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Critiques de Rainer Maria Rilke (340)
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Les Cahiers de Malte Laurids Brigge

Ce n’est pas un ouvrage facile à appréhender que ces « cahiers de Malte Laurids Brigge ». Ouvrage poétique en forme de récit de promenade dans la ville, dans les souvenirs, dans la vie, il en ressort un sentiment de tristesse et d’enferment, on sens l’épaisseur des murs comme ceux des sentiments. Traité à la façon de pensés, le propos est fort décousu.

Comme en musique et en peinture, il y a en littérature des œuvres plus difficile que d’autre à aimer, mais une fois le but atteint le plaisir en est décuplé. Je pense que je vais m’accrocher et le relire pour m’en imprégner.

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Lettres à un jeune poète

Lors de mes lectures le nom de Rilke revenait souvent et en particulier avec cet ouvrage dont le titre ne pouvait que m'inciter à le découvrir. J'aime beaucoup les correspondances, les échanges épistolaires surtout quand il s'agit de courriers d'écrivain(e)s car comme dans les journaux intimes, les personnalités se révèlent, se "lâchent" et ici je dois dire que j'ai été surprise du contenu.



Je pensais lire des conseils d'écriture d'un poète affirmé et reconnu à un apprenti-poète et finalement ce sont dix lettres d'un poète certes mais d'un philosophe à un jeune officier, Monsieur Kappus, celui-ci attendant un avis sur ses écrits et recevant finalement des préceptes de vie : la solitude, la vie, l'amour, la maturité, les choix, préceptes nécessaires selon Rilke au travail d'écrivain



"Laissez à vos jugements leur évolution propre, silencieuse, sereine ; comme tout progrès, elle doit venir du fond de votre être et rien ne peut ni la presser ni la hâter. Tout est là : porter à terme, puis enfanter. Il vous faut laisser chaque impression, chaque germe de sentiment s'accomplir en vous, dans l'obscure, l'indicible, l'inconscient, le domaine inaccessible à votre propre intelligence et attendre avec une humilité et une patience profondes l'heure de la naissance d'une nouvelle clarté : cela seul est vivre pour l'art, qu'il s'agisse de comprendre ou de créer. (p19)"



Comme je le précise souvent je ne suis pas lectrice de poésies et je ne pensais pas être aussi séduite par ces échanges que je pensais axés sur celle-ci et dans une langue difficile d'accès. Il n'en est rien ni pour la poésie ni pour l'écriture, les pensées. Rilke évoque peu les vers de son correspondant mais plus sur ce qui transpire à travers eux où à travers les courriers reçus du jeune homme. Au début le ton est assez distant, presque sévère puis au fil du temps on sent une certaine complicité voire de maître à élève teintée d'amitié sincère s'installer entre eux (il n'y a que les lettres de Rilke et pas celles de Kappus). Rilke voyage beaucoup, souffre souvent de maladies ou de fatigues qu'il évoque en introduction puis développe à son correspondant ce qu'il doit savoir sur la vie mais également sur ce qu'implique être écrivain.



L'écriture est de toute beauté, fluide, le poète argumente, démontre et se fait même parfois prophète :



"Cette humanité que la femme a portée à terme dans la douleur et l'humiliation se révélera le jour où, en modifiant sa situation extérieure, elle se sera dépouillée des conventions de sa seule féminité, et les hommes, qui aujourd'hui encore ne le voient pas venir, en resteront surpris et abattus. Un jour (...) seront là la jeune fille et la femme dont le nom ne marquera plus seulement l'opposition au masculin, et aura une signification propre, qui n'évoquera ni complément ni frontière, simplement vie et existence : l'être humain dans sa féminité. (p46-47)"



J'ai beaucoup aimé car il s'adresse finalement pas seulement à un jeune poète mais l'humain, un petit livre de philosophie à l'usage des hommes (et des femmes) sur les attentes, les espoirs, les interprétations et sur l'impatience alors que tout cela demande temps et réflexion. 



Une véritable bonne surprise, une écriture remarquable et une acuité sur le monde qui l'entoure, malgré son jeune âge à l'époque de la rédaction de ces lettres (de 28 à 33 ans) on a l'impression de lire l'analyse profonde d'un homme ayant déjà beaucoup vécu avec en plus une pensée réduite à l'essentiel et je comprends mieux pourquoi il apparaît comme référence dans de nombreux ouvrages. D'autres ouvrages de correspondances ont été publiés et même si je ne vais pas vers ses poèmes (mais pourquoi pas tenter) j'aimerais les lire car qui ne rêverait d'avoir cette faculté de rédaction.



