant, car, si l'on compare la situation de 1955, dans des pays soi-disant très ouverts comme les États-Unis, la Grande-Bretagne ou la France, je doute que la proportion de femmes dans un tel service eût été aussi importante et leur grade aussi haut perché. Alors si l'on tempère cette modernité de la condition de la femme en U.R.S.S. par le déficit masculin dû aux pertes énormes de la seconde guerre mondiale, on trouve tout de même une situation intéressante et qui est rarement commentée de ce côté-ci de l'ancien rideau de fer.



En somme, un très bon livre d'après moi, avec juste ce petit regret que l'auteur ait autant cherché à nous fourrer de force son message politique dans le crâne. Mais, vous autres, que vous soyez malades ou bien portants — d'ailleurs tout bien portant n'est-il pas un malade qui s'ignore comme nous l'enseigne Knock ? —, gardez à l'esprit que ceci n'est que mon avis, partial, malade et défectueux par nature comme par conjoncture, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Le pavillon des cancéreux

J'ai trouvé ce livre brillant et fort, j'ai pris beaucoup de plaisir à le lire, et pourtant me voilà très embêtée pour en faire la critique. Parce qu'il y a du génie là-dedans, mais que je ne sais pas bien dire où et quoi...



Le principal n'est pas l'histoire, puisqu'il n'y en a pas vraiment. Juste une multitude de gens -malades ou soignants- confrontés au tragique de la vie à l'Hopital de Tachkent dans les Années 50. Ils se croisent, se rencontrent, pensent, parlent, lisent, aiment, font des rayons, des opérations et des transfusions, vivent et/ou meurent.



Parmi eux, Roussanov, le contrôleur-délateur qui se dresse sur ses ergots communistes à tout bout de champ, et surtout quand ça l'arrange. Chez lui, tout est petit, sauf la tumeur qu'il a dans le cou. Nettement plus attachant : Kostoglotov, ancien détenu des camps, assigné à résidence, bouillonnant, paradoxal et profondément vivant. Son errance et ses hésitations à la fin ont résonné très fort en moi. Et tant d'autres, de l'universitaire devenue fille de salle, à la cancérologue qui néglige ses propres symptômes, en passant par ces adolescents qui doivent apprendre la vie avec un morceau de corps en moins...



Cette galerie de portraits toujours juste flirte tantôt avec l'émotion, tantôt avec l'ironie. Elle nous renvoie à notre condition humaine : la petitesse (souvent), la dignité (parfois), les souffrances, l'impuissance, les difficultés... et ces instants de pur bonheur qui rachètent tout. Elle va bien au-delà d'un livre sur le cancer ou sur la terrible vie en URSS, et constitue une œuvre de portée universelle.



Merci donc à Gwen/Challenge Nobel pour cette magnifique découverte... et merci à Limonov d'avoir tant détesté Soljenitsyne (cf Limonov d'Emmanuel Carrere) qu'il m'a donné envie de le lire !
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Une journée d'Ivan Denissovitch

Mars 1953, Staline mourrait. Nikita Kroutchev divulgua un rapport secret dénonçant les abus du stalinisme. C’est dans ce contexte qu’Alexandre Soljénistsyne écrit ce court roman qu’il laissa de côté. Puis il confia le texte à Tvardovski, alors directeur de la revue Novy Mir qui obtient de Nikita Kroutchev la publication du texte. C’est là une réponse à la question que je me suis posée tout au long de cette lecture : comment avait-il pu éditer un tel écrit même en dehors du stalinisme et pendant la période d’un régime communiste s’opposant à toute liberté.



Il est vrai que le texte paraît blanchi et auto-censuré, le héros, Choukhov, semblant s’être accommodé de la vie imposée dans ce goulag par -27°C, sans aucune plainte, obligé à travailler dans de mauvais vêtements, dépendant de ses pairs réunis en brigade à des fins d’autodiscipline, car un zek qui ne respecterait pas le règlement conduirait toute la brigade à la punition, privée de repas ou mise au mitard. Peu de violence physique dans ce roman, à part justement à l’égard d’un moldave qui met l’ensemble des prisonniers en retard avant le retour vers le camp où ils pourront enfin se reposer, violence qui se libère de la part des prisonniers. Les autres scènes plus violentes concernent une violence verbale des gardes envers les zeks.



La violence de cette captivité, l’auteur nous la laisse deviner : réveil à l’aube, rassemblement, fouille, obligation de se dévêtir partiellement en s’exposant aux rigueurs du froid, travail de l’aube au soir, dans des conditions inhumaines, tant du point de vue du matériel, que de la charge de travail, nourriture insuffisante...



La journée du prisonnier apparaît longue, très longue, parce que Soljénitsyne fait durer chaque moment de la journée en y introduisant, par soucis de vérité autant que pour mettre en évidence la longueur du travail quotidien, d’éternelles négociations : sur l’entente durant les travaux, sur la nourriture, sur la fouille des colis envoyés aux zek, sur l’histoire individuelle des prisonniers, sur le vécu et le ressenti de chacun à divers moments de la journée.



Si le texte fut en partie censurée par le régime et par l’auteur lui-même, on perçoit aisément les abus du régime communiste : prisonniers arrivés là pour trahison car ils ont été faits prisonniers par les allemands et se voient attribuer la mention « espion » dans leur dossier, mais aucune possibilité de révolte ne s’offre à eux.



Un écrit intéressant d’un point de vue historique, qui m’a permis de découvrir un auteur de renommée internationale que je ne connaissais pas.
Lien : https://1001ptitgateau.blogs..
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Une journée d'Ivan Denissovitch

Mais qu'elle fut longue, cette journée passée en compagnie d'Ivan Denisssovitch.

Longue, après une préface qu'il est fort utile de lire.

Ce jour d'hiver de froid cruel (presque moins 40 degrés sous zéro) est comme un chronogramme sans indication des heures... Au reste, à quoi servirait-il d'une montre ou d'une horloge aux pauvres zeks de ce bagne?

Cette journée n'en finit pas, dans cette peine infinie d'Ivan Denissovitch et ses compagnons d'infortune.

