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Critiques de Annie Ernaux (2584)
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La place

Livre coup de coeur lu à l'adolescence, puis lu et relu tant ce texte me bouleverse toujours.



Depuis, je suis devenue une inconditionnelle d'Annie Ernaux, si singulière dans son exploration du récit vrai, sa manière de partir de soi pour dire les autres, pour nous dire le Monde.



Oui, Annie Ernaux occupe une position essentielle dans la littérature, car dès la fin des années 70, elle a inventé l'auto-sociologie et proposé telle une ethnographe de sa mémoire et ainsi de LA mémoire en général, des oeuvres pour "sauver quelque chose du temps où on se sera plus."



Toujours creuser l'intime pour comprendre les moments de trahison sociale ou sentimentale. La notion de "transfuge de classe" qu'elle souligne est par ailleurs passionnante, notamment dans ce texte entre le père et la fille.



Jamais d'artifice dans son écriture, mais une écriture en auto-fiction comme un couteau planté dans le quotidien.

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Mémoire de fille

Je ne sais jamais trop, avec Annie Ernaux, sauf pour "La femme gelée" et "Une femme", dont je sens qu'ils sont très bons.

Là, je suis partagée. Je l'ai lu vite, peut-être trop vite. J'attendais quelque chose, qui n'est jamais venu. J'attendais pourquoi elle nous annonce au début un tel drame. La raison pour laquelle elle nous dit que ce livre la hante depuis 1958 et qu'elle n'a jamais réussi à l'écrire avant cette année là, 2014. Je ne vois pas ce qu'il y a d'extraordinaire et de traumatisant dans l'expérience de "la fille de 1958". Il faut dire que je suis peut-être aveuglée par mes récentes lectures un peu dures, autour de la seconde guerre mondiale...

Voilà, Annie nous raconte sa "première fois". Dans une colo avec le mono. Le mono, comme tous les monos, est blond, baraqué, bronzé, prof de gym. Il saute tout ce qui bouge, normal, c'est un mono (Annie, t'as pas vu les Bronzés ? ) Annie est une intello à lunettes toute naïve et qui fait la folle parce que c'est la première fois qu'elle est en "vacances" sans ses parents. A la sur-pat (surprise-partie, c'est Retour vers le Futur, on est en 1958, Doc) H, le mono, saute sur Annie sans tambour ni trompette, l'emmène dans sa chambre et passe directement aux choses sérieuses. Bon, c'est un peu rapide et violent. Annie ne dit pas non, pas vraiment oui, en fait, elle ne pense pas grand chose et, en réalité, ce n'est pas vraiment une "première fois". (Désolée pour le spoil, mais ce n'est pas vraiment un texte à suspens) Ensuite, Annie gaffe, le mono la jette pour "la Blonde", Annie tombe folle de lui, et elle se met aussi à sauter sur tout ce qui bouge à la colo. Sauf qu'Annie est une fille, et que ça change tout. Les autres -filles et garçons-la jugent "putain sur les bords" (sic) , fille facile. Mais pour elle, malgré tout, c'est un été de liberté, enchanté...Mais dans les deux années qui suivent, son psychisme se rebelle...

Annie est beaucoup plus intelligente que ce que je résume là. Le texte est très intéressant sous plusieurs angles :

-d'abord, sa réaction à l'assaut du mâle, qui est une absence de réaction, comme si de l'innocence totale de son esprit naissait tout à coup une soumission ancestrale à cette violence animale. Mais le corps d'Annie, malgré le mâle, malgré la fille, se refuse.

-Ensuite sa réaction de libération complète des carcans de l'éducation dont on ne sait jamais clairement si c'est elle, l'attitude saine et pourtant violemment critiquée par les autres, ou si ce sont les conséquences qui sont normales, cette honte qui naît peu à peu, ce repli du corps et de l'esprit. Qui est dans le vrai, la fille de 1958, totalement folle d'elle-même et de son désir des hommes, ou celle de 1960, qui a honte ?

-Le paradoxe entretenu entre une libération sexuelle incontrôlée en 1958 et la naissance chez elle d'une conscience féministe en 1959, à la lecture du Deuxième Sexe, qui la poussera à se ranger...Pour se protéger de la honte de son propre désir.

-C'est la description d'un monde entièrement dominé par le désir masculin, un monde qui vacille un peu aujourd'hui, qui tangue sur ses bases, mais très difficilement.

-L'écriture d'Annie tente d'approcher au plus près celle qu'elle appelle "la fille de 1958". C'est une entreprise de pure autobiographie (certainement pas d'autofiction !!) avec un pacte autobiographique en béton armé : la vérité, rien que la vérité...Mais, je trouve qu'elle ne va pas encore assez loin. Sinon, je ne me demanderais pas : mais qu'y avait-il de si terrible pour que cette expérience soit à ce point une brûlure au fer rouge ? Sois plus claire, Annie. Qu'est-ce que cet homme a détruit en toi ? Tu ne vas pas assez au fond des ténèbres, tu les effleures. C'est à cause de ton écriture neutre, de ta froideur. Il y avait encore des choses à sortir, à montrer, sur l'innocence et le sang, la violence du monde.

Très intéressant, en tout cas. Une véritable expérience littéraire, au sens poétique.
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Passion simple

Oui, bon, Annie est amoureuse. Annie c'est un peu comme Martine, elle vit toutes sortes d'expériences dont elle nous fait profiter et qu'elle nous raconte par le menu.