A lire, à relire, à méditer.... Un petit ouvrage à garder à portée de main pour le réconfort qu'il procure dans les moments de doute, pour revenir à l'essentiel et pour apprécier une vraie belle plume.
Lien : https://mumudanslebocage.wor..
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Lettres à une jeune poétesse

ÉMOUVANTE CORRESPONDANCE D'UN MAÎTRE À SON ÉLÈVE.



Longtemps durant, l'œuvre du poète Rainer Maria Rilke fut connue au public français non seulement par l'entremise de ses grands recueils de poèmes, peut-être un peu par le biais de son unique et étonnant roman, Les cahiers de Malte Laurids Brigge, (auquel il est régulièrement fait référence dans le présent ouvrage), mais, dans une très large mesure, c'est par un livre qu'il n'a jamais lui même directement composé ni ouvertement souhaité que la postérité de cet immense poète autrichien né à Prague s'est faite chez nous, les fameuses Lettres à un jeune poète. 



C'est oublier un peu vite plusieurs éléments : que celles-ci avaient été envoyées à un "apprenti poète" sans volonté première de "faire œuvre". Qu'elles sont le reflet d'un poète à la reconnaissance pas encore aussi affirmée que celui qui écrira plus tard à la jeune Anita Forrer, puisqu'elles furent rédigées entre 1903 et 1908. À cette époque-là, les "grands" recueils déjà écrits par Rilke sont surtout Le livre d'image (1899) et, plus encore, La Chanson de l'amour et de la mort du cornette Christophe Rilke (1904) et son magnifique Livre des Heures (1905). Cela n'ôte rien aux qualités intrinsèques de cette série de dix lettres adressées à son compatriote Franz Xaver Kappus ni à ses "leçons" d'esthétique ou de vie, mais ce que les éditions Bouquins, par l'intercession d'une Masse Critique spéciale organisé par notre site de lecture en ligne préféré, Babelio.com mettent en évidence en traduisant pour la première fois en français ces Lettres à une jeune poétesse, c'est que des correspondances - sauf volonté expresse, et de leur vivant, par leurs deux auteurs - ne sont pas autre chose que des échanges ponctuels, dispersés dans le temps, plus ou moins intimes et inégalement riche d'intentions, d'envie, de projection - cela dépend bien évidemment de leurs auteurs - entre deux personnes. 



Mais entrons dans le vif du sujet. Nous sommes au début de l'année 1920 en Suisse où Rilke réside depuis peu (mais désormais, jusqu'à ces derniers jours en 1926). Une jeune femme de la bourgeoisie en vue de la ville universitaire de Saint-Gall, Anita Forrer, alors âgée de dix-neuf ans, venait de voir et d'entendre le poète à l'occasion d'une série de lectures qu'il avait données en septembre de l'année précédente. Avec la maladresse sincère et enthousiaste propre aux "fans" qui se décident enfin à approcher leur idole, Anita finit donc par se décider à écrire à Rilke, même si cette première missive ne se voulait «rien d'autre que [lui] montrer l'émotion profonde d'une jeune fille qui aime [ses] œuvres.» Divine surprise, Rilke répondra à cette lettre qui ne demandait expressément aucune réponse, faisant d'elle une sorte d'élue. Suite à cette manière de malentendu miraculeux, s'ensuivirent six années d'un bien étonnant échange épistolaire au cours duquel la jeune femme avoua très vite à son "maître" s'adonner à l'art difficile du poème ainsi que du recueil de pensées diariste. Rilke, avec une forme intransigeante de brutalité douce la dissuada presque immédiatement de poursuivre dans la première direction tandis qu'il lui conseilla tout aussi tendrement et sincèrement d'approfondir cet autre forme d'écriture - le journal intime - pour laquelle il lui semblait qu'elle était bien plus elle-même, bien plus vraie, bien plus douée. Très vite, tant dans l'existence d'Anita Forrer que dans leurs échanges, cessent ces références à la poésie ainsi qu'au désir d'entrer en écriture (ce qui différencie, entre autres choses, ces lettres de celles que l'auteur des Elégies de Duino entretint avec le jeune Kappus, et qui nous font estimer le titre retenu pour ces correspondances un rien racoleur - c'est aussi celui de l'édition originale allemande -, même si tout autre titre eût été difficile à choisir. Ce sera notre seul remarque négative à ce très bel ouvrage).