Un digne (sic) héritier d'Ivan le terrible et sa bande de dégénérés ont envoyé Ivan Denissovitch se perdre au goulag. Seule, la mort du tyran rouge leur permettra d'en sortir, à ces triples matriculés... Ces matricules dont les numéros sont repeints périodiquement, que la garde te les compte et les recompte, ces fantômes d'une autre vie! Que l'escorte, armée de mitraillettes, emmène et remmène la cohorte, par rangs de cinq, des zeks des baraques au chantier et vice-versa.

Pour Ivan Denissovitch Choukhov, qui n'a pas perdu son âme, la journée démarre plutôt mal avec des douleurs que la nuit n'a pas écartées. La nuit aussi courte que la journée est longue, semée d'embûche et marquée par la peur d'être envoyé au cachot pour dix infernales journées.

Pourtant, dans cet enfer, l'ex-commandant de flotte donne toujours de la voix, et le croyant conserve une foi indestructible... Manière à eux de survivre?

Ce livre m'a étreint, presque éreinté tant j'avais froid avec Ivan Denissovitch... Mais il m'a éclairé, comme ce soleil rare tel le poisson dans la soupe du zek, ou cette cigarette d'un tabac chichement mesuré.

Mais quelle journée!



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L'Archipel du Goulag

Alexandre Soljénitsyne, avant qu’il ne devienne le grand auteur russe qu’il est devenu, a passé quelques années au goulag. Cette expérience l’a amené à écrire Une journée dans la vie d’Ivan Denisovitch, oui, mais aussi une autre œuvre et c’est de ce pavé dont il sera question dans cette critique : L’archipel du goulag. Il ne s’agit pas d’un roman à proprement parler. On n’y suit pas une trame narrative unique. Plutôt, plusieurs histoires individuelles, un long fleuve de témoignanges, d’histoires. C’est l’histoire d’un père, d’un frère, d’un voisin, de n’importe qui. De tout le monde et de personne à la fois. D’une foule anonyme. Du peuple russe. Car c’étaient rarement des criminels au sens où nous l’entendons, non. C’étaient des prisonniers politiques pour la plupart, des gens qui étaient jugés ennemis du régime en place, dangereux pour l’ordre communiste établi, c’est-à-dire des intellectuels qui étaient capables de jeter un regard critique sur les actions des dirigeants.



Ce pavé est divisé en plusieurs parties. Dans la première, « l’industrie pénitentiaire », l’auteur explique qui on arrêtait, pourquoi et comment. Il dresse l’état de la situation concernant les bagnes, fait des comparaisons avec l’époque tsariste, mentionne des lois, livre le nombre de victimes, etc. On y retrouve une quantité ahurissante de faits, de chiffres, de statistiques. Un peu long à la longue mais utile, je suppose, pour bien comprendre l’étendu du problème. Visiblement, Soljénitsyne s’est bien documenté. Et, s’il adopte un point de vue subjectif (peut-il en être autrement?), on le lui pardonne.



Étrangement, au début de son récit, je croyais que l’auteur avait été envoyé en Sibérie. Je croyais que c’était là-bas que tous les camps étaient situés. Mais non, de tels camps se trouvaient partout, et le goulag dont il est question ici se trouve au nord-ouest ! C’est en plein de la mer Blanche, sur une des îles de l’archipel Solovki. J’ai trouvé fascinante l’histoire de ces îles. Pas la partie goulag, quoique… Mais non, à la fin du Moyen-Âge, des moines y ont fondé un monastère réputé qui a grandement contribué à l’essor de cette partie de la Russie. Bon, en parralèlle à ma lecture de ce pavé, je me suis documenté sur cette région… Dans tous les cas, je trouve un peu dommage qu’un si beau lieu, avec une si belle histoire, ait été utilisé en tant que goulag, un si laide activité.



Pour revenir à la division du roman, les autres parties sont « le mouvement perpétuel », qui traite parfois long voyage (en train et dans des conditions difficiles) qui mène jusqu’au camp et « l’extermination », qui explique comment on se débarrassait des condamnés. Le travail difficile, surhumain qui était exigé n’était parfois pas suffisant. Les gardes devaient se montrer imaginatifs et, surtout, brutaux. Heureusement, l'auteur a su y insérer plusieurs anecdotes qui rendent la lecture moins pénible. Que ce soit le sort réservé aux mouchards, les relations avec les leks (indigènes de l'ile), le quotidien tout simplement.



On continue avec « l’âme et les barbelés » et « le bagne ». Personnellement, je commençais un peu à m’ennuyer. Lire encore et encore sur le sort des pauvres bagnards devenait un peu répétitif, lassant et, surtout, lourd. Tourner les pages et ne découvrir que de nouvelles façons de rendre des gens misérables, ouf ! Toute cette lithanie de faits plus horribles les uns que les autres, qui finissaient par se ressembler ou, du moins, finir au même résultat, peu pour moi. Je n’avais qu’une envie, c’était de crier « Ça va, j’ai compris ! Les prisonniers vivent dans des conditions de vie plus que difficiles ! On passe à autre chose ! » Ceci dit, je n’ai pas pu m’arrêter de lire. Je devais savoir. Tout comme Soljénitsyne devait écrire. Il ne pouvait pas omettre une seule partie de cette pénible expérience.



Les dernières parties, « relégation » et « Staline n’est plus » ont réussi à me réintéresser à cette œuvre. On y traite de la relocalisation des prisonniers politiques en Sibérie, une pratique historique, qui a contribué au peuplement de cette région de la Russie. Il traitait également de la façon dont la mort du grand dictateur a permis à l’information de mieux circuler. Les goulags, ce n’était qu’une rumeur (certains ont même cru qu’ils avaient été inventés par l’Ouest pour discréditer l’URSS) jusqu’à ce que les témoignages commencent à pleuvoir. Puis les faits et les statistiques ont été dévoilés petit à petit. Un long processus…



Bref, L’archipel du goulag est une brique d’informations d’une précision inouïe sur une page sombre de l’histoire de la Russie/URSS. C’est long, parfois pénible, mais toujours instructif. Quiconque aime l’histoire, ou ce pays ou même le régime soviétique y trouvera son compte.
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La maison de Matriona

"À l’été 1956, je revenais d’un désert brûlant et poussiéreux, rentrant tout simplement en Russie, au petit bonheur. Personne ne m’y attendait nulle part, personne ne m’y appelait, parce que j’avais lambiné une petite dizaine d’années avant de revenir."



Voilà comment Soljenitsyne commence son histoire.

"La maison de Matriona" fut publié en 1963 dans le magazine Novy Mir en tant que deuxième courte prose de l'écrivain, et selon les experts il s'agirait de sa nouvelle la plus lue. "Le plus lu" ne signifie pas toujours "le meilleur", mais le destin de Matriona Vassilievna m'a solidement remuée.



Soljenitsyne n'est jamais tendre avec ses héros, et cette nouvelle ne déroge pas à la règle. C'est une histoire simple de la campagne russe, et de son âpre réalité. Si la véritable "âme russe" se cache quelque part dans ces larges étendues herbeuses aux villages clairsemés reliés par le chemin de fer, qui d'autre pourrait la décrire mieux qu'un Russe ? Et tout comme dans "Une journée d’Ivan Denissovitch", Soljenitsyne est d'une redoutable efficacité.



Le professeur de mathématiques et ancien prisonnier de goulag Ignatitch voudrait retrouver une vie normale. N'importe où; mais loin du monde, dans quelque endroit perdu "au coeur de la Russie", comme il le dit lui-même. Il descend du train dans l'un de ces trous paumés sur le trajet Moscou - Mourom, à l'endroit au nom sauvagement poignant de Torfoprodoukt.

Il est difficile de trouver un logement. Faute de mieux, Ignatitch finira par trouver gîte et couvert chez la vieille Matriona Vassilievna, entre quatre murs branlants, en compagnie de cafards et d'un chat boiteux.

Pendant les soirées passées dans la même pièce, à partager le gruau et les patates bouillies, Ignatitch écoute l'histoire de la vie de Matriona. Il va apprendre que son mari Iéfime était un homme bon, qui ne l'a jamais battue. Qu'elle a donné naissance à six enfants, et qu'elle les a enterrés tous, l'un après l'autre. Qu'elle devait épouser Faddei, le frère de Iéfime, mais il n'est pas revenu de guerre...

Faddei va bien finir par rentrer, et seulement parce qu'il trouve Matriona mariée à son propre frère l'empêche de les tuer tous les deux à la hache. Il va épouser une autre Matriona... rien qu'à cause de ce satané prénom !



Après la mort tragique de Matriona, Ignatitch réfléchit sur cette femme qui aidait toujours les autres dans leurs travaux difficiles, sans jamais rien demander en retour. Elle ne savait pas dépenser, ni en vêtements, ni pour améliorer sa vie. Incomprise par ses soeurs, son mari et les villageois, elle n'était pour tout le monde qu'une souillon sotte et désordonnée. Mais elle est toujours restée amicale et bonne. Vous avez presque envie de pleurer, quand Ignatitch arrive à sa conclusion :



"Nous vivions tous à côté d’elle, sans comprendre qu’elle était ce Juste du proverbe, ce Juste sans lequel ne subsiste aucun village. Ni aucune ville. Ni notre Terre entière."



Dans "L'Idiot", Dostoïevski fait dire à son prince Mychkine que "c'est la beauté qui sauvera le monde". Il se pourrait tout aussi bien que ce soit la bonté... ou que les deux écrivains parlent de la même chose.

5/5. Une nouvelle très courte, forte comme le tabac russe avec lequel on bourrait les papirosi Belomorkanal, fumées par les seuls ouvriers pauvres qui travaillent sur ces longs chemins de fer qui relient un nulle part à l'autre. La vraie Russie sans artifices.
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Une journée d'Ivan Denissovitch

Ivan Denissovitch Choukhov a été condamné à dix ans de camp de travail pour « trahison envers la patrie ». En réalité, il a simplement été fait prisonnier par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale avant de parvenir à s'enfuir, pensant, naïvement, qu'il serait accueilli à bras ouvert à son retour. Bien qu'ayant déjà effectué la majeure partie de sa peine, il sait pertinemment qu'elle sera prolongée encore et encore, et qu'il ne sortira probablement du camp que les pieds devant.



Choukhov supporte pourtant chaque journée avec une résignation qu'approuveraient les stoïciens de l'antiquité. Toutes les petites combines sont bonnes pour améliorer un peu son existence : ne pas manger toute sa miche de pain le matin pour la faire durer et avoir l'illusion d'avoir de plus grandes rations ; rendre de menus services à ceux qui peuvent recevoir des colis pour recevoir quelque chose en retour ; embrouiller les comptes du cuisinier pour obtenir une part de soupe supplémentaire ; cacher la meilleure truelle du chantier pour s'assurer de la garder tous les jours ; …



Dès les premières pages, on s'identifie à Choukhov : on sent le froid mordant qui essaie de se frayer un chemin jusqu'à lui, son creux à l'estomac, on partage sa crainte que le morceau de pain qu'il a caché soit dérobé pendant son absence, on tremble qu'un autre prisonnier ne le trahisse pour y gagner un petit avantage.



Une œuvre puissante, qui nous fait comprendre à travers un témoignage minimaliste tout l'envers du décor : un système totalitaire qui nie l'individu, lui enlève tout espoir et toute possibilité de réintégrer la vie normale.
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Le pavillon des cancéreux

Après le monde carcéral soviétique (les goulags), voici le système de santé : Le pavillon des cancéreux. Paul Roussanov, un fonctionnaire soviétique à Tachkent, une région excentrée, doit être hospitalisé. Eh oui, même les cadres et membres du parti communiste peuvent être victimes de la maladie : le cancer n’épargne personne ! Dans ses premiers jours à l’hôpital, Roussanov regarde de haut les autres patients, des bergers, des ex-prisonniers, la plupart provenant des environs, des ethnies de l’Asie centrale. Aussi, il se montre hautain avec le personnel médical qui est fort occupé. Très rapidement, il se rend compte qu’il n’est qu’un autre numéro parmi tant d’autres malades. Tous sont égaux devant la maladie. Quel choc ! C’est un roman rempli d’ironie.



Dans les pages et les chapitres suivants, le lecteur découvre les compagnons de malchance de Roussanov : le « bandit » Kostoglotov, le vieil ouzbekh Moursalimov, le berger kazakh Eguenbourdiev ainsi que le jeune Diomka, à peine seize ans, et tant d’autres. Chacun souffre à sa façon, essaie de (sur)vivre avec la maladie et de se changer les idées. Pour y arriver, l’un refuse de croire à l’inévitable, un autre cherche le confort dans la vodka ou bien dans la visite tant attendue qui n’arrive jamais. Parfois, la narration s’attarde longuement sur certains d’entre eux. C’est alors que je me rappelle que l’auteur est Alexandre Soljenitsyne. Pour bien présenter son univers, comme il l’a fait avec les goulags et la charachka, il ne peut rester concentré trop longtemps sur les mêmes personnages.



Le grand auteur russe décrit avec réalisme la vie dans un hôpital, les conditions avec lesquelles doivent vivre les patients souffrants de cancer, etc. Certains guérissent et sont renvoyés chez eux, d’autres… eh bien… se font amputer des morceaux ou quittent les pieds davant. Désolant, c’est alors qu’on se rend compte que le corps humain est une chose bien fragile… Il ne faut pas oublier l’équipe médicale, qui fait partie intégrante de cet univers. Médecins et infirmières travaillent de longues heures et ont leurs propres problèmes personnels, expliquant pourquoi certains sont un peu rudes avec les patients. Aussi, tout comme les dirigeants du parti, ces derniers peuvent également se transformer du jour au lendemain en patient, même s’ils refusent de l’admettre.



En lisant Le pavillon des cancéreux, il faut s’attendre à une longue histoire (plusieurs, plusieurs centaines de pages). Personnellement, j’éprouve un peu de difficulté à rester concentré surt un pavé quand la narration saute d’un personnage à un autre, sans intrigue principale. Mais bon, je m’y suis attelé. Il faut dire que la maladie, les séjours dans les hôpitaux, la plupart d’entre nous savons un peu c’est quoi – malheureusement – même si nous souhaitons ne jamais avoir à subir cela. Soljenitsyne a réussi à critiquer les revers du système médical soviétique mais également et surtout à raconter des portraits poignants. Et c’est ça qui me l’a fait apprécier. Peut-être lire à petites doses ? Parce qu’il faut bien le lire, du moins, je le recommande. Malgré le propos (et la longueur), c’est une lecture agréable, drôle, émouvante, pas aussi sombre qu’on pourrait l’imaginer.
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Une journée d'Ivan Denissovitch

Ce livre occupe une place à part dans la littérature. Ecrit dans les années cinquante, sa publication est autorisée en Union Soviétique en 1962, au cours d’un moment éphémère d’assouplissement du régime. Une journée d’Yvan Denissovitch révèle alors au monde l’existence du goulag, un système concentrationnaire à grande échelle, administré secrètement par la police politique aux ordres du pouvoir soviétique et du parti communiste. L’existence de camps de concentration, où étaient déportés les opposants et les dissidents au même titre que les condamnés de droit commun, était jusqu’alors subodorée sans preuve dans le monde libre et formellement démentie dans les pays de l’Est, ainsi que par leurs sympathisants en Occident.



L’auteur, Alexandre Soljenitsyne, un ancien officier, avait lui-même été déporté pendant huit ans, à la suite de critiques émises dans une correspondance privée sur la politique militaire de Staline pendant la seconde guerre mondiale. La publication d’Une journée d’Yvan Denissovitch le fait connaître à la fois pour sa détermination de dissident au régime et pour son talent d’écrivain, qui lui vaudra le Prix Nobel de littérature en 1970.



Pour faire connaître la vie quotidienne des prisonniers – les zeks – d’un camp du goulag, Soljenitstyne choisit de circonscrire sa narration à une journée et à un détenu, Ivan Denissovich Choukhov, un brave paysan, condamné à dix ans de travaux forcés de maçonnerie huit ans plus tôt, en 1941, parce qu’après avoir été fait prisonnier par les Allemands, il avait réussi à s’évader quelques jours plus tard. Lors d’un simulacre de procès, la justice soviétique en avait conclu qu’il était un traître et un espion.



La journée s’ouvre sur le réveil des prisonniers. Il est 5 heures. C’est en tout cas l’évaluation des zeks, car ils n’ont ni montre ni horloge auxquelles se référer. A quoi leur servirait de connaître l’heure, ont pensé leurs geôliers, si ce n’est pour comptabiliser le temps de travail qu’on leur impose ?



Les camps sont situés loin de tout, dans des zones désertiques, la plupart en Sibérie du Nord, où les températures peuvent descendre jusqu’à 40 degrés en dessous de zéro. Les zeks sont logés dans des baraques rudimentaires non isolées, à peine chauffées, où des structures de couchettes collectives superposées sont installées. Pour leur vie quotidienne, comme pour le travail qui leur est assigné, ils sont organisés en brigades, sous l’autorité d’un des leurs, le brigadier, un zek « expérimenté » chargé de négocier leurs intérêts, face aux surveillants et aux autres personnels de l’administration du camp.



Les conditions de détention sont très dures. Le froid est terrible, la nourriture inconsistante et insuffisante. La surveillance est à chaque instant un prétexte de maltraitance physique ou mentale : appels, contre-appels, ordres, contrordres, fouilles, récriminations, brimades, sanctions, chantage… tout est fait pour détruire l’homme derrière le zek. Seul point non négatif, au regard de ce que l’on sait sur d’autres camps de concentration, il ne s’y trouve ni chambre à gaz ni four crématoire. Mais cela, Choukhov et les autres zeks n’en ont pas la moindre idée.



Certains zeks décomptent les jours qu’il leur reste à tirer. Pas Choukhov ! Il a constaté qu’une fois la peine purgée, les condamnations sont systématiquement reconduites, sans même qu’on en donne la raison. Il sait donc qu’il est inutile d’espérer, qu’il ne rentrera jamais chez lui, qu’il ne reverra jamais sa femme et ses enfants.



En l’absence d’espérance, la seule façon de survivre est de s’adapter avec pragmatisme. Éviter de se faire sanctionner par les surveillants, de se faire spolier par les autres zeks. Collectionner les tous petits plaisirs : du rab de pain, la chaleur d’une soupe, une bouffée de cigarette, un échange de sourires, quelques minutes de répit près du poêle, un instant à soi emmitouflé sur sa paillasse… La journée qui fait l’objet du livre aura été bonne pour Ivan Denissovitch Choukhov. Il s’endort heureux.



Le livre est écrit dans le langage parlé d’un homme fruste et madré. La traduction est plutôt réussie. A ma grande honte, j’avoue avoir trouvé le livre un peu ennuyeux. Peut-être est-ce dû au fait que les révélations de Soljenitsyne sont aujourd’hui archi-connues.


Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Une journée d'Ivan Denissovitch

Etonnamment je pense que ce qu'il me restera de ce livre c'est la fraternité qui résonne dans ses pages. Certes pas toujours désintéressée, mais présente.



Ce livre retrace une journée de vie dans un goulag soviétique. Ivan Denissovitch Choukhov a été condamné à 10 ans de camp car il a été fait prisonnier par les Allemands pendant la 2de Guerre Mondiale. C'aurait pu être tant d'autres raisons....

On suit le personnage central sur une journée, du lever au coucher, en passant par les comptages, les travaux forcés....

Choukhov est un personnage incroyablement doux, parfaitement intégré à la vie du camp, trouvant par tout moyen (mais toujours honnête) la façon de survivre à cette horreur carcérale. Presque optimiste.... Presque heureux.... Heureux de finir la journée toujours en vie....



Glaçant du début à la fin par les différentes petites touches qui décrivent la vie dans un goulag.
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Une journée d'Ivan Denissovitch

La journée ordinaire d'un ZEK.



De très nombreux ouvrages sur le Goulag sont parus depuis celui-ci, à commencer par ceux de l'auteur lui même mais aussi ceux de Varlam Chalamov, Julius Margolin, Victor Serge et bien d'autres encore. Dans tous ces livres, on retrouve la description des conditions de vie horribles des prisonniers, on insiste sur les violences, la corruption, la lutte pour se nourrir, se vêtir, la survie dans des conditions extrêmes.



On reproche parfois à Soljenitsyne pour cet ouvrage d'avoir décrit de manière édulcorée, d' avoir enjolivé la condition des prisonniers du Goulag mais si l'on s'attarde quelque peu, toutes les horreurs de cette "vie" sont bien présentes. Par petites touches, sans insister, l'auteur nous laisse deviner cette survie à travers l'obsession de manger, de ne pas se faire voler sa nourriture , ni ses vêtements à peu près corrects pour survivre au froid, d'éviter les travaux trop durs, cette petite vie quotidienne faite de multiples astuces pour s'en sortir. Pas de grandes scènes de violence ou de maltraitance mais on comprend bien que tout cela est le quotidien de ces hommes.





Ne pas oublier que ce livre n'aurait jamais été édité en URSS si l'auteur avait décrit exactement ce qu'il avait vécu.



Un grand livre sur le Goulag donc, accessible à tous et qui a le mérite d'avoir fait connaître au Monde, la vie épouvantable de ces prisonniers.



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Une journée d'Ivan Denissovitch

Considéré comme espion parce qu’il a été prisonnier des Allemands en 1941 et qu’il est parvenu à s’échapper, Ivan Denissowitch a été envoyé au goulag purger une peine de dix ans. C’était le tarif à l’époque, mais maintenant c’est vingt-cinq ans, pour tout le monde, pour tous les actes.

Le prisonnier a effectué huit ans de sa peine, mais bien que la sortie soit dans deux ans, il ne rentrera probablement pas chez lui, il sera plutôt condamné à la relégation.

Ivan Denissowitch s’arrange du mieux qu’il peut avec sa dure réalité, il a compris depuis longtemps que se révolter ne servirait à rien, bien au contraire, être envoyé au trou ou voir doubler sa condamnation pourrait en être la conséquence.

La journée est interminable, dans une température à -40°. Le matin, les gardes comptent et recomptent, font l’appel et refont l’appel. Sur le chantier, il faut attendre, encore, dans le froid. Enfin, le moment de travailler arrive, ce qui soulage le prisonnier parce que ça l’empêche de penser et qu’il n’y a rien de mieux pour oublier la température. Mais attention de ne pas oublier l’heure, un écart est vite découvert.

À lire à la fois pour ce que ce livre représente et pour la profonde sagesse d’Ivan Denissowitch.

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Une journée d'Ivan Denissovitch

Du réveil au coucher, une journée dans le camp sibérien de Choukov au cours de sa huitième année d'internement, prévu initialement pour dix ans mais qui pourrait fort bien se transformer en vingt cinq selon l'absurde standard en vigueur sous le règne du petit père des peuples.

Privation de sommeil, de nourriture, travail forcé, encadrement violent et mafieux, règles innombrables et dénués de sens : la frontière est mince entre les camps staliniens et les camps nazis, que Vassili Grossman a si bien renvoyés dos à dos dans Vie et Destin.



Rien d'intellectualisé ni de dramatisation appuyée dans ce roman dont la force repose sur le personnage de Choukov, archétype du brave paysan russe qui n'a évidemment rien fait pour atterrir là, fait front pour survivre, résiste au froid, à la faim et à l'absurdité de sa condition. Et nous conte sa journée, pareille à la veille et au lendemain, dans une langue rugueuse et simple qui nous la fait vivre à ses côtés. Les conditions dans lesquelles ce texte a été publié, où Soljenitsyne marche sur la corde entre dire trop ou pas assez dans un contexte post stalinien, n'en donnent que plus de poids à ce témoignage déguisé de l'auteur sur son expérience d'internement.
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Une journée d'Ivan Denissovitch

Une journée d'Ivan Denissovitch fit l'effet d'une bombe à sa sortie en URSS en 1962. Pour la première fois, une oeuvre littéraire présentait au lecteur soviétique un témoignage du Goulag.

Plus de soixante ans après, ce court récit n'a rien perdu de sa force car c'est une vraie oeuvre littéraire, nourrie de l'expérience d'Alexandre Soljenitsyne.



Le livre raconte la journée banale d'un moujik au goulag. du réveil à l'extinction des feux : cette journée est pleine d'épreuves et de petites joies. On le découvre à travers ses dialogues très vivants, avec les autres personnages, autorités ou camarades d'infortune et puis dans son activité incessante. Soljenitsyne n'a pas pris pour héros un intellectuel ou un homme instruit comme lui. Ivan Denissovitch Choukhov est un homme simple et illettré. Il a combattu à la guerre et durant la débâcle en 1941, il a été fait prisonnier par les Allemands. Il est parvenu à s'échapper et a pu rejoindre les lignes russes. Il a été arrêté et convaincu d'espionnage. Il a reconnu des faits imaginaires pour éviter le peloton d'execution. Et il a pris 10 ans de bagne en Sibérie. Ils sont beaucoup comme lui, des soldats, des officiers, injustement accusés d'espionnage par le système bureaucratique.

Choukhov, alias Shch-854 se sentait mal en se levant, mais faute de pouvoir trouver une place à l'infirmerie, il lui faut s'activer pour oublier sa misère en évitant les ennuis. Il est toujours en mouvement. Il lui faut trouver des moyens de se nourrir, ne pas tomber malade dans le froid sibérien et aider les autres à se sortir de situations périlleuses. Non seulement il se bat pour lui mais aussi pour ceux qui travaillent avec lui. Si le travail collectif est mal fait, si quelqu'un manque à l'appel, c'est toute la compagnie qui est punie. La violence n'est pas décrite directement mais la menace est sourde et omniprésente. Choukhov est rusé, il sait cacher une cuiller , un bout de scie ou une truelle sans se faire repérer à l'appel et au contre-appel, il sait où se placer pour avoir une ration supplémentaire, il sait cultiver des relations afin de pouvoir recevoir un croûton de pain ou tirer une bouffée de cigarette. Les autres le respectent parce qu'il est digne, dur au mal et qu'il est un bon maçon. Tous ses compagnons d'infortune ne jouissent pas de la même réputation et sont condamnés d'avance. La dignité, la fraternité et le travail sont mis en avant. La scène centrale du livre montre tout le groupe de la 104 au travail. le travail manuel et collectif est source de joies qui aident à résister heure après heure. Outre Choukhov le moujik d'autres personnages sont très intéressants. le plus marquant est certainement Aliocha, le baptiste. Il lit l'Évangile dès qu'il a une minute de liberté. Son personnage est comme tout droit sorti de "Crime et Châtiment". Il est heureux de souffrir. À travers Aliocha, l'auteur exprime sa vision de la foi comme force salvatrice.

Un roman inoubliable que je recommande vivement.

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Une journée d'Ivan Denissovitch

Moins 20 degrés, Sibérie années 50, une journée 'presqu'heureuse' d'Ivan Denissovitch, qui termine bientôt ses dix ans de travaux forcés. Il s'endormira heureux de ne pas avoir été collé au cachot, ni être affecté au travail sans chauffage de construction de barrières mais d'avoir maçonné avec entrain, de ne s'être pas fait piqué à la fouille en ramenant le bout de ferraille qu'il pourra valoriser en couteau de cordonnier, d'avoir eu du pot en petites débrouilles pour une deuxième ration de bouillon ou quelques biscuits de son copain César qui reçoit des colis deux fois par mois et avec lesquels il achète sa tranquillité.



Le style est sobre, factuel, s'attachant à des détails presque désuets et c'est justement cela qui nous prend aux tripes.

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Une journée d'Ivan Denissovitch

"Une journée d'Ivan Denissovitch", c'est du café fort, du café fort noir, bien qu'en apparence, il n'en ait pas l'air. À vue de nez, le café a l'air fort clair, pour peu, on apercevrait le clocher de l'église dans le fond de la tasse, mais lorsqu'on le goûte, sa force se fait ressentir dans la bouche et elle vous prend à la gorge.



Étrange pourtant, puisque ce récit d'une journée dans un goulag, en plein hiver, ne comporte pas de scènes violentes, ni de scènes de tortures. Pour peu, on lirait bien cette histoire avec le sourire... jusqu'à ce que la dure réalité se fasse ressentir : hé, on est au goulag !



Voilà toute la force du roman de Soljénitsyne : faire du roman fort, nous prendre par les tripes, nous faire ressentir la faim d'Ivan et des autres, nous faire ressentir le froid mordant, la peur, la résignation, la violence des gardiens, l'inhumanité des lieux, le travail titanesque qu'on leur demande d'accomplir, le tout sans épanchements, sans forcer le trait, en restant sobre... Tout en nous donnant un récit d'une forte intensité.



Ben oui, c'est quoi une journée dans toute une vie ? Rien... Mais pourtant, si importante. Surtout qu'au goulag, il faut rester en vie.



Il ne se passe pas de choses exceptionnelles dans le roman, pourtant, l'ennui est impossible et j'ai suivi cette journée d'Ivan avec passion, mes les tripes nouées tout de même.



Ivan, il est un homme simple, avec de l'enthousiasme. Ce n'est pas un tire-au-flanc ou un salaud, mais pour survivre au goulag, il doit ruser afin que son morceau de pain qu'il a caché ne soit pas dérobé durant son absence, ne pas se faire donner par un autre qui aurait à gagner un petit avantage, bref, éviter de se faire remarquer et d'aller au cachot qui signifierait la presque mort.



Mieux qu'un Spartiate, le prisonnier CH-854 de la brigade 104 a mis au point tout un tas de petites combines afin d'améliorer quelque peu sa détention inhumaine : ne pas dévorer toute sa miche de pain le matin pour la faire durer; magouiller afin d'avoir une soupe en plus; rendre des services à ceux qui reçoivent des colis; faire correctement son travail pour ne pas mettre leur brigadier dans la merde; cacher quelque lames dans son uniforme et faire en sorte de ne pas se faire attraper...



Denissovitch se permet même le luxe, à la fin, d'être optimiste et de se dire qu'une journée de plus était passée, sans seulement un nuage, presque un bonheur...



Un récit minimaliste qui donne naissance à une oeuvre puissante, fallait le faire et le génie de l'auteur l'a fait. Poignant.



Et si le lecteur se donne la peine de réfléchir à l'envers du décor, cela lui donnera la vision d'un système totalitaire qui nie l'individu, qui lui enlève tout espoir et toute possibilité de réintégrer la vie normale. Ils savent tous qu'ils ne sortiront jamais de là...



On peut comprendre qu'à l'époque où le roman fut publié dans le "Novy Mir" il fallu couper quelques passages pour la publication (pourtant, ils n'étaient pas excessifs, ces passages) et que cela péta comme une bombe dans l'opinion russe puisque c'était la première fois qu'un écrivain parlait des goulags, lui qui y avait été.



Un grand roman à découvrir !


Lien : https://thecanniballecteur.w..
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Une journée d'Ivan Denissovitch

Au Goulag , rien ne vous est epargné !!! Les brimades se suivent sans repit , le but ultime etant bien sur de vous casser , de vous briser afin que votre volonté soit aneantie , lavée de tout residu anti-patriotique faisant ainsi de vous un homme neuf , fidele aux idees du Soviet Supreme.



Livre glaçant s'il en est..( sans vilain jeu de mot car bosser par -30 , a moins d'etre un ours polaire..) Une fois l'effort d'immersion accompli ,rendu delicat par la redaction argotique de ce recit d'epoque et qui a necessité , pour ma part , un petit temps d'adaptation , l'on se prend d'affection pour Choukhov , et sa resignation ( comment ne pas l'etre) s'apparentant souvent a une certaine philosophie de vie (de survie serait plus appropriée ).



La faim , le froid , les maladies , les embrouilles entre prisonniers , et ces comptages qui n'en finissent pas sont ainsi le lot journalier , mensuel , annuel..de ces "reeduques" qui , pour les plus chanceux , ressortiront libres alors que leurs camarades , eux , le feront les pieds devant.





Un livre puissant , dur , d'une immense tristesse au regard de toutes ces vies sacrifiees au profit d'un ideal socialisme omnipotent...

Un livre necessaire...
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Le Premier Cercle

Les dirigeants communistes ne manquaient d’imagination pour réprimer leurs propres citoyens. Toutefois, comme certains le croient, les fameux goulags n’étaient pas toujours la seule solution. Comme dans l’enfer de Dante, le système pénitentiaire russe comportait quelques cercles, et parfois certains ne s’arrêtaient qu’au premier. Surtout ceux qui, malgré leurs opinions divergentes ou leurs faux pas (ou simplement la malchance d’une dénonciation mensongère), avaient une expertise à offrir à l’empire. C’est ce qu’Alexandre Soljenitsyne essaie de faire connaitre, plongeant dans des souvenirs surement douloureux, en racontant son histoire et celle de centaines, voire de milliers, autres compatriotes ou ressortissants de pays satellites voisins. Et c’est toute une histoire ! Avec ses 978 pages (dans l’édition Robert Laffont), ce pavé peut en intimider plus d’un.



Mais pas moi ! Alors je m’y suis lancé. Dès le début, Innokenti Volodine, un conseiller d’État de deuxième classe, prend le risque de contacter une ambassade « ennemie » d’un complot. Le chapitre se termine sur cette conversation téléphonique terminée trop tôt lorsque la ligne fut coupée Voilà, j’étais happé !



Toutefois, ce Volodine disparaît aussitôt. Dans les chapitres qui suivent, je ne retrouve plus aucun repère, je suis confronté à des nouveaux personnages, Reutman, Nerjine, Roubine, Vereniov, Iakonov, etc. Qui sont-ils ? Des malchanceux qui ont atterri dans le premier cercle pénitentiaire : la charachka. Que de destins et de vies gâchées ! On apprendra peu à peu leur histoire (comment ils en sont arrivés là) et leur quotidien dans ces laboratoires russes ultra secrets. Après tout, pourquoi gaspiller le talent (scientifiques et techniciens émérites) dans des travaux physiques en Sibérie quand on peut lui trouver une utilité ? N’empêche, les têtes fortes, qu’elles se tiennent tranquille, sinon elles sont refoulées aux cercles suivants. D’ailleurs, certains du groupe finiront par rejoindre le goulag.



Tout cela, j’aurais dû m’en douter. Comme dans d’autres de ses romans (par exemple, L’archipel du goulag et La pavillon des cancéreux), Soljenitsyne ne s’intéresse pas qu’au sort d’un seul individu, il s’attaque à décrire, à dénoncer une situation érigée en un système (malheureusement) efficace. Et c’est tout à son honneur. Évidemment, la charachka, même si ce n’était pas aussi terrible que le goulag, ça restait tout de même un centre de détention. Au-delà des longueus heures de travail monotone et silencieux, il y avait les abus et harcèlements des militaires chargés de les surveiller mais également la situation pénible des proches des prisonniers, tout autant suspects, bien souvent victimes d’ostracisme et de discrimination. Cette monotonie que les personnages vivent, le lecteur la ressentira aussi. Impossible de passer à côté. Soljenitsyne a livré un témoignange très complet de la situaiton. Donc, ceux qui recherchent les péripéties et les émotions fortes, passez votre tour. Toutefois, si vous êtes fascinés par l’histoire et le régime communiste tout particulièrement, vous serez servi.
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Le pavillon des cancéreux

Que dire sur ce livre qui n'ait déjà été dit ? Qu'ajouter aux critiques et aux commentaires déjà écrits ? Et pourtant, j'ai envie d'en parler tant ce livre reste présent dans mon esprit, la dernière page tournée.

Il y a des livres qu'on ouvre pour "imaginer", d'autres pour "voyager", d'autres pour "apprendre" - découvrir une autre Culture, un autre pays, un période de l'histoire du monde.

Certains sont légers, véritables nuages de l'esprit qui s'envole en les parcourant, au contraire de ceux qui maintiennent l'esprit sous emprise, qui empoisonnent les pensées, empêchant presque de respirer, on ne peut s'en éloigner : ce récit est de ceux-là !



Alexandre Soljenitsyne que je connaissais pour avoir lu des recueils de nouvelles - La Maison de Matriona ou Zacharie L'escarcelle, sait en impressionniste qu'il est, faire surgir en trois coups de crayons, trois phrases des personnages habités d'autant de réalité que possible. En deux pages, la nouvelle - genre où il excelle, fait naître un être dont le souvenir va vous accompagner bien après la lecture.



Et bien, là, c'est le même talent mais de façon démultipliée. En montant les marches du pavillon 13, celui des cancéreux, vous allez rencontrer une multitude de personnages, tous différents, comme autant de facettes de la Russie, comme autant de regards sur la société russe et l'Histoire de ce multiple pays.