Ce coup-ci Annie aime un homme plus jeune qu'elle (exit le mari, je n'ai pas lu cet épisode mais je suis sûre qu'il existe), un bellâtre venu du froid, genre Alain Delon blond aux yeux verts, marié, riche et pas intellectuel pour un sou. Et comme l'élu de son coeur est peu disponible, entre des shoppings pour acheter des dessous affriolants, ses cours et la correction de copies, Annie se morfond, rêve de situations scabreuses avec A (dont elle est obligée bien sûr de masquer le nom) et souffre de s'imaginer trompée.



Moi je la trouve un peu vieille pour ce genre de fantaisies, Annie. Elle devrait, je ne sais pas, faire de la broderie, jouer au bridge, peindre sur porcelaine ou écrire un livre sur l'art d'être grand-mère. Tout plutôt que nous narrer ses fantasmes avec un homme de l'Est. Même si elle se confesse avec talent, je trouve ça vaguement déplacé, un peu déplaisant. Je mets trois étoiles quand même à Annie, au nom du droit à la sexualité des personnes âgées.

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L'autre fille

L'autre fille, est un récit autobiographique sur la soeur d. A Ernaux décédée prématurément à l'âge de 6 ans, avant que cette dernière n'advienne au monde.

C'est par un "bel après-midi d'été", qu' A. Ernaux l' apprend indirectement, au cours d'une discussion entre sa mère et une voisine.

Elle découvre alors le chagrin de ses parents et entend sa mère dire à son interlocutrice que la fillette décédée" était plus gentille que celle-là." ! La vivante !

Ce secret de famille ainsi que les paroles proférées par sa mère, ne cessent alors d'interroger la narratrice sur la signification de ce mot « Gentille » évoqué ce jour-là, mettant ainsi les deux fillettes côte à côte, perturbant un certain équilibre chez la narratrice.

A partir de l'âge de 10 ans, celle-ci prend conscience qu'elle n'est pas fille unique, la morte de dresse entre ses parents et elle.

Cette éternelle petite fille est désormais érigée en sainte tandis qu'elle est le démon.

Pour la narratrice, il fallait que cette soeur meure pour qu'elle vive.

De cette morte, il n'en sera pas parlé en famille, le sujet reste douloureusement tabou et instaure chez la narratrice une sensation d'irréalité, un fantôme errant dans la famille, un cadavre dans un placard qu'on ne peut rouvrir. A Ernaux dira d'elle qu'elle est « l'anti-langage ». Cette absence de parole enfermée dans le chagrin marque le récit.

Le livre en forme de lettre dans lequel elle s'adresse à la morte se centre sur l'impossibilité pour la narratrice de se représenter cette soeur et du coup de la reconnaître en tant que telle, on est dans l'indicible. Si elle vit un tant soit, peu c'est uniquement de manière fantasmée chez la narratrice qui reste finalement unique. elle la fait finalement revivre dans l'écriture mais le questionnement demeure ainsi qu'une sorte de culpabilité de vivre à la place d'une autre sans jamais pouvoir la rejoindre.

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L'événement

Aux six juges de la Cour suprême des États-Unis (six contre trois) qui ont statué que la Constitution américaine ne confère pas le droit à l'avortement,

Au gouvernement hongrois qui a fait inscrire dans la constitution que "la vie humaine est protégée depuis la conception",

Au parlement polonais qui n’autorise l'avortement qu’en cas de "danger pour la mère ou de viol",

Et aux milliers d’autres législateurs qui s’arrogent un droit absolu sur le corps, le choix et la vie des femmes,

Apprenez qu’une femme qui veut avorter le fera.

Dans la clandestinité, l’illégalité, le danger de mort, quels que soient les risques encourus, mais elle avortera. Elle a-vor-te-ra.

L’immense obstination à avorter n’a jamais été aussi bien traduite que par Annie Ernaux. Son "évènement" en 1963, elle l’a porté en elle pendant plus de trente ans, jusqu’à l’écriture de ce livre en 1999, et elle en reconstitue avec minutie les épisodes grâce à ses notes d’alors, agenda, journal intime, avec une admirable sincérité.

Et avec une acuité terrible, elle analyse même la différence de traitement entre son statut d’étudiante et celui d’une "vendeuse de Monoprix" : même si la sororité du malheur existe, la classe ouvrière, sans argent, sans respect, souffre encore davantage.

Mais qui a bien pu juger que l’écriture d’Annie Ernaux était "blanche", "neutre" ? Pour ma part elle m’a soulevée d’émotion à chaque page, chaque mot. Choisir une citation ? J'aurais voulu vous recopier tout le livre…

À l’annonce de son prix Nobel, j’ai filé emprunter trois œuvres d’Annie Ernaux à la bibliothèque ; j’ai commencé par "L’évènement"car j’avais tellement, tellement aimé le film. Et sans images, sans musique, ce roman, ces mots nus, m’ont bouleversée encore bien davantage.
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Une Femme

Je viens de terminer L'homme de ma vie de Yann Queffélec et enchaîne avec ce court livre d'Annie Ernaux. D'elle, je ne connais rien. Elle écrit bien. Le sujet m'intéresse. Comme le père de Queffélec, la mère d'Annie est la femme de sa vie. Une femme d'un milieu simple dont la volonté d'évoluer a permis à sa fille d'être ce qu'elle est, une intellectuelle ; une réussite qui la rend fière mais creuse un fossé infranchissable entre elles.



Le récit d'Annie Ernaux est authentique, courageux, et pudique. C'est un très beau témoignage, sans fioritures, qui ne cache rien de l'ambivalence des sentiments de l'auteure envers sa mère, celle dont elle a dit après sa mort : " je n'entendrai plus sa voix. C'est elle, et ses paroles, ses mains, ses gestes, sa manière de rire et de marcher, qui unissaient la femme que je suis à l'enfant que j'ai été. J'ai perdu le dernier lien avec le monde dont je suis issue. " Tout est dit.