Tout aussi rapidement, en revanche, s'installe une étrange mais parfaitement voulue relation de maître à élève, un échange se portant bien plus sur l'existence que sur l'écriture ou l'esthétique, même si les livres, et en particulier ceux de Rainer Maria Rilke (les Cahiers en tête, comme un Leitmotiv), sont abondamment cités et présents au fil de ces très belles pages. Ces derniers n'interviennent alors bien souvent que comme matière à exemples, comme modèles de chemins intérieurs à suivre ou à ne pas suivre, comme possibles sources de réflexion intimes, d'avancées personnelles, de motifs d'espoir, d'ouverture au monde et de compréhension de celui-ci, beaucoup plus que comme relation strictement esthétisante d'un lecteur à un autre. On y lira cependant l'importance d'un Francis Jammes (le poète "mystère" mentionné sans le nommer dans les Cahiers), d'un Charles Baudelaire (cadeau d'anniversaire un rien subversif du maître à son élève, véritable appel à l'indépendance d'esprit et à la liberté d'être), d'un Jens Peter Jacobsen (écrivain préféré de Rilke), d'un Valéry Larbaud...



On y découvre aussi - avant tout, peut-être - une jeune femme en pleine rébellion intérieure, passablement déprimée, pour ne pas écrire dépressive, en tout cas à fleur de peau, et cherchant, sans bien savoir comment, à s'affranchir de sa condition, à son destin tout tracé, à s'extraire, mais en cherchant à ne pas mettre à mal ceux qu'elle aime (qui ne la comprennent d'évidence pas), de cette prison dorée, familiale et sociale. Pour une part, Rilke saura lui ouvrir la voie, lui donnant des armes pour apprendre à vivre ; il saura même la mettre en garde à l'encontre de fausses solutions. Celle proposée, par exemple, par des théosophes qui l'avaient invitée à l'une de leur réunion. Celle encore de l'Amour, ou supposé tel, qui trouvera un temps sa solution en des fiançailles qui n'aboutiront jamais. Pour une autre part, on sent le poète presque désemparé par certaines questions, certaines attentes, certaines douces colères de cette femme à l'aurore de sa vie (celles concernant ses parents, entre autres choses), qui va d'ailleurs se mettre brutalement en retrait de cette correspondance qui ne sera plus, désormais (à la suite de l'une des deux seules rencontres, manquée, d'Anita et de Rainer, en 1923), qu'un long monologue sans aucune réponse, malgré le caractère empressé des lignes que la jeune femme envoie à son "maître". L'un des derniers mots, terrible, de l'autrichien sera de dire à sa correspondante tandis qu'il la raccompagnait à la gare à la fin de cette rencontre affreusement décevante : «Anita, pourquoi faites-vous toujours deux pas en avant pour reculer de trois ?» Mots auxquels Anita répondit, bien involontairement sans doute, par ceux-ci à l'occasion de leur seconde et ultime entrevue, tandis qu'il ne lui avait pas répondu une seule fois en trois ans ; des mots encore plus dramatiques, encore plus émouvants avec le recul, Rilke décédant d'une leucémie seulement quelques mois plus tard : «Comment avez-vous pu me faire ça ?» Et Rilke de répondre, « quel terrible malentendu». Mais quel passionnant, quel enthousiasmant malentendu, proposé à notre lecture près d'un siècle plus tard !

L'édition qui nous est proposée ici, constituée d'une soixantaine de lettres - certaines très brèves, d'autres tenant sur plusieurs feuillets ; d'autres encore n'existant plus qu'à l'état de résumés ou d'extraits restitués par le journal intime d'Anita - permet tout autant d'en découvrir plus sur l'auteur des Sonnets à Orphée - une autre de ses œuvres majeures - que sur l'existence de cette femme de la bonne société du début des années 1920, des carcans étouffants dans lesquels l'une d'entre elles eut à se débattre afin d'en sortir dignement et surtout librement. La suite de l'existence d'Antia Forrer en atteste indubitablement. De ces rares et beaux échanges avec l'un des plus grands poètes du XXème siècle, elle sut faire œuvre existentielle intime, la vieille dame qu'elle devint (elle eut une belle et longue vie, s'éteignant très âgée au début des années 80) n'oubliant en effet jamais les conseils et les mots de son ancien maître. 



On notera aussi la richesse des notes, souvent agrémentées d'extraits d'autres correspondances de Rilke venant éclairer celle-ci, ainsi que le patient travail de présentation et de traduction de Jeanne Wagner et d'Alexandre Pateau. Notons, enfin, que l'ouvrage est agrémenté de documents iconographiques particulièrement enrