AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Rainer Maria Rilke (340)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Lettres à un jeune poète

J'ai entendu beaucoup de bien des Lettres À Un Jeune Poète de Rilke. Beaucoup. Alors je m'y suis attardée — un peu — et j'ai trouvé dix lettres, dont quatre au moins sont très courtes. Si l'on en expurge les formules rituelles de politesse et la relation d'une actualité à peu près dénuée d'intérêt à présent, on s'aperçoit que ce qu'il en reste d'exploitable littérairement ou philosophiquement parlant, ou encore à titre de ce que l'on pourrait considérer comme un essai est assez bref.



Toutes les lettres, sauf une, datent de 1903 et 1904 (la dernière étant de 1908), c'est-à-dire, à peu de choses près que ce sont les pensées d'un poète, autour de 28 ans destinées à son correspondant qui avait, lui, autour de 20 ans.



Comme il s'agit d'une correspondance, Rainer Maria Rilke utilise un style très direct ; il y expose sa pensée sans détour, sans trop de précaution, avec un certain nombre de généralisations probablement abusives mais qui passent très bien, et d'autant mieux que l'on est jeune, avec une âme flambante et des désirs d'absolu.



Je pense que j'aurais adoré découvrir ces lettres alors que j'étais lycéenne ; cela m'aurait transportée. Malheureusement, maintenant que je suis devenue un peu vieille et rabat-joie, je les trouve esthétiquement belles et exaltantes, mais, dans le fond, assez creuses et pas très fouillées.



Ce n'est pas désagréable à lire. L'auteur y exprime sa vision de la vie de l'époque, avec un petit côté rassurant pour son interlocuteur. Très bien, mais outre cela, qu'y trouve-t-on ? La vision de Rilke sur la création artistique et poétique, son avis sur la critique, sa profession de foi sur la solitude puis sa théorie sur l'amour véritable.



Sur la création artistique : n'essaie pas de te plier aux modes ni à ce que l'on attend d'un auteur, ferme tes écoutilles et n'écoute que ce qui vient de toi. Tu dois sentir que l'écriture est la seule chose qui compte dans ta vie sinon tu n'es pas fait pour devenir écrivain.



Sur la critique : c'est de la merde, n'écoute pas les critiques, n'aie aucun dogme, ne vénère pas ce qu'on te dit de vénérer, mais vénère quand même Jens Peter Jacobsen. (Tiens ? Y aurait-il comme une forme de contradiction sur ce point précis ?)



Sur la solitude : de toute façon, quoiqu'on fasse, quoiqu'on se leurre, on est toujours et éternellement seul. Mais il ne faut pas s'en affliger, bien au contraire, car c'est cette solitude et cette acceptation qui permettent d'atteindre l'accomplissement de soi et la grandeur maximale qu'il nous est possible d'atteindre. Il faut être serein, laisser du temps au temps, se laisser croître soi-même et tout ira bien.



Sur l'amour véritable : nous sommes démunis et mal préparés. On nous fait miroiter le côté grandiose et extatique — le plaisir, pour faire simple — or, l'amour véritable, c'est bien autre chose que ça. C'est un long travail de domestication de soi-même et de l'autre afin d'arriver à une vie harmonieuse, équilibrée et réciproque, d'ailleurs non dénuée de solitude.



Bon, c'est vrai, c'est très joli tout ça. En première approximation, en première lecture, à chaud cela paraît super mais quand j'essaie de creuser (excusez-moi, c'est une sale habitude que j'ai contractée avec le temps de toujours vouloir creuser, à l'instar de certains chiens mal appris qui maltraitent les belles pelouses), quand j'essaie de creuser, donc, je ne trouve pas grand-chose au bout de ma bêche.



C'est probablement normal, car Rilke lui-même, à l'époque est encore un jeune poète et je pense qu'il ne faudrait probablement pas l'inscrire à un concours de bras de fer cérébral avec son compatriote et contemporain Robert Musil quant aux thèmes abordés dans ces lettres. Rainer Maria Rilke s'avèrerait sans doute assez vite être un poids plume, un très agréable et très élégant poids plume, mais un poids plume tout de même.



En somme, je trouve ces lettres très sympathiques, très plaisantes à découvrir autour de l'âge qu'avait le destinataire, soit une vingtaine d'années, mais peut-être plus autant par la suite, notamment pour les vieilles chamelles méfiantes, retorses et racornies de mon espèce. Mais ce n'est bien entendu que l'expression d'un avis singulier et d'une ampleur limitée, c'est-à-dire, pas grand-chose.
Commenter  J’apprécie          1857
Lettres à un jeune poète

À l'heure où courriels et textos s'échangent pour un oui ou pour un non, les “Lettres à un jeune poète”, écrites sur la période 1903-1908, reflètent une authenticité rare.



Nos aïeux appréhendaient le temps qui passe différemment d'aujourd'hui, ainsi les échanges épistolaires étaient-ils tributaires des délais d'acheminement aléatoires de la malle-poste. Recevoir une missive était à l'époque un petit événement et pour peu que les nouvelles fussent bonnes on se plaisait à les lire encore et encore.

Les lettres de Rainer Maria Rilke furent à n'en pas douter, pour le jeune poète en herbe Franz Kappus, des moments de bonheur intense comparable peut-être à celui que ressent le récipiendaire d'une distinction suprême.

Pas encore trentenaire mais jouissant déjà d'une certaine notoriété, Rilke s'est pris d'affection pour ce jeune inconnu. Le mélancolique Kappus, doutant terriblement de lui-même au point de soumettre ses créations littéraires à l'appréciation de son illustre aîné, ne renvoie-t-il pas l'écrivain autrichien à ses vertes années, à la versatilité de ses propres états d'âme !



Ce recueil de dix lettres, paru pour la première fois en 1929, permet de mesurer l'intelligence et la sincérité avec lesquelles Rilke livre le fond de sa pensée sur l'intemporalité de l'art, sur le besoin permanent d'intériorité primordiale pour l'accomplissement de soi, sur l'extraordinaire pouvoir du verbe aimer...



Ces réflexions empreintes tout à la fois d'anticonformisme et d'universalité rencontrent aujourd'hui encore un vif succès. Gageons que les jeunes lecteurs, également, demeureront sensibles à ces écrits d'un autre temps !

Commenter  J’apprécie          1091
Lettres à un jeune poète

Peut-on imaginer plus louable manifestation de respect et d’amitié que celle que le poète Rainer Maria Rilke a offerte au jeune Franz Kappus ? En 1902, ce dernier, alors tout jeune élève de l’école militaire de Sankt Pölten, apprend par hasard que Rainer Maria Rilke a lui aussi fréquenté cette même institution une quinzaine d’années auparavant.

Le jeune homme n’a pas encore 20 ans, se tient au seuil de l’âge adulte, dans cette période charnière et difficile de la vie, où les doutes, les inquiétudes, les inclinations profondes et les interrogations sur l’avenir taraudent et corrodent l’esprit de mille petits tourments.