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Journal du dehors

Ouvrage qui m'a été donné pour être catalogué puis plus tard mis en rayon dans la médiathèque où je travaille, j'ai été piqué au vif et ai eu l'envie de le découvrir avant tout ce travail interne.



De 1985 à 1992, Annie Ernaux a décrit des petites tranches de vie, des saynètes saisies dans le R.E.R, le supermarché, chez le boucher ou ailleurs, bref, des petits moments a priori anodins qui sont pourtant non seulement révélateurs de toute une époque mais retranscrivent à merveille ce qu'est la vie, celle des autres dans un premier temps mais qui vient se confondre avec celle de l'auteure et la nôtre finalement.

C'es là où le lecteur se rend compte que depuis près de trente ans, certaines habitudes sont toujours les même, idem pour les faits divers et que la vie n'évolue que très lentement. Certes, il y a certaines enseignes qui ont disparu mais remplacées par d'autres et au final, ce n'est qu'un mot qui change car le contexte, lui, reste le même, certains préjugés aussi, certaines façons de penser malheureusement aussi !



Un livre bien écrit, très vite lu , ave=c une chute exceptionnelle je l'avoue (vous vous en rendrez compte si vous vous décidez à découvrir cet ouvrage par vous-même, à moins que ce ne soit déjà fait, alors je vous encouragerai certainement à le relire car vous serez fort surpris de ce que voue pourriez y découvrir, même après une seconde lecture ! Une lecture agréable mais dont je garderai certainement pas un souvenir intemporel et il est cependant déplorable d'y découvrir que certaines choses n'ont pas changé et ne changeront probablement jamais !



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Le jeune homme

Annie Ernaux passe-t-elle encore les portes ?

J'en doute, le melon de la dame s'approchant plutôt d'une pastèque siamoise gonflée aux hormones brésiliennes. Appeler livre ou roman cette petite chose ridicule de 27 pages.

À la fin de la chose, 3 pages entièrement blanches, Gallimard ne sachant visiblement pas quoi inventer pour donner volume et ampleur à un texte aussi pauvre et donner l'illusion au lecteur pigeon qu'il n'achète pas que du vide. Heureusement, je l'ai emprunté à la médiathèque ! Quoi qu'il en soit, ce n'est pas le souci de l'écologie qui étouffe Gallimard.

S'il n'y avait que ça, car tout compte fait, c'étaient peut-être les 3 pages blanches les moins pénibles à lire… Les 27 autres m'ont constamment hérissé le poil.

Prix Nobel, vraiment ?

J'ai visiblement un gros problème avec ce prix, Modiano me faisant peu ou prou le même effet.

Il est certain qu'Annie Ernaux arrive à faire passer un maximum d'idées et d'images en très peu de lignes. J'ai lu dans une chronique babéliote le terme « d'écriture au couteau » et je la trouve parfaitement appropriée.

Si je n'ai rien à dire sur la forme, le fond m'a beaucoup dérangé. Ce texte aurait pu s'appeler « le mépris », c'est le seul mot qui me vient à l'esprit après ma première lecture et me semble tout résumer.

Quel mépris : mon Dieu, que cette dame a une très haute opinion d'elle-même, ça transpire à toutes les pages. Tout au long de ma lecture je n'ai pu que ressentir un profond malaise à imaginer le fameux jeune homme lire ce texte. Alors qu'il vouait visiblement une admiration béate à cette femme, espérait un enfant avec elle, quelle claque, quelle gifle ! Se rendre compte que l'on a été à ce point berné, manipulé ! Où est l'amour là-dedans, j'ai eu beau chercher dans ces 27 pages, je n'ai rien trouvé !

« Il y a trente ans je me serais détournée de lui. Je ne voulais pas alors retrouver dans un garçon les signes de mon origine populaire, tout ce que je trouvais « plouc » et que je savais avoir été en moi. (p.20) »

Elle ne s'intéresse à ce garçon que pour le fumet de sa basse extraction sociale, qui la ramène à sa propre enfance, à sa jeunesse, un temps révolu dans lequel elle était libre et jouissait sans entraves.

« avec A., j'avais l'impression de rejouer des scènes et des gestes qui avaient déjà eu lieu, la pièce de ma jeunesse. » (p.23)

Quelle condescendance : « Je m'autorisais des réparties brutales dont je ne sais si elles étaient liées à sa dépendance économique ou à son jeune âge. » (p .24)

« Il disait « stop » ou « c'est bon » à la place de « merci » quand je le servais à table. » (p.19)

Faut-il expliquer à Annie Ernaux que c'est peut-être lié au fait qu'il a déjà dit merci, mais que comme elle ne l'écoute pas, elle le ressert quand même ? Parce que sa qualité première à Annie, ça ne semble quand même pas être l'écoute …

Quelle modestie : « J'aimais me penser comme celle qui pouvait changer sa vie » (p.24)

Quel humour : « Lâche-moi la grappe, cette injonction vulgaire qui l'offusquait, je ne l'avais jamais adressée à personne avant lui. (p.24) ». Là je dois avouer que je ne m'en suis pas encore remise, j'en suis encore tout offusquée ! La façon de s'exprimer de 95% des Français doit être un summum de vulgarité pour Dame Ernaux. Dans quel monde vit-elle, et surtout en quelle année ? Enfin, c'est sans nul doute le seul passage du livre qui m'a donné le sourire…

Cependant, je serais tentée de dire que son attitude condescendante est pour moi infiniment plus vulgaire que n'importe quelle expression. La vulgarité est parfois plus dans les actes que dans les mots.

Quelle manipulatrice : Lorsque A. (il n'a même droit à son prénom, lui ou un autre, semble être un individu parfaitement interchangeable et transparent) exprime le souhait d'avoir un enfant avec elle, elle sait très bien qu'elle ne répondra pas à sa demande. Elle n'en retient que la flatterie de son ego et le sentiment de nouvelle jeunesse que cela lui procure : « Il voulait un enfant de moi. Ce désir me troublait et me faisait ressentir comme une injustice profonde d'être en pleine forme physique et de ne plus pouvoir concevoir. Je m'émerveillais que, grâce à la science, il puisse être désormais réalisé après la ménopause, avec l'ovocyte d'une autre femme. Mais je n'avais nulle envie d'entreprendre la démarche en ce sens que mon gynécologue m'avait proposée. Je jouais simplement avec l'idée d'une nouvelle maternité dont, après la naissance de mon deuxième enfant, je n'avais plus jamais voulu. » (p.34)

Donc, Annie Ernaux se joue de A., il est une petite poupée qu'elle prend plaisir à déshabiller pour assouvir ses envies, tout le reste n'est que mascarade et fiction (j'y viens justement).

Quel cynisme : l'auteure ne semble finalement avoir fréquenté A. que pour pouvoir écrire sur sa relation, que pour ce qu'elle pourra en extraire comme substantifique moelle pour alimenter son texte. C'est la mante religieuse prédatrice qui dévore ses amants, toutes mandibules dehors.

« La principale raison que j'avais de vouloir continuer cette histoire, c'est que celle-ci, d'une certaine manière, avait déjà eu lieu, que j'en étais le personnage de fiction. » (p.25)

Quand elle parle d'un moment avec A. qui lui rappelle un moment fort de sa vie passée, elle écrit : « Ce serait juste un souvenir second » (p.36). C'est sympa comme position je trouve, d'être le souvenir second, celui qui sera très vite oublié, et s'effacera au profit d'un autre plus fort, plus vivant, et présente le seul intérêt de le raviver.

Une fois le dernier petit morceau de victime dégusté, la mante vous fixe de ses yeux globuleux, en quête du prochain festin. Et si c'était vous ?

Quel malaise : ce livre n'est donc a priori qu'un pur exercice de style pour Madame Ernaux qui vit une relation pour écrire le roman de sa vie. Stop ! (oui oui je sais, je suis vulgaire).

Premier texte d'Annie Ernaux pour moi, je doute fort qu'il y en ait un second !

Tout compte fait, quel soulagement que ça ne fasse que 27 pages …

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Passion simple



La réflexion sur ce qu’est le sexe , celui de l’homme entrant dans celui d’une femme, le sexe cru, sans jugement moral , Annie Ernaux va la développer dans sa « Passion simple, »,analysant son obsession fanatique pour un homme.

Tout ce qui a rapport plus ou moins avec lui l’intéresse, la voilà prise dans une attente excluant toute autre activité, toute autre pensée, ravagée elle est, entre l’espoir qu’il appelle, souvenir des scènes torrides et certitude qu’il va la quitter ( un peu comme le désespoir qui la submergeait avant le résultat des examens.)

C’est un peu un examen qu’elle passe, ou un livre qu’elle écrit, car le sexe, dit-elle, est le vrai objet du fait d’écrire.

« je n’étais plus que du temps passant à travers moi ».

Plus rien n’importe, que la présence de cet homme A : par une pensée proche de la sorcellerie, elle donne, « S’il m’appelle avant la fin du mois, je donne cinq cent francs à un organisme humanitaire ».elle éprouve de la compassion pour les marginaux, comme si cette compassion lui gagnerait celle de A, son amour.



Enfin, qu’il lui fasse l’amour, car cette passion digne d’une sainte , qu’elle a cru réciproque lorsqu’il lui disait : « j’ai roulé comme un fou pour venir », se délite, se tiédit, force lui est de constater que ce qu’il veut, et ce qui la bouleverse, l’angoisse et la stupéfie, c’est faire l’amour .

Peu importe, ce qui importe, c’est qu’il appelle, et pour cela seule une pensée magique, avec ce que cela comporte de croyance inutile, peut apaiser sa douleur.

Car la passion, au sens étymologique du terme, est un chemin vers la mort.

Les vœux, les promesses qu’elle se fait à elle-même. la superstition toujours présente dans l’attente, vont lui servir à écrire, pour rester dans ce temps-là, qui n’est plus.

Magnifique réflexion sur l’amour inconditionnel pas partagé, et sur l’écriture de cette passion, sur ce qui la pousse à écrire, avec toute les difficultés qui se posent pour présenter une fiction, ou une autobiographie, ou le mélange des deux.

« C’est ce retour, irréel, presque inexistant, qui donne à ma passion tout son sens, qui est de ne pas en avoir, d’avoir été deux ans la réalité la plus violente qui soit et la moins explicable »

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La femme gelée

J'ai longuement hésité avant de rédiger ce retour, parce c'est un exercice que je n'aime guère quand je n'ai vraiment pas apprécié ma lecture.

Je ne me répandrai pas sur le résumé de cette autobiographie, sachez juste qu'Annie Ernaux nous raconte longuement son enfance et son adolescence normande, au sein d'un foyer atypique pour l'époque. Maman est commerçante, elle tient une épicerie et n'est guère adepte des tâches ménagères. Papa tient le bistrot attenant et fait la cuisine. Et on éduque la petite Annie dans l'idée qu'il ne faut pas se laisser asservir par le mariage et la maternité, et vivre et s'instruire pour s'accomplir. Très bien, ces beaux principes avec lesquels je suis d'ailleurs fondamentalement d'accord, mais Annie va finalement "se faire avoir" et épouser cet ami, ce presque "frère incestueux" en lequel elle pense avoir trouvé son alter ego. Il s'agit d'ailleurs de son premier époux, Philippe, jamais nommé, dont elle a divorcé l'année de parution de ce livre, qu'elle lui a dédié ! Ils auront deux enfants, surnommés le Bicou et le Pilou, pour lesquels elle éprouve malgré elle des sentiments maternels, mais qui l'entravent dans une vie dont elle ne voulait pas, qui la transforment en cette femme popotte qui fait la cuisine et s'occupe de son intérieur, tout ce qu'elle rejetait avec force auparavant.



On sent une énorme frustration dans ce livre, on a juste envie de lui dire : mais pourquoi alors les avoir faits si jeune ces enfants (à 24 et 28 ans), tu étais éduquée, tu n'avais qu'à choisir de passer ton capes et ton agreg avant, au lieu de gémir sur ton sort ? L'écriture, heurtée, contorsionnée, laisse penser qu'il faut se dépêcher de tout "sortir", comme si après, il sera trop tard...



Elle m'a énervée, cette femme qui a eu une enfance heureuse, une éducation assez rare à cette époque dans son milieu social (elle est issue d'une lignée paysanne), et qui n'a jamais manqué de rien. J'ai trouvé de l'aigreur, du fiel même dans les descriptions de ses "amies", puis de sa vie conjugale. Mais fallait pas y aller, ma grande, personne ne t'a mis le couteau sous la gorge ! Et ce mari, dépeint très vite sous les traits d'un gros macho sourd aux aspirations de sa femme, il ne me paraît pas si imbécile qu'il n'aurait su entendre qu'elle avait besoin de temps, d'espace pour finir ses études avant de penser à fonder une famille. Le dialogue, ça se fait à deux... En plus, elle explique qu'il partageait les corvées et les biberons, en tout cas pour leur premier enfant, ce qui était loin d'être le cas dans toutes les familles des années 60. Enfin, je n'étais pas dans leur lit, fort heureusement, mais j'ai l'impression qu'elle s'est de plus en plus enfermée dans un statut de victime du mariage au détriment de son épanouissement. Pour moi, ce n'est pas une attitude féministe, parce qu'elle se borne à reprocher à l'homme de mener la vie qu'elle voudrait avoir. Rien de constructif là-dedans, juste, je me suis fait gruger et je râle toute seule.



Quant à l'écriture, elle est ennuyeuse, des phrases décousues, syncopées, des énumérations, un style qui se veut travaillé mais m'a juste énervée. Cette femme gelée m'a carrément frigorifiée par sa froideur et son manque d'empathie. Annie et moi, ça finira sans doute là.
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La place

L’auteure raconte la vie de son père après la mort récente de ce dernier. Elle plonge dans les origines de ses parents, de ses grands-parents. Le milieu agricole, puis ouvrier pour son père et ce petit commerce qui permet à ses parents d’évoluer et d’occuper une place dans la société et surtout la vie de leur village. Ce père taiseux, fier, simple, donnant le meilleur à sa fille sans comprendre que cela va créer une frontière entre eux. Annie raconte son enfance aussi, l’ouverture sur un monde que ses parents ne connaissent pas et la distance prise au fur et à mesure du temps. La honte devient la place.



Il n’est pas facile d’écrire sur soi ou sa famille et l’auteure a enlevé tout affect de ses écrits. J’ai aimé ce récit d’une vie simple et d’un autre temps, d’un autre monde où la dignité prenait tout son sens.
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Mémoire de fille

Un chien qui tourne en rond en essayant d'attraper sa queue. Voilà l'image singulière qui me vient spontanément à l'esprit lorsque je referme ce livre, à la fin de ma lecture.



Je n'ai pas choisi ce livre. Personnellement, je m'en serai bien passé. Mais je fais partie d'un groupe de lecture dont le choix s'est porté sur ce titre et cette auteure.

J'avais lu d'autres récits d'Annie Ernaux (La place et L'autre fille), toujours centrés sur elle-même et que je n'avais pas appréciés. Je n'aime pas les gens qui se regardent se regarder. Je n'aime pas les gens narcissiques. Je regrette d'avoir eu à payer cette consultation, j'aurais préféré que ce soit elle qui me paie pour avoir abusé de mon temps, j'aurais trouvé ça beaucoup plus rationnel et méritant. Une autre chose encore que je n'aime pas dans ce genre d'écrits, ce sont les règlements de compte sur fond de papier, en faisant semblant d'utiliser les initiales de personnes ou de lieux pour maintenir un hypocrite anonymat.



Dans ce livre, l'auteure s'arrête sur la jeune fille qu'elle était en 1958 et de son premier rapport sexuel. De cette introspection, je n'ai apprécié que l'analyse de la vie quotidienne des jeunes des années cinquante et soixante, et surtout celle des filles, avec l'émancipation féminine en marche et sa difficile mise en place. Une analyse qui replace la femme, celle d'aujourd'hui n'en est pas exclue, dans ses attentes, ses désirs et ses désillusions quant à la sexualité et la condition féminine.



D'aucuns disent que son écriture est sublime et que Marcel Proust n'a qu'à bien se tenir. Moi, ça me fait doucement rigoler, ce genre de propos. Des Marcel Proust, j'en connais plein. J'entends par là des personnes qui aiment parler d'elles. Elle écrit bien certes et se lit facilement. D'autant plus facilement qu'elle ne parle que d'elle donc ça devient ronronnant, surtout lorsqu'elle nous livre ses investigations sur Internet pour retrouver ses copains d'avant...

D'autres disent que ce livre est le chaînon manquant de sa biographie et de la compréhension de son auteure. Pourquoi donc freiner ainsi Annie Ernaux ? Elle ne nous a pas encore parlé de la jeune femme de 1969 (année érotique), ni de celle des années 80 (femme jusqu'au bout des seins), etc. Et surtout, moi, j'aimerais qu'elle nous parle de la centenaire qu'elle sera en 2040. Qu'elle fasse preuve, pour une fois, d'imagination pour nous annoncer l'avenir et terminer de ressasser le passé. Mais je gage que la critique qualifiera ce livre de celui de la maturité !



J'assume mes choix et mes non-choix. de toute façon, il y a tant de nouveautés à lire chaque année que je peux faire l'impasse, et sans me priver, sur ceux d'Annie Ernaux.


Lien : http://mes-petites-boites.ov..
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Les années

Beau défilé de chroniques des années de la France d'après-guerre jusqu'aux années 2000 d'après des photos, des faits, des affiches.

Pour moi, un récit doit vibrer et non défiler froidement comme si tout se passait en dehors du narrateur.

Une société, c'est vrai que ça se décrit, ça se raconte mais il faut quelque chose d'humain : de l'humour, des sentiments, des liens.

Le petit je ne sais quoi qui fait que le lecteur se passionne.

Je suis très vite tombée dans l'ennui en lisant ce livre car il ne me rappelait rien que j'aie connu. Je suis sûre que l'ennui m'aurait été épargné si les personnages avaient été plus humains comme dans le livre "En vieillissant, les hommes pleurent" de Jean-Luc Seigle ou dans un autre livre d'Annie Ernaux "Une femme" qui raconte la vie de sa mère.

Cet ouvrage-ci a plus une portée sociologique et je ne peux m'empêcher de penser que la société était bien triste vue par Annie Ernaux.

Côté pilule, par exemple, en Belgique, nous avions des centres de planning familial . Pas besoin de la bénédiction des parents.

Je suis née en 1956 mais j'ai une vision plus dynamique, plus joyeuse, plus insouciante de notre jeunesse et je me dis que sa vision n'est pas à généraliser.

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La place

Annie Ernaux fut longtemps pour moi un nom, un nom d'écrivain. Je n'avais jamais songé à la lire, ses livres si minces m'inspirait même une sorte de méfiance.

Pouvait-on écrire des livres si fins ?

D'habitude, les prix de littérature ne me fascinent pas mais tout de même, c'est grâce à son Nobel que l'idée de lire Annie Ernaux s'est concrétisée et je ne le regrette pas.

Après avoir lu : Les années, je me suis tournée vers les livres qu'elle a écrit sur ses parents.

Sa mère d'abord, puis aujourd'hui son père avec La place.

Et, je les trouve tous les deux splendides. Il est très difficile d'écrire sur ses parents. Elle réussit cette gageure avec brio, avec des mots simples, "une écriture plate" comme elle dit.

Certains passages de ce livre m'ont fait penser à la chanson de Daniel Guichard : Mon vieux.

Comment vivre pendant des années auprès de son père sans le comprendre vraiment, sans ressentir ce qu'il pensait.

Sa condition sociale est une difficulté de plus, après une jeunesse rude à la campagne, des pas dans le monde ouvrier, puis un petit commerçant avec son épicerie café.

Comment faisait-il le lien avec sa fille qui vivra dans un monde tellement différent ?

Très émouvant ce passage

"Peut-être sa plus grande fierté, ou même la justification de son existence : que j'appartienne au monde qui l'avait dédaigné"



Je sais, aujourd'hui, en ayant lu ce livre, qu'un livre fin peut être puissant et rendre un très bel hommage à un père.
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Les années

De la grisaille au culte d'Apple

OU

des méfaits cognitifs de l'hédonisme.



Dans mes explorations des romans contemporains, j'ai rencontré le nom d'Annie Ernaux en lisant des critiques. Il y en a des volumes, sur Babelio. Pour me former une opinion, j'ai choisi le roman qui me semblait être le plus ambitieux, ou le mieux abouti: Les Années.



Dans son discours d'acceptation du Nobel, elle dit écrire pour venger les siens, des humbles, et les femmes, ses soeurs. Elle se veut aussi opposante à l'extrême droite. de tout cela, je n'ai pas retrouvé grand'chose de bien explicite ici. Il s'agit plutôt d'une exploration chronologique de sa vie, dans le contexte où elle l'a vécue. Un récit ethnographique, en quelque sorte. Écrit dans ce style qu'elle justifie par la pudeur, ne voulant ni des larmes ni des ricanements de ses lecteurs, surtout s'ils sont riches.



J'ai eu l'impression d'assister à la projection d'un film, ou d'entreprendre un voyage en train. Les paysages changent, mais chaque paysage a ses maisons, ses prés, ses forêts et ses cours d'eau. L'enfance, l'adolescence, les années d'étude … passent la revue. Et chaque période est accompagnée de nouveaux mots, de marques, de modes, d'activités, de passions, d'événements petits et grands, de la première voiture à l'élection présidentielle ou à la chute du Mur. Ainsi passent les années puis les décennies : trois p'tits tours et puis s'en vont.



Il y a donc de tout dans ce récit. de tout, sauf de projet de vie, mis à part l'envie, sans cesse remise, d'écrire ce roman.. L'engagement politique, tant vanté, se limite à des sympathies, peut-être à un bulletin de vote, et au souvenir de lectures de jeunesse. Pas de philosophie ni d'idéologie, plutôt un hédonisme plat, matérialiste et franchement assumé ( c'est déjà ca). L'écriture serait quête spirituelle, mais elle aboutit à une énumération. L'auteur affirme avoir tellement changé au fil des ans qu'elle n'y voit pas vraiment de continuité personnelle. D'où peut-être le besoin de mettre les choses à plat et d'écrire cette énumération. Pour voir ce qu'il en ressort.



Je crois que là, justement, réside la force de ce roman. Il peint un portrait, que l'on pourrait sans doute qualifier de “naturaliste” ou “ minimaliste” de tout ou partie d'une génération. Celle dont je fais juste encore partie . Bien que venant de contextes différents,aussi sur les plans politiques et philosophiques, je me souviens moi aussi du monde gris de mon enfance. La télévision noir et blanc. La radio qui serinait vingt fois par jour la même chanson. Les convenances. Les questions qu'il ne fallait pas poser, les choses dont on ne pouvait pas parler. Les hypocrisies. La routine. L'ennui. Quand j'ai eu seize ans, j'ai regardé autour de moi, j'ai vu mes copains, leurs mobylettes, leur flipper, leurs parents, leurs trois-pièces-cuisine. Mon prof. d'histoire, qui se disait anarcho-syndicaliste mais vivait en petit-bourgeois, qui avait un vague DEUG mais se prenait pour un intellectuel. Je me suis dit : je ne veux pas être comme eux. Cette vie là, je n'en veux pas. Moi, je ferai quelque chose de ma vie. Je veux être quelqu'un. Je ne sais pas si j'ai réussi mieux que les autres. Mon “moi” de seize ans me jugerait sans doute sévèrement. Je lui dirais que c'est un petit con et qu'il la ferme. Mais je me dirais aussi que si nous avons déconstruit un monde de conventions et de grisaille, nous n'avons pas mis grand chose de valable à la place. Un terrain vague, avec un hypermarché au milieu. le culte d'Apple. Quelle bêtise ! C'est cela, ce que montre ce roman. C'est là sa force. Et c'est pourquoi je crois que ce livre devait être écrit.









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La femme gelée

Ce titre m'intriguait, que signifie: être une femme gelée. J'ai tout d'abord énormément apprécié l'humour acide d'Annie Ernaux pour décrire la réalité crue de la vie d'une jeune femme mariée avec très vite un enfant à s'occuper à plein temps, puisqu'elle a du renoncer à ses études pour que son mari fasse carrière.

Pourtant, tout débute bien autrement pour la narratrice, élevée dans une famille très différente des stéréotypes des années 50.

En effet, ses parents tiennent une épicerie /café, et la narratrice a toujours vu son père faire la vaisselle et sa mère laisser la poussière et préférer lire un livre.

Annie Ernaux, malgré le contre-courant de son éducation n'échappera pas à devenir cette jeune femme qu'elle n'aurait jamais imaginée devenir.

Une mère au foyer, briquant sans relâche perdue dans les affres d'une vie domestique sans fin.

Il est indéniable que ce livre nous parle encore aujourd'hui, que même si une vraie partition des tâches domestiques s'est établie dans les couples. La femme garde le triple travail: ménagère accomplie, mère, travailleuse, dans son cas : prof.

Annie Ernaux résonne comme une petite voix intérieure pour beaucoup de femmes.

Ce roman est un cri, une révolte contre cette société qui a encore beaucoup à apprendre pour hisser la femme dans un réel statut.

Un très bon petit récit à savourer.
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Le jeune homme

« Le Jeune Homme » relate la relation qu'Annie Ernaux, alors âgée de 55 ans, a entretenue avec un jeune homme de 30 ans son cadet, dans les années 1990. Annie Ernaux mesure le fossé des âges et celui de la mémoire dans ce récit qui reprend certains de ses thèmes de prédilections, l'amour, le regard des autres, son rapport au temps…



Ce très court texte, à peine 28 pages, ressemble plus à une chronique racontant une histoire d'amour assez banale entre un homme et femme qu'à un roman. Banale ? Pas tout à fait car c'est la femme qui est beaucoup plus âgée et c'est à travers les yeux de l'auteure que nous percevons l'écart d'âge entre les deux amants. du reste, les événements d'une vie ordinaire ne sont jamais banals pour celui ou celle qui les vit. En fait, le trouble de l'auteure vient moins de la différence d'âge, même si elle se montre bien consciente de la provocation sociale que représente cette relation pour les autres, que de l'impression de revivre des instants déjà vécus, dans cette petite chambre d'étudiant à Rouen, où elle-même fut étudiante dans les mêmes conditions dans les années 1960. L'écart d'âge, c'est dans le regard des autres qu'elle le voit, pas dans celui de ce jeune homme dont on ne saura jamais le nom et dont la jeunesse la transporte dans ses propres expériences de jeunesse, comme un miroir.



L'écriture semble être un moyen pour Annie Ernaux de se libérer des normes et du regard des autres. Au fil des pages, le lecteur découvre comment elle prend conscience de son passé, de son ascension sociale, et s'affirme comme une femme libre.
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Le jeune homme