Si les pages qui se déroulent dans ces chambres, dans ce lieu de soin, sont parfois terribles à lire, les pages qui constituent la dernière partie du récit le seront bien davantage, quittant cette "unité de lieu" qu'est l'hôpital, elles réunissent et ordonnent les destinées de tous les protagonistes, pour évoquer les caractères qui composent la société russe, pour évoquer les différences de pensées qui ont écrit l'histoire de pays et suggérer ce que sera l'avenir individuel et collectif.



De leur séjour au Pavillon, vous partagez les journées qu'il faut remplir des obligations et meubler des moments de solitude inéluctables. Les décisions à prendre varient en fonction du temps qui passe, en fonction du regard qui change sur la maladie, en fonction de l'espace qui s'amenuise vers l'inéluctable : le traitement refusé hier, s'avère le seul acceptable aujourd'hui et sera obsolète demain...



Des liens se tissent entre les malades, des rancoeurs s'édifient, construites du passé de chacun. Si certains se reconnaissent dans la même misère partagée, les mêmes geôles traversées, ils n'échangeront au mieux que quelques mots, quelques souvenirs pudiques mais ne créeront aucun lien car sur l'inhumanité du passé, aucun élan d'amitié ne peut fleurir. Si certains reconnaissent en l'autre, celui qui les a dénoncés, celui qui a "profité", celui qui a continué à vivre pendant qu'on les enfermait, qu'on les déportait, qu'on leur imposait la relégation, aucune haine ne survit cependant sur l'avilissement que celui-ci a fait subir à ceux-là.

Comme le dit un personnage : "L'homme est tyran, traître ou reclus" et les journées qui passent distribuent tous les malades et personnels du service croisés au sein des trois catégories.



L'un des personnage m'a émue aux larmes - petit à petit inconsciemment, je lui ai donné la stature et les traits de Varlam Chalamov. Cet homme relégué, qui s'est traîné jusqu'à l'hôpital au plus mal, alors qu'il n'en espère finalement aucun salut, cet homme brisé qui garde son calme et reste digne devant la calomnie et les idées qui l'ont anéanti, il est celui qui n'a plus sa place dans cette vie, où le cours de l'Histoire ne s'est pas arrêté pendant les années de camp, de sorte que la vie qu'il entrevoit, il la refuse, n'aspirant finalement qu'à pouvoir retrouver le lieu isolé de sa relégation, son jardin et ceux dont il a partagé les ténèbres. Si l'amnistie arrive un jour, alors pourra-t-il espérer aller à Leningrad caresser les colonnes de Saint Isaac, les édifices n'ont jamais pris parti contre l'Homme et il n'en craint donc rien de mauvais.



Quand Alexandre Soljenitsyne évoque les animaux - et il le fait souvent, c'est pour mieux faire entrevoir dans leur regard, la part d'humanité qui a déserté l'homme : c'est Jouk le chien réconfortant ou la macaque placide du zoo qui renvoient, par les sévices subis l'homme à sa lâcheté et éteignent l'espoir d'une autre vie possible.



De celui qui ne peut vivre sans oublier les automatismes de survie en camp à celle qui attend son mari détenu et qui implore " Ne l'avez-vous donc pas connu, là-bas ,", de ce jeune homme pauvre qui ne rêve que de s'instruire et qu'on va amputer à ceux qui, malgré les promesses balbutiantes d'une thérapie nouvelles des rayons, vivent la fin d'une existence, de ces anonymes qui continuent à rejeter celui qui a été arrêté sans raisons à ces deux femmes qui essayent de le faire à nouveau exister, il reste les visages ancrés dans mes pensées et je ne peux les quitter. Même les plus antipathiques d'entre eux gardent, grâce aux prouesses et au talent de l'écriture une réalité qui ne s'efface pas. le récit ne m'a jamais paru long, ni ennuyeux : oserais-je dire que j'aurais aimé qu'il se poursuive encore ?



Parfois, comme un clin d'oeil, on pose au lecteur la question de savoir quel personnage de récit, il aurait aimé rencontrer, je sais aujourd'hui que ce serait Oleg Filemonovith Kostoglotov ! Merci à "l'ami" qui me l'a fait rencontrer et m'a peut-être ainsi donné les clefs pour reprendre la lecture des "Récits de la Kolyma" de Varlam Chalamov.





Et merci à ceux qui auront eu la patience de lire cet avis bien long !





(Avril 2021)



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Une journée d'Ivan Denissovitch

Qu'est-ce qu'une journée dans une vie ? Pas grand-chose, non ?

Alors, qu'a-t-elle de particulier cette journée dont il est question dans ce livre ?



Tout d'abord, ce n'est pas celle d'un homme ordinaire, mais celle d'un zek, c'est à dire d'un prisonnier du goulag en URSS.

Cette journée laborieuse que l'auteur nous décrit par le menu, sans temps mort, d'une seule traite, nous semble sans fin.

Et surtout on perçoit qu'elle est semblable aux milliers qui l'ont précédée et aux milliers d'autres qui la suivront.

Tout l'art de Soljenitsyne est là : en peu de pages, faire sentir au lecteur la lenteur de l'écoulement du temps, la répétitivité des tâches effectuées par les zeks, l'absence d'espoir devant une durée de peine qui n'autorise aucun rêve.



Ne pouvant songer à l'avenir, les zeks ne sont préoccupés que par l'instant présent et ne pensent qu'à deux choses : manger et se protéger le mieux possible du froid sibérien.

Dans cette misère commune, ils font preuve d'une entraide virile, rugueuse et forcément touchante. Mais ils savent aussi se montrer très égoïstes et personnels par moments lorsque se présente l'occasion d'obtenir un peu plus de nourriture, de meilleurs vêtements contre le froid, une meilleure place où dormir ou une petite faveur auprès des gardiens.

Sojenitsyne décrit là une dualité qui peut paraître étonnante à première vue, mais qui est tout à fait logique compte tenu des conditions de vie dans le camp.



Dans un texte court et percutant, l'auteur fait comprendre l'arbitraire des arrestations, la longueur démesurée des peines infligées, l'inhumanité des goulags : toutes les horreurs du stalinisme, qu'il ne faut surtout pas oublier.

Il le fait avec une grande sobriété, et le résultat est d'autant plus fort, plus saisissant.

Avec ce premier roman (écrit en seulement deux mois !), Sojenitsyne fait preuve d'emblée d'un immense talent d'écrivain.
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