Il décide d’envoyer ses tentatives poétiques au célèbre poète dans l’espoir de solliciter son jugement sur la qualité de ses vers. Il y joint une lettre d’accompagnement où il se livre entièrement, révélant l’état de trouble, de solitude et d’incertitude dans lequel se débat sa conscience.



Quel écho dans sa propre existence Rilke trouva-t-il à la lecture de ces lignes l’incitant à répondre au courrier du jeune homme ? Sans doute fut-il touché par la grande sincérité avec laquelle ces lettres furent écrites ? Sans doute se souvint-il d’un temps pas si lointain où lui aussi subissait ce même égarement et ces choix douloureux qu’il faut effectuer et qui décident de toute votre existence ?

C’est ainsi que de 1903 à 1908, l’homme de lettres renommé entama une relation épistolière avec le jeune garçon inconnu Franz Kappus. Jamais les deux hommes ne se rencontrèrent autrement que par ces mots couchés sur le papier et que Franz Kappus, conscient de la beauté du geste autant que de la valeur littéraire des lettres du poète, décida de partager avec le grand public en les faisant publier à l’aube des années 1930.



Dix lettres, dix réponses, dix superbes textes qui dépassent les seules considérations poétiques pour éclore sur des interrogations universelles et intemporelles comme la solitude, la création artistique, Dieu, la nature ou l’amour.

Et c’est un véritable bonheur de découvrir ces missives écrites par Rainer Maria Rilke avec toute la franchise et la bienveillance d’un guide spirituel attentif aux troubles et aux questionnements d’un être en quête d’identité et de sens.

La plume déliée, lyrique, sensible et compatissante du poète allemand, s’écoule avec la force d’une eau vive au gré des pensées et des méditations, se faisant le réceptacle de toute une jeunesse en proie aux incertitudes lors du ô combien difficile passage à l’âge adulte.

Conseiller, berger, accompagnateur, Rilke l’est tout entier dans ces lettres éblouissantes de profondeur et de chaleur amicale mais il est aussi l’homme qui, de part son statut de poète, a fait le choix d’une existence solitaire vouée à l’écriture et à la poésie.

En effet, pour l’écrivain allemand, il n’est pas d’expérience artistique authentique qui ne se manifeste autrement que dans la nécessité, la solitude, l’immersion au plus loin de son intériorité et l’attention portée à la nature.

Cependant, cette expérience artistique ne s’exprime nullement par la seule pratique d’un art. Elle s’inscrit selon lui, dans tous les aspects de la vie, pour peu que chaque chose soit vécue avec loyauté et rigueur, dans la compréhension d’un monde où s’embrassent le tangible et l’immatériel.



L’art est ainsi une manière de vivre ; le poète est celui qui puise son inspiration dans toutes les manifestations de la vie et de la nature, aussi infimes soient-elles. Sa perception, allant bien au-delà du commun des mortels, le désigne naturellement à une solitude qui ne doit pas être subie mais au contraire choisie et désirée quand bien même elle serait quelquefois douloureuse.

Solitaire à l’instar d’un Dieu créateur, le poète renferme en lui un univers par lequel l’acte de création jaillit après une longue germination.

Les deux courtes nouvelles qui suivent la correspondance de Rilke le conduisent à la genèse de la condition du poète, avec l’apparition des premières manifestations poétiques et l’évocation du surgissement de son inspiration.



Si ces lettres permirent à Franz Kappus de franchir le passage entre adolescence et âge adulte et de s’épanouir ailleurs que dans le domaine de la poésie et de l’écriture, les mots de Rilke vont toutefois bien au-delà d’une source d’apaisement et de réconfort.

Ils renferment une aura d’éternité et un caractère universel qui fait que chaque lecteur en quête de sens ou de beauté peut s’en imprégner, y puiser matière à réflexion et a même l’impression que ces mots pourraient ne n’adresser qu’à lui. C’est en partie cette universalité, cette réceptivité du poète allemand faisant fi des barrières du temps qui ont valu à « Lettres à un jeune poète » l’engouement d’un large lectorat.

Un livre tout en beauté et en profondeur …« plus on le lit et plus il semble qu’il contienne la totalité de la vie ».

Commenter  J’apprécie          1092
Lettres à un jeune poète, et autres lettres

J'ai entendu beaucoup de bien des Lettres À Un Jeune Poète de Rilke. Beaucoup. Alors je m'y suis attardée — un peu — et j'ai trouvé dix lettres, dont quatre au moins sont très courtes. Si l'on en expurge les formules rituelles de politesse et la relation d'une actualité à peu près dénuée d'intérêt à présent, on s'aperçoit que ce qu'il en reste d'exploitable littérairement ou philosophiquement parlant, ou encore à titre de ce que l'on pourrait considérer comme un essai est assez bref.



Toutes les lettres, sauf une, datent de 1903 et 1904 (la dernière étant de 1908), c'est-à-dire, à peu de choses près que ce sont les pensées d'un poète, autour de 28 ans destinées à son correspondant qui avait, lui, autour de 20 ans.



Comme il s'agit d'une correspondance, Rainer Maria Rilke utilise un style très direct ; il y expose sa pensée sans détour, sans trop de précaution, avec un certain nombre de généralisations probablement abusives mais qui passent très bien, et d'autant mieux que l'on est jeune, avec une âme flambante et des désirs d'absolu.



Je pense que j'aurais adoré découvrir ces lettres alors que j'étais lycéenne ; cela m'aurait transportée. Malheureusement, maintenant que je suis devenue un peu vieille et rabat-joie, je les trouve esthétiquement belles et exaltantes, mais, dans le fond, assez creuses et pas très fouillées.



Ce n'est pas désagréable à lire. L'auteur y exprime sa vision de la vie de l'époque, avec un petit côté rassurant pour son interlocuteur. Très bien, mais outre cela, qu'y trouve-t-on ? La vision de Rilke sur la création artistique et poétique, son avis sur la critique, sa profession de foi sur la solitude puis sa théorie sur l'amour véritable.



Sur la création artistique : n'essaie pas de te plier aux modes ni à ce que l'on attend d'un auteur, ferme tes écoutilles et n'écoute que ce qui vient de toi. Tu dois sentir que l'écriture est la seule chose qui compte dans ta vie sinon tu n'es pas fait pour devenir écrivain.



Sur la critique : c'est de la merde, n'écoute pas les critiques, n'aie aucun dogme, ne vénère pas ce qu'on te dit de vénérer, mais vénère quand même Jens Peter Jacobsen. (Tiens ? Y aurait-il comme une forme de contradiction sur ce point précis ?)



Sur la solitude : de toute façon, quoiqu'on fasse, quoiqu'on se leurre, on est toujours et éternellement seul. Mais il ne faut pas s'en affliger, bien au contraire, car c'est cette solitude et cette acceptation qui permettent d'atteindre l'accomplissement de soi et la grandeur maximale qu'il nous est possible d'atteindre. Il faut être serein, laisser du temps au temps, se laisser croître soi-même et tout ira bien.



Sur l'amour véritable : nous sommes démunis et mal préparés. On nous fait miroiter le côté grandiose et extatique — le plaisir, pour faire simple — or, l'amour véritable, c'est bien autre chose que ça. C'est un long travail de domestication de soi-même et de l'autre afin d'arriver à une vie harmonieuse, équilibrée et réciproque, d'ailleurs non dénuée de solitude.



Bon, c'est vrai, c'est très joli tout ça. En première approximation, en première lecture, à chaud cela paraît super mais quand j'essaie de creuser (excusez-moi, c'est une sale habitude que j'ai contractée avec le temps de toujours vouloir creuser, à l'instar de certains chiens mal appris qui maltraitent les belles pelouses), quand j'essaie de creuser, donc, je ne trouve pas grand-chose au bout de ma bêche.



C'est probablement normal, car Rilke lui-même, à l'époque est encore un jeune poète et je pense qu'il ne faudrait probablement pas l'inscrire à un concours de bras de fer cérébral avec son compatriote et contemporain Robert Musil quant aux thèmes abordés dans ces lettres. Rainer Maria Rilke s'avèrerait sans doute assez vite être un poids plume, un très agréable et très élégant poids plume, mais un poids plume tout de même.



En somme, je trouve ces lettres très sympathiques, très plaisantes à découvrir autour de l'âge qu'avait le destinataire, soit une vingtaine d'années, mais peut-être plus autant par la suite, notamment pour les vieilles chamelles méfiantes, retorses et racornies de mon espèce. Mais ce n'est bien entendu que l'expression d'un avis singulier et d'une ampleur limitée, c'est-à-dire, pas grand-chose.
Commenter  J’apprécie          968
Lettres à un jeune poète

« Rien n'est moins capable d'atteindre une oeuvre de l'art que des propos critiques ». Bon c'est dit…on va tout de même essayer…



On entend souvent que l'expérience instruit plus sûrement que le conseil. Oui mais nous n'avons qu'une seule chance sur terre (d'où cette « insoutenable légèreté de l'être » découverte par autre praguois…).



Rainer Maria Rilke reçoit, au début du siècle dernier, les lettres d'un jeune aspirant poète, mais l'avis du maître praguois sur la poésie du disciple se révèle être un conseil beaucoup plus englobant et pénétrant.



Et les conseils, s'ils sont bien dispensés, à l'image de ceux de Rilke, sont un formidable accélérateur de vie et d'émancipation. Aurions-nous bien le temps de tout expérimenter, de tout tester ? Serions-nous où nous en sommes si nous n'avions jamais pris ou reçu conseil ?



Certes l'expérience du jeune poète validera ou corrigera les conseils prodigués par Rilke, mais le tuteur n'est là que pour redresser le tronc et s'assurer qu'il pousse droit vers la lumière, sans en passer par les affres des difformations. Les conseils du grand poète autrichien sont faits du même bois.



Peu importe que le jeune poète embrasse in fine une carrière plus commune, l'art sera sans doute plus proche de lui. Les réflexions de Rilke sur l'artiste et l'art, sur le paradoxe de l'artiste rappellent fortement le personnage de Wang-Fô de Marguerite Yourcenar, qui « aimait l'image des choses mais non les choses elles-mêmes ».

C'est-à-dire que l'artiste ouvre les yeux de ses concitoyens sur le monde sensible tout en évoluant souvent dans un monde déconnecté de la vie ou en considérant les gens comme des moyens au service de l'art et ainsi accusant un déficit d'empathie cuisant.

Rilke parle d'un « piège » et se réjouit de savoir que le jeune poète est entré « dans la vie active » comme nous dirions aujourd'hui et qu'il est « solitaire et courageux au milieu d'une dure réalité » car l'art est d'abord « une manière de vivre ».



Pour l'écrivain autrichien c'est une constante que les métiers sont « sclérosés n'ayant plus aucun lien avec la vie (…) pleins d'exigences, d'hostilité à l'égard de l'individu, imbibés en quelque sorte par la haine de ceux qui se sont résignés, dans une rancoeur muette, à la sécheresse du devoir. »



« Recherchez la profondeur des choses : l'ironie n'y descend jamais ». Ainsi, l'essentiel n'est pas de craindre telle ou telle voie professionnelle a priori mais de savoir de quel bois nous sommes fait, ne nous laissons pas envahir par l'angoisse ou la peur mais questionnons nos incertitudes, exigeons « des arguments » de sorte que : « Et votre doute peut devenir une qualité si vous l'éduquez ».



« Nous devons accepter notre existence aussi loin qu'elle puisse aller (…) c'est là au fond le seul courage que l'on exige de nous » cette résilience, cette confiance en ses capacités, cette désillusion salvatrice il faut la découvrir en soi, mais comment partir à la rencontre de soi ? Pour l'auteur pragois « ce qui est nécessaire se résume à ceci : solitude, grande solitude intérieure. Rentrer en soi-même et ne rencontrer personne pendant des heures – voilà ce à quoi il faut pouvoir parvenir. Être solitaire comme on était solitaire enfant. »



Lamartine disait que la poésie était la forme du langage la plus directe. C'est celle qui touche au Coeur, celle qui parle à Dieu, celle qui comprend la Terre. Dès lors plus de question à se poser sur le lien qui unit la poésie et la vie dans la correspondance de Rilke.



Désormais je crois, les lettres du jeune poète sont publiées, nous ôtant l'illusoire apanage, trop longtemps concédé, d'être les destinataires privilégiés des mots du maître en poésie.

Car nous aimerions tous recevoir une lettre de Rainer Maria Rilke, que nous soyons poètes ou non d'ailleurs... guettez le facteur sait-on jamais !



Qu'en pensez-vous ?
Commenter  J’apprécie          926
Lettres à une jeune poétesse

Opération mass critique.



Cette correspondance impromptue est initiée en 1920 par une jeune suissesse, fräulein Anita, après que cette dernière ait assisté à une séance de lecture du poète. Rilke lui répond promptement et essaye d’apporter conseils et perspectives à la jeune âme que l’on découvre très vite tourmentée d’Anita. Ce n’est plus tout à fait le Rilke de Lettres à un jeune poète, l’auteur est dans sa maturité littéraire, les Carnets de Malte ont déjà paru, ainsi que plusieurs recueils de poésie. Autre différence, l’échange avec Anita est d’emblée plus centré sur la vie de la jeune femme.



“Pourquoi je vous écris tout cela : je ne sais pas, c’est peut-être que j’obéis à une nécessité intérieure.” Cela commence certes par des échanges sur la littérature, quelques vers envoyés à Rainer par Anita lui valent une invitation à plutôt essayer la prose : “je ne saurais vous mettre suffisamment en garde contre les tentations de la rime”… mais c’est presque un coaching thérapeutique nous pourrions dire. En effet, Anita sans relâche confiera ses doutes, ses peurs, ses ressentis à la recherche de l’appui, mais aussi sans doute de l’intérêt de Rilke, tout en s’inquiétant de sa légitimité à ainsi perturber le grand écrivain par ses missives somme toute assez centrées sur elle-même, de son propre aveu.



Le maître rassure, apaise sans complaisance, sans mièvrerie feinte, allant droit au but dans la limpidité, le dépouillement et la spiritualité qui le caractérisent. Puis les mots ayant leur limite, mieux vaut laisser infuser des paroles claires qu’user sa plume à les répéter, alors le maitre s’efface peu à peu… Si les lettres de Rilke sont d’emblée plus fécondes pour le lecteur, de par les conseils, le recul et la vision de l’auteur, il n’est pas inintéressant du tout de voir à quoi ce dernier se raccroche dans les demandes d’Anita avant de professer ses recommandations.



“Nous ne savons pas ce qu’est le centre d’une relation amoureuse” répond Rilke à Anita qui lui écrit avoir consulté un psychiatre, troublée suite à une relation avec une amie. Les vues du poète praguois sur l’homosexualité, alors que la lettre d’Anita est sibylline, tortueuse, sont d’une sagacité bluffante : “des être travaillent depuis longtemps déjà à dissiper les soupçons si laids qui pèsent sur les relations amoureuses au sein du même sexe”. Ces mots, ainsi que la disqualification de la psychiatrie ou de tout jugement extérieur ou tendance culpabilisante face à ce qu’il nomme l’innocence et le mystère de l’amour auront joué un rôle important pour Anita qui renouera avec son amie, et par la suite vivra une longue histoire d’amour avec une autre femme.



Il y a un petit côté courrier des fans, nous sentons comme Anita, sans même en revenir d’entamer une relation épistolaire avec Rilke, est en demande par rapport à lui, elle a l’hubris de vouloir savoir - et lire de la plume même de Rilke - s’il existe une place pour elle dans les pensées du poète et on ne peut qu’imaginer comme elle retint son souffle à la lecture de la réponse de l’écrivain : “Ai-je répondu à toutes vos questions Anita ? - Il en reste une : est-ce que parfois, sans qu’une de vos lettres m’y invite, je pense à vous ?”



Comme le suspense est à son comble, il ne tient désormais qu’à vous de décacheter la cire sur l’enveloppe à la flamme de votre chandelle…



Il me faut saluer et remercier Babelio & les Editions Bouquins pour ce très bel ouvrage. C’est un très bel objet, les lettres sont accompagnées de quelques mots qui ouvrent et clôturent la lecture pour la contextualiser sans l’appesantir, en s’en tenant à l’essentiel, des photos et des extraits du journal d’Anita Forrer et notamment les précieux passages consignant ses deux rencontres réelles avec le poète.



Un pré-requis peut-être avant d’entamer une correspondance (lorsque bien sûr celle-ci ne nous est pas destinée) : ne pas s’interdire le voyeurisme et plonger à fond dans la vie des autres !



qu’en pensez-vous ?
Commenter  J’apprécie          919
Poèmes à la nuit

“Ô nuit si tu apprenais combien je te regarde”



Dans sa Préface, Marguerite Yourcenar souligne les trois qualités de la poésie de Rilke : “le respect, la patience et l'attente”. le poète guète patiemment un signe de la nuit, mais son attente n'est pas sans risque “la vie consume” et “la joie est folie” écrit Rilke.



“Ô je veux m'appliquer à être impassible comme les pierres serties dans la forme pure”. Les Poèmes à la Nuit sont comme une méditation concentrée, dédiée à une entité, un “espace” : la nuit. Dans le dépouillement, la solitude, l'auteur du Livre de la Pauvreté et de la Mort peut espérer obtenir l'esquisse d'une réponse de la nuit et de son Ange.



Qu'a-t-il pu recevoir de la nuit en lui parlant le langage de la poésie ? L'avare clarté des astres lointains n'éclaire pas suffisamment le lecteur.



Cependant, sans parvenir à dissiper l'opaque brume qui entoure le sens de ces poèmes, on ressent un attrait non feint pour le mystique message versifié de Rilke, quelque part entre recueillement et élégie, la profondeur spirituelle pénètre de son charme le lecteur, lorsque Rilke prêche, implore, invoque, traduit, d'une façon si enveloppante les mots de la sorgue, on a un peu l'impression d'être sauvé…



Il nous faut accepter de ne pas viscéralement nous reconnaître dans son élan, “chaque homme dans sa nuit s'en va vers sa lumière” écrivait Victor Hugo. Rilke parle à sa nuit et qui n'est pas tout à fait la nôtre, mais pas assez étrangère pour qu'aucune réverbération parallèle ne se fasse entre les hiératiques et ténébreuses voûtes célestes du poète et le grêle crépuscule urbain du lecteur d'aujourd'hui. Chacun sa nuit sous les mêmes étoiles.



Cela me rappelle la nuit de Borgès, le poète nous exhortant à refaire usage de la nuit : “nous vivons découvrant et oubliant

cette douce coutume de la nuit”.



L'édition bilingue permet de constater qu'en dépit de ce que Rilke conseillait dans une correspondance récemment publiée avec Anita Ferrer : “je ne saurais vous mettre suffisamment en garde contre les tentations de la rime”, les poèmes originaux sont bien en rimes mais la traduction sans doute s'attache plus au sens qu'à la musique. Certes, traduire c'est trahir, mais je ne serai pas aussi dur que Yourcenar qui compare le poème traduit à une colombe sans ailes ou une sirène hors de l'eau car quelque chose, aussi infime soit-il passe le filtre de l'allemand au français, quelque chose d'inaltérable… après tout ces poèmes n'ont ils pas été écrits à Paris ?



Qu'en pensez-vous ?
Commenter  J’apprécie          886
Lettres sur Cézanne

L'atelier de Paul Cézanne, situé sur les hauteurs d'Aix en Provence, vaut assurément le détour. Aujourd'hui musée, ce lieu de création est sans doute un peu mieux rangé qu'au début du siècle dernier. Le béret et la blouse (1), accrochés dans un angle de la vaste pièce lumineuse, laissent à penser au visiteur que l'artiste s'est juste absenté un court instant et qu'il les revêtira tout à l'heure avant de se remettre à l'ouvrage.



Cézanne était un personnage entier qui jusqu'à son dernier souffle se consacra à sa passion en véritable bourreau de travail. Sans doute l'influence de son ami impressionniste Camille Pissaro, qu'il côtoya une vingtaine d'années, mit-elle fin progressivement au dilettantisme qui caractérisait les jeunes années du provincial.

Il semblait dans ses vieux jours habiter complètement sa peinture ; à peine se souciait-il des garnements qui lui lançaient des pierres lorsqu'il rejoignait, la barbe au vent et tout de noir vêtu, son domicile.



La première rétrospective parisienne de Cézanne, quelques mois seulement après sa disparition à l'âge de soixante-sept ans, se tient en 1907 au salon d'Automne. Dans les travées du Grand Palais, il est un visiteur particulièrement assidu en la personne de Rainer Maria Rilke.

Ce dernier n'est pas au mieux psychologiquement. Il a quelques remords d'avoir quitté sa femme, la sculptrice allemande Clara Westhoff, et leur bébé. La brouille récente avec Auguste Rodin, dont il était il y a peu encore le secrétaire, pèse également sur son moral...



S'il s'identifie pleinement à Cézanne et s'il en parle longuement et avec éloquence à sa femme, c'est peut-être pour faire comprendre à celle-ci combien sont grands les sacrifices que doit accepter l'artiste, mais aussi son entourage, pour atteindre l'excellence.

Les “Lettres sur Cézanne”, écrites de juin à novembre 1907, montrent l'érudition de l'écrivain autrichien en matière de peinture. Rilke donne un éclairage particulier sur la personnalité du peintre, capable par exemple de réciter du Baudelaire de façon impromptue. Son avis sur un certain nombre de tableaux est passionnant, celui intitulé “La Femme au fauteuil rouge” (2) lui permet notamment de mettre en avant la corrélation existant entre les différentes couleurs, et ce, en laissant vagabonder son imaginaire poétique.



Alors si vos pas vous conduisent un jour prochain d'Aix en Provence à la montagne Sainte-Victoire (3) qui inspira tant le maître aixois, vous apprécierez, tout en croquant une belle pomme dans quelque endroit ombragé, de parcourir ces “Lettres sur Cézanne”, véritable hommage posthume d'un grand écrivain à un grand peintre.









(1) et (3) Pour agrémenter cette critique, ces 3 photos par le lien ci-dessous:

https://adobe.ly/2Hhanup





(2) L'éditeur a eu la bonne idée de glisser au coeur de l'ouvrage, 16 tableaux en couleurs de Cézanne sur papier glacé.
Commenter  J’apprécie          860
Lettres à un jeune poète

Mon Dieu!! La lecture des Lettres à un jeune poète devrait être OBLIGATOIRE au lycée!

"Aimer aussi est bon : car l'amour est difficile. S'aimer, d'être humain à être humain : voilà peut-être la tâche la plus difficile qui nous soit imposée, l'extrême, la suprême épreuve et preuve, le travail en vue duquel tout autre travail n'est que préparation.

C'est pourquoi les jeunes gens, qui sont débutants en tout, ne peuvent pas encore aimer : il faut qu'ils apprennent. Il faut que de tout leur être, de toutes leurs forces rassemblées autour de leur coeur solitaire, angoissé, qui cherche à jaillir, ils apprennent à aimer. Or l'apprentissage est toujours un long temps d'enfermement, si bien que l'amour est ainsi repoussé loin dans le temps, jusqu'au coeur de la vie - : solitude, isolement encore plus intense et plus profond pour celui qui aime. Aimer n'a d'abord rien d'une absorption, d'un abanbon ni d'une union avec l'autre (car que serait l'union de choses qui ne sont pas éclaircies, ne sont pas achevées, ne sont pas encore mises en ordre ?) c'est une sublime occasion pour l'individu de mûrir, de devenir quelque chose en lui-même, de devenir un monde, de devenir pour l'amour d'un autre un monde pour lui-même, c'est une grande et immodeste exigence qui s'adresse à lui, qui en fait un élu et l'appelle à l'immensité.(...)

Mais c'est là justement l'erreur si fréquente et si lourde que commettent les jeunes gens (il est dans leur nature de n'avoir pas de patience) ; ils se jettent l'un sur l'autre lorsque l'amour descend sur eux, ils se déversent tels qu'ils sont, dans tout leur manque de cohérence, leur désordre, leur confusion... : que peut-il arriver ? Que peut faire la vie de ce bric-à-brac à moitié démoli qu'ils nomment leur communauté et qu'ils aimeraient bien appeler leur bonheur, s'il y avait quelque apparence, et leur avenir ? Là, chacun, pour l'amour de l'autre, se perd, perd l'autre et beaucoup d'autres qui voulaient encore venir."

Commenter  J’apprécie          842
Lettres à une jeune poétesse

Ouvrage reçu lors d'une opération Masse Critique Privilégiée, je tiens tout d'abord par remercier babelio et les éditions Bouquins pour l'envoi de ce magnifique ouvrage.

Il est vrai que j'avais lu "Lettres à un jeune poète" du même auteur (Rainer Maria Rilke) lorsque j'étais adolescente mais je n'avais alors sans doute pas saisi toute la portée des mots alors - étant probablement trop jeune - et il aurait peut-être fallu que je les relise avant de me lancer dans cette nouvelle lecture mais cela me fut impossible, n'arrivant pas à remettre la main sur l'ouvrage que je possédais alors et édition donc dans laquelle j'aurais voulu relire cette correspondance (je ne désespère pas de remettre la main sur ledit exemplaire).



Ici, Jeanne Wagner et Alexandre Pateau ont accompli un travail remarquable en se plongeant dans les archives de l'oeuvre rilkéenne afin de nous présenter cette édition. Sont regroupés ici la quasi-totalité de la correspondance qu'échangea le poète Rainer Maria Rilke avec une jeune femme (qui avait l'âge de sa propre fille), Anita Forrer. Entre eux, jamais le moindre échange épistolaire ambigu, jamais un mot déplacé de la part de Rilke qui s'instaura plutôt comme "un maître à penser", un aiguilleur de conscience qu'autre chose. Si les deux se sont rencontrés dans la vraie vie (j'entends par là, autrement qu'à travers des lettres mais se sont bel et bien retrouvés en présence l'une de l'autre), ce ne furent pourtant que des moments fugaces, retranscrits ici mais qui sont loin d'être aussi riches en échanges que dans les lettres qu'ils se sont adressés de 1920 à 1926. Mêms i le poète reste parfois muet de longs mois (ce qui désespère souvent notre jeune femme à peine âges de 19 ans lorsque débuta leurs échanges), il n'en reste pas moins très prévenant envers cette dernière, se chargeant de répondre dans les moindre ds détails à toutes les questions existentielles que se pose cette dernière. Elle lui demande également souvent des conseils en matière de lecture, savoir si les ouvrages vers lesquels elle se tourne sont de bons modèles et Rilke se chargera également de lui faire découvrir des ouvrages tels "Les Fleurs du Mal" de Baudelaire qu'il jugea comme un livre indispensable qui doit nous accompagner tout au long de notre vie.

Entre eux, également des échanges plus légers - quoique - (sur la santé de l'un ou l'autre, les relations qu'entretient Anita avec sa famille entre autres) mais tout cela amène le lecteur à se replonger dans une autre époque et à les retransposer dans le contexte d'aujourd'hui.



Une lecture riche en émotions et en réflexions philosophiques ! Je n'ai qu'un regret, ne pas connaître assez l'allemand (bien que l'ayant étudié au collège et lycée) et encore, Rilke était autrichien donc c'est encore probablement différent, pour pouvoir lire les œuvres de ce dernier (qui s'enrichissent au cours de cet échange épistolaire) dans leur langue originale. Un ouvrage intense et extrêmement bien documenté et annoté par nos deux traducteurs et que je ne peux que vous recommander !
Commenter  J’apprécie          621
Au fil de la vie : Nouvelles et esquisses

La force des nouvelles et de l'oeuvre même de Rilke c'est son acuité à voir ce que les autres ne perçoivent pas ou à appréhender des situations d'un point de vue qu'on n'aurait jamais envisagé.



De manière naturelle, simple mais d'une langue magnifiquement poétique, le poète autrichien nous fait voir ce qu'on a sous les yeux, ce qui littéralement crève les yeux, et qu'on n'a pourtant jamais vu.

Dans ces instantanés de vie qui se lisent comme on regarde une photo, Rainer détache le visible du secret des évidences.



Chaque nouvelle est habitée par des personnages qui regardent, impuissants, la vie les enfouir sous les rides.

On entend littéralement résonner une voix discordante, ironique, qui se bat à chaque phrase au nom de la vérité, contre l'élégance trompeuse, celle des mots et des sentiments.



Emile Ollivier a dit : La lecture est une félicité qui se mérite.

Das war's schon ! Lire Rilke c'est garantir sa petite part de bonheur !





Commenter  J’apprécie          580
Poèmes à la nuit

"Ô de quelle façon, avec quel gémissement

nous nous sommes caressés, épaules et paupières.

Et la nuit se terrait dans les chambres,

comme un animal blessé que nous aurions transpercé de douleur."

C'est ainsi que commence ce très beau recueil de poésie, Poèmes à la nuit, écrit par Rainer Maria Rilke entre 1912 et 1914.

Ce sont vingt-deux poèmes, avec pour chacun d'eux la version originale en allemand.

Marguerite Yourcenar, dans la préface de ce recueil, nous dit de manière très belle que « les poèmes traduits ne sont jamais que des colombes auxquelles on a coupé les ailes, des sirènes arrachées à leur élément natal, des exilés sur la rive étrangère qui ne peuvent que gémir qu'ils étaient mieux ailleurs ».

Je me suis en effet demandé à quoi je devais attribuer la beauté de ces vingt-deux poèmes ? À l'âme du poète, au talent des deux traducteurs, à cette harmonie qui permet de transmettre les mots d'une langue à l'autre comme une passerelle qui oscille entre deux versants.

C'est un auteur qui nous parle de misère et de souffrance aussi.

La nuit de Rainer Maria Rilke est un visage insaisissable, c'est la nuit des amants qui rêvent de se perdre dans des vallées délicieuses.

Il y a une mélancolie dans cette nuit qui penche comme un navire qui sombrerait dans les eaux du passé, dans les yeux d'un visage aimé. Dans l'eau de ce visage. Dans le ciel qui emporte cet amour, le ciel immense et intime à la fois.

La nuit de Rainer Maria Rilke ressemble à des mains qui tremblent, qui peut-être voudraient désespérément se joindre l'une à l'autre pour prier. Ce sont des mains qui tâtonnent, peut-être sur le cœur des femmes. La solitude du poète n'est jamais loin, sa douleur aussi, dans cette difficulté d'aimer et être aimé.

Rainer Maria Rilke est une sentinelle au bord des étoiles et de leurs songes. Il se tient comme un berger à la proue de la nuit.

Parfois cette nuit se limite à l'espace nocturne d'une chambre où brille l'impatience de deux êtres épris du même amour.

Dans cette nuit, l'aube semble encore loin...

Ce sont des vers dépouillés jusqu'à l'extrême, je voudrais tant les apprendre, les murmurer à d'autres plus tard.

La nuit de Rainer Maria Rilke est mystique. Des âmes invisibles traversent les vers, tout ce qui s'anime dans ces poèmes semble porter le sacré : les contours d'un visage, ses respirations, ses vertiges, le désir de ce visage qui s'enfuit...

C'est comme l'appel des oiseaux.

L'incandescence de l'amour ressemble peut-être à une constellation qui oscille entre l'intimité et l'immensité de la nuit, hésitant à fuir, le temps d'une nanoseconde arrachée à l'éternité, vers l'envers de l'univers.

J'ai aimé me perdre dans cette nuit incandescente et mélancolique.
Commenter  J’apprécie          589
Les Cahiers de Malte Laurids Brigge

C'est en lisant un ouvrage de Maurice Blanchot que je découvre ce livre de Rilke. Blanchot lui même qualifie ce livre de "mystérieux". En effet, Les Cahiers de Malte Laurids Brigge est un livre étrange. Sous forme de notes (dans un journal intime) il est plutôt un recueil de fragments, parfois de poèmes en prose. On sait tout le travail effectué par l'auteur pour écrire ce livre, et pour nous donner l'impression qu'il s'agit de feuilles trouvées dans un tiroir (un livre sans fin auquel peuvent s'ajouter d'autres feuilles; des feuilles écrites de la main de Malte, comme ces contes interminables des mille et une nuits).



Malte est une voix, une âme, une pensée et une mémoire plus qu'un corps ou un visage. L'une des idées que j'ai beaucoup aimée, celle que l'homme porte sa mort en lui, l'emmène partout et cette idée je l'ai retrouvée lorsque j'ai lu ces vers de Cesare Pavese dans le poème "La mort viendra et elle aura tes yeux" (on trouve cette idée aussi chez Blanchot) :



"Cette mort qui est notre compagne

du matin jusqu'au soir, sans sommeil,"



La deuxième idée que j'ai retrouvée aussi chez maints grands écrivains est celle que le fait d'aimer ou la condition de celui qui aime est la plus belle, la plus importante, peu importe si "l'objet" aimé (pour employer cette expression classique) partage cet amour ou non.



Pour les scènes que j'ai appréciées, je pourrai citer celle des cheveux du lecteurs qui ressemblent à un homme qui vient de se réveiller, et toute la scène à la bibliothèque, la scène où il observe ce fou, la scène d'enfance où il avait peur des fantômes... etc



A mon avis, c'est un livre majeur qu'il faut lire et relire.
Commenter  J’apprécie          580
Lettres à un jeune poète

Lettres à un jeune poète, ce sont dix lettres écrites par Rainer Maria Rilke entre février 1903 et décembre 1908, lettres adressées à un jeune homme qu'il ne connaît pas et qui a sollicité un conseil auprès de l'écrivain âgé de vingt-huit et déjà célèbre, un certain Franz Xaver Kappus, ce jeune homme souhaitant consacrer son existence à la poésie.

Ces lettres ont été publiées à titre posthume.

Elles sont d'une beauté lumineuse, éblouissante, généreuse. Il y a la manière et la matière, on y ressent l'élégance et l'empathie d'un auteur.

Non seulement il m'a semblé indispensable de lire ces Lettres à un jeune poète, mais il me semble également indispensable de les relire plusieurs fois au cours de son existence, sans doute pas trop tôt, attendre un peu que le moment de la vie s'y prête... Et alors, y aller... Tiens ! Je dirais même que ce serait une magnifique idée d'offrir ce livre à un être qui est vous est proche et cher. Pourquoi ?

Parce que derrière la beauté de ces lettres, il y a nos propres vies, ce que nous tentons d'y mettre, d'où nous venons, où nous allons, si jamais nous savons répondre à ces deux questions.

Ici il est question de solitude, la solitude de l'artiste, de distance, celle entre l'artiste et les autres, de création littéraire... Et brusquement, je me suis aperçu que cela touchait aussi autre chose, tout simplement la vie, nos vies, nos tâtonnements, nos errances, nos besoins de respiration... La manière de lire ces lettres en 1903 ou en 2019 n'est peut-être pas la même. La manière de refermer le livre et de reprendre pied dans sa vie, par contre, me semble d'une portée universelle.

Le ton est d'une très grande courtoisie, bienveillant, pour autant il n'est jamais chaleureux. Mais il n'y a jamais la condescendance qu'un artiste pourrait avoir à l'égard de quelqu'un qui l'admire. C'est presque une voix penchée sur l'épaule d'un jeune homme qui cherche à découvrir le chemin de sa vie, une voix posée à bonne distance.

Justement, cette invitation à une solitude infinie, à savoir prendre la bonne distance, prend tout son sens dans une société dissonante, bruyante, dérisoire à certains moments, où beaucoup d'entre nous sont en quête de sens. Lire et relire ces lettres est une manière, peut-être, de tenter de retrouver du sens à notre existence...

Je vous vois déjà venir avec vos gros sabots : ah ! encore un livre sur le développement personnel ?! Oui, pourquoi pas si l'on considère que les philosophes grecs, déjà, nous ont transmis l'essentiel sur la manière de bien vivre et se poser les bonnes questions. D'autres comme Montaigne, Spinoza, Pascal, Nietzsche, ont emprunté leur pas. Tiens donc, Nietzsche... Un point commun avec Rilke, ils ont aimé la même femme : Lou Andreas-Salomé. Rilke n'était pas philosophe, il était un poète. Mais est-ce bien différent, s'agissant de la poésie de Rilke ?

Ces dix lettres sont belles, splendides, bouleversantes, facilement accessibles alors que la poésie de Rilke l'est sans doute moins. Rilke les a-t-il écrites pour Franz Kappus, pour lui-même, pour nous, pour la postérité ? Qu'importe au fond... Nous en tirons la joie et la grâce de les déplier à l'infini.

Les tentatives poétiques de ce jeune apprenti poète sont vaines aux yeux de Rilke. Il le dit franchement, mais il le dit en y mettant les formes. Il argumente, il développe, il fait un pas de côté pour le dire et c'est beau.

Ces lettres sont une merveilleuse éloge de la solitude et de l'errance. Une forme d'initiation, d'apprentissage à la vie. Chaque lettre est un chemin. C'est une joie de cheminer dans ces lettres. C'est une joie aussi de vous donner envie de visiter ces lettres.
Commenter  J’apprécie          577
Le livre de la pauvreté et de la mort

Préfacé et traduit par Arthur Adamov, ce long poème de Rilke est une méditation sur la mort. Comme apprivoiser cette mort inéluctable, qu'elle devienne partie intégrante de mon corps et de mon esprit. Chaque mot est soigneusement pesé. Un de mes indispensables livres de chevet.
Commenter  J’apprécie          560
Lettres à une amie vénitienne

J'ai trouvé par hasard ce délicieux petit recueil ( 91 pages ) de lettres adressées par Rilke à une amie vénitienne, une " chère et belle amie ". Peu connu, il mérite la découverte.

Délicatesse surannée, tendresse des mots et des formules amicales, ces lettres écrites en français, permettent de s'imprégner de la poésie de Rilke et de ses préoccupations récurrentes : la poésie, la vie, la mort, la maladie...sans le filtre d'une traduction pas toujours pertinente.



Lu d'une seule traite, ce livre m'a fait poétiquement rêver pendant un voyage en train, qui du coup m'a paru beaucoup moins long et ordinaire, magie du talent poétique.

Commenter  J’apprécie          554
Les poésies d'amour

Rainer Maria Rilke, célèbre écrivain autrichien, est surtout connu pour ses Lettres à un jeune poète, écrites alors qu’il n’avait que 27 ans. Mais son oeuvre, en particulier poétique, est abondante et magnifiquement essentielle, ainsi que ses correspondances passionnées avec les femmes rencontrées tout au long de sa vie, amitiés amoureuses la plupart du temps, de la première Lou-Andréas Salomé à la dernière Marina Tsvetaeva qu’il n’a même finalement jamais rencontrée.

Certes, tous ses écrits sont traversés par un lyrisme qui peut paraître excessif au lecteur francophone d’aujourd’hui, mais quelle beauté dans certaines trouvailles poétiques laissant affleurer la veine pure des émotions, quelle originalité aussi.



Je suis convaincue depuis longtemps que la poésie ne se donne pas facilement, ne s’apprend pas, elle s’apprivoise doucement, régulièrement au contact des sons, de la musicalité des vers.

Le recueil bilingue Les poésies d’amour paru cette année regroupent dans une nouvelle traduction, très proche du texte original pour une fois, des poèmes directement ( emploi du tu ) adressés à La femme aimée, sans plus de précision.

C’est bien d’un amour universel et de ses affres dont il est question, recueil de géographie amoureuse en quelque sorte, y compris ses fameux Sept poèmes, classique de la poésie érotique.



Une nouvelle porte d’entrée donc pour aborder sa poésie de l’amour et du désir, intimement liée à sa création toute entière.
Commenter  J’apprécie          540
Lettres à un jeune poète

Désir d'écriture poétique quand tu nous tiens…

Je remercie vivement Babelio ainsi que les éditions du seuil pour m'avoir permis de relire ce beau livre.

Merci également pour le petit mot sympathique des Éditions du Seuil.



Ce petit recueil constitue un échange épistolaire, qui s'étend de 1902 à 1908, entre le jeune poète aspirant Franz Xaver Kappus et l'écrivain Rainer Maria Rilke. Kappus rongé par le doute demande conseil à son aîné sur ce qu'il nomme ses « tentatives poétiques. »



C'est avec un bel enthousiasme et une grande générosité que Rilke lui répond, celui-ci, ne souhaite pas s'ériger en juge, il se méfie de la critique, qui pour lui vide les œuvres d'arts et les écrits littéraires de leur sens.



Il va tenter de guider le jeune homme en partageant sa propre expérience d'écrivain ainsi que sa vision personnelle du monde, de l'art, de la littérature, de l'Amour.



Rilke lui suggère de descendre au plus profond de lui-même, de fouiller, observer si le désir d'écrire constitue réellement pour lui une nécessité vitale ; il lui enjoint de ne pas se laisser prendre au piège des formes communes de l'écriture déjà éprouvées et admises de tous, d'éviter les thématiques trop usitées comme celles de l'amour par exemple, mais plutôt de trouver un style personnel qui rendra son écriture poétique unique, vraie, essentielle, indispensable, nouvelle.



Pour Rilke, l'écriture exige de ne pas se tourner vers l'extérieur (le regard des autres, les oeuvres préexistantes) mais vers soi-même pour accéder à son propre élan vital et créatif, l'inspiration qui donnera forme à cette nouvelle écriture. Il lui propose également quelques lectures qui vont enthousiasmer le jeune poète, notamment celle des oeuvres de Jacobsen, écrivain et poète danois dont Rilke est un fervent admirateur : la découverte de ces oeuvres va porter le désir d'écrire de Kappus au plus haut point, ce dernier laisse alors de côté l'obscurantisme de Heine dont il fut un fervent admirateur dans sa jeunesse pour se tourner exclusivement vers le grand écrivain.



Les correspondances avec Rilke constituent un véritable parcours initiatique pour Franz Kappus, ce dernier voue une admiration inconditionnelle au poète et à travers lui aux écrivains cités par son mentor. Il apprend beaucoup au cours de ces longs échanges épistolaires et n'hésite pas à remettre en cause ses propres écrits, ses visions littéraires et artistiques encore teintées d'immaturité pour tenter d'approcher la véritable essence de l'écriture.



Ce recueil de lettres comporte des réflexions intéressantes et essentielles sur la poétique en tant que processus d'écriture, il s'inscrit ainsi dans la lignée des arts poétiques. Il met en scène les tourments et les doutes qui rongent le jeune poète se dévoilant à lui-même par le biais de l'écriture poétique, il révèle le travail d'abnégation de soi exigé par cet art difficile.



Le style du texte, bien que traduit, est très beau car la poésie, l'amour et la maitrise de l'écriture, de la littérature, l'admiration de leurs pairs par les deux protagonistes sont évidentes dans ces lettres qui se savourent à petites doses. Les métaphores filées de Rilke sur le processus de l'écriture artistique, les envolées lyriques et digressions sur la sensualité, l'amour et l'enfantement comparées à la création littéraire sont à la fois d'excellents conseils et un pur bonheur de lecture, les images évoquées appellent la méditation, le rêve, le voyage de l'imagination et de la pensée.



Mais la chronique n'est rien, l'original reste à lire ou à relire.

Commenter  J’apprécie          515
Lettres à un jeune poète, et autres lettres

Bien entendu, tout a déjà été dit sur le précieux art de Rilke, à quel point il peut aider à vivre. J'ai étudié ce livre dans une classe préparatoire française et éprouvé un embarras mal dissimulé de mon ignorance, lorsqu'un proche m'a indiqué, en songeant à mes origines, que Franz Xaver Kappus, celui à qui Rilke a écrit les Lettres à un jeune poète, celui qui les a publiées et y a ajouté une introduction, était un écrivain roumain. C'était une exagération mais pas tant que ça: Kappus était germanophone, né à Timișoara, à l'époque dans l'empire austro-hongrois. Il s'est installé à Berlin en 1923. Ceci étant de 1918 à 1923, il était pour ainsi dire roumain. Pas le genre de choses à constater en classe prépa, où l'on est censé former l'élite de la France…

Cependant, poursuivons. Non seulement publication et introduction, mais en plus Rilke recopie un sonnet de Kappus dans ses lettres, le seul, à ma connaissance, traduit en français. Dans son introduction, essentiellement il se tait "comme les petits le doivent devant quelqu'un de grand". Entre "petit" et négligeable, toutefois la différence est grande, surtout qu'on a toujours besoin d'un plus petit que soi. Les problèmes de taille m'intéressant peu, je relève d'une part qu'un simple coup d'œil sur un site bien connu fait ressortir que Kappus jouit en Allemagne d'une postérité loin d'être triomphante, mais réelle cependant. D'autre part, l'art précieux, incomparable même, de Rilke, n'aurait pas existé de la même manière s'il n'y avait eu ce qu'au cinéma on appelle le hors-champ, que le temps d'un sonnet le réalisateur a voulu mettre en lumière, ce qu'il a aiguillonné, intrigué, touché: l'œuvre de Franz Xaver Kappus.

J'ai cru, moi aussi, qu'il existait une élite (en art par exemple, des génies et des salauds, i.e. des Mozart et des Salieri selon la définition de Peter Shaffer, qui s'inspire à son tour de Mozart et Salieri d'Alexandre Pouchkine), avant et après prépa: proposition qui, en dehors de l'école et des discours politiques (dans les halls des immeubles de banlieue, on a compris depuis longtemps) ne résiste guère à la réflexion.

Je préfère toujours les poèmes de Rilke à ceux de Kappus. Mais, finalement, en me disant qu'il était bien roumain après tout, j'ai acheté un roman (il a aussi écrit des succès de librairie) de Franz Xaver Kappus, histoire d'enrichir ma bibliothèque.
Commenter  J’apprécie          500
Vladimir, le peintre des nuages

Quand ça ne va pas, que le moral est au plus bas, quand on n’a plus qu’une chose à déclarer sur l’existence ici-bas : « Pouah ! » - pas de panique, on peut toujours, de cinq à six, faire un tour chez Vladimir Lubowski, le peintre de nuages.

Une fois là, laissez venir, tenez-vous tranquilles, dans la pénombre où il fait si étrangement bon, et elle vous prendra, se mettra à vous bercer, et viendront «d’aimables, de lentes paroles qui arpentent le monde en admirant les choses de loin».

Laissez-vous glisser dans ce joli petit livre d’une immense délicatesse, qui a bien sûr quelque chose d’un peu vaporeux – de nuageux.

C’est très bien écrit/traduit, c’est fin, un peu drôle je trouve, et un peu triste aussi.

Commenter  J’apprécie          4811




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Rainer Maria Rilke Voir plus

Quiz Voir plus

La guerre des boutons

Qui fut le premier prisonnier fait par Longeverne ?

Touegueule
Migue la lune
L'Aztec
Gambette

11 questions
231 lecteurs ont répondu
Thème : La Guerre des boutons de Louis PergaudCréer un quiz sur cet auteur

{* *}