Annie Ernaux nous raconte l'histoire d'amour qu'elle a vécue avec un homme de trente ans de moins qu'elle. ● Je n'ai pas aimé tous les livres d'Annie Ernaux que j'ai lus : si La Place, par exemple, m'a plu, je n'ai pas aimé La Femme gelée. ● On a pu qualifier son écriture de « blanche », je pense au contraire, en tout cas dans cet opuscule, qu'elle est très travaillée, pour arriver au dénuement le plus pur, « à l'os ». ● Je comprends qu'on puisse ne pas aimer ces phrases qui semblent dépourvues d'affect, même si à mon avis il faut les chercher dans la profondeur du texte, car son écriture est tout sauf superficielle. ● Il y a vraiment dans ce très court récit de très beaux moments d'écriture, comme « ce jeune homme, qui était dans la première fois des choses ». ● le mélange des époques provenant de son union avec un homme beaucoup plus jeune qu'elle, qui lui rappelle sa propre jeunesse, mais aussi évoque sa future mort, est très bien mis en lumière : par exemple « Il rendait le moment présent d'autant plus intense et poignant que nous le vivions comme du passé. » Elle revit avec lui sa jeunesse pauvre et « plouque », maintenant qu'elle est « bourge ». S’inverse ainsi le phénomène qu’elle a analysé dans tous ses livres antérieurs : c’est elle, la transfuge de classe, maintenant « bourge », qui est face au jeune pauvre qu’elle était avant sa mue. ● La thématique de l'inceste court également dans le livre, et il y a cette très belle phrase : « Je voudrais être à l'intérieur de toi et sortir de toi pour te ressembler ». ● L'autobiographie transforme l'auteur en être de fiction, ce qui, par un curieux mécanisme de va-et-vient entre réel et fiction, interfère dans sa vie : « La principale raison que j'avais de vouloir continuer cette histoire, c'est que celle-ci, d'une certaine manière, avait déjà eu lieu, que j'en étais le personnage de fiction. » Comme si la vie n'était vécue que pour être écrite, pour faire littérature. ● Une certaine jeunesse se trouve bien décrite et montre le fossé qui s'établit entre son jeune amant et l'auteur, qui, elle, s'est libérée et a échappé à sa classe sociale par le travail : « Il n'avait jamais voté, n'était pas inscrit sur les listes électorales. Il ne pensait pas qu'on puisse changer quoi que ce soit à la société, il lui suffisait de se glisser dans ses rouages et d'esquiver le travail en profitant des droits qu'elle accordait. C'était un jeune d'aujourd'hui, convaincu de « chacun sa merde ». le travail n'avait pour lui pas d'autre signification que celle d'une contrainte à laquelle il ne voulait pas se soumettre si d'autres façons de vivre étaient possibles. » ● L'utilisation des initiales pour le nom de son amant, « A. » et surtout pour la ville où elle a passé son enfance, « Y. » est assez agaçante, tout le monde sait que c'est Yvetot. Ces demi-cachotteries sont malvenues dans un récit où elle se veut sincère. ● En conclusion, j'ai aimé ce petit livre et je le conseille.
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La place

Dans La place, Annie Ernaux évoque la vie de son père, ouvrier devenu petit commerçant. Bien sûr, elle nous parle d'elle à travers lui, de cette vie qui lui a permis, de faire des études, de s'élever et de devenir enseignante puis femme de lettres. Ceci en dépit de son milieu d'origine dans lequel on est obsédé par le fait de devoir toujours tenir sa place comme on dirait tenir son rang. Être à sa place, savoir garder sa place, peur de ne pas être légitime et d'être remis à sa place, "Toujours parler avec précautions, peur indicible du mot de travers, d'aussi mauvais effet que lâcher un pet". L'importance de la place et l'angoisse qui y est liée sont au coeur du récit.



Ce qui est le plus touchant pour moi, c'est la façon dont elle fait revivre cette catégorie de gens à travers toutes ces petites expressions du quotidien tantôt désuètes, tantôt décalées et c'est ça qui, au delà du côté personnel, en fait un livre plus universel. En effet, chaque fois qu'elle met l'accent sur ces expressions, en italique dans le texte, ce sont mes grand-parents, modestes eux aussi, et des gens de leur génération que j'entends. Et c'est en ça je pense que ce livre nous parle et nous touche.



C'est la mémoire d'une époque qu'Annie Ernaux dépeint à travers la vie de son père grâce à une écriture dont l'apparente simplicité donne encore plus d'intensité au récit. Une écriture simple au service de gens simples.
Lien : http://bouquins-de-poches-en..
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L'autre fille

Pour ma dernière lecture de l'année, j'ai voulu revenir à un livre d'Annie Ernaux.

Découverte l'an dernier, ignorée pendant des années, j'ai senti à quel point ses écrits peuvent toucher et nous concerner.

Peu m'importe les polémiques vraies ou fausses d'ailleurs sur sa personne , son style d'écriture ou son absence. Une chose est certaine, ses livres percutent, troublent , alimentent ce qui ne se dit pas, ce qui ne s'avoue pas.

Là encore avec L'autre fille, elle nous plonge dans les non-dits, les secrets qui peuvent étouffer une personnalité.

Annie Ernaux nous raconte une chose incroyable, elle découvre incidemment alors qu'elle a dix ans l'existence d'une sœur morte à l'âge de six ans.

Jamais ses parents ne lui parleront de cette autre fille qu'ils ont eue avant elle. La seule chose qu'elle sait, c'est qu'elle était plus gentille.

Quel choc, quelles répercussions peuvent avoir ces révélations sur une enfant. C'est ce que Annie Ernaux tente de nous expliquer, de nous relater.

Comment elle a pu vivre avec ce double jamais connu,ni identifié hormis sur quelques photos et des bribes de confidences égrenées par ses cousines, ses tantes.

Ce récit prend la forme d'une lettre qu'elle

adresserai à sa sœur même si bien sûr c'est impossible.

" Pourtant , un fond de pensée magique en moi voudrait que, de façon inconcevable, analogique, elle te parvienne comme m'est parvenue jadis, un dimanche d'été la nouvelle de ton existence.."



Une fois de plus, Annie Ernaux bouleverse, non par son histoire personnelle mais par les messages qu'elle nous transmet à tous et nous laisse sans voix.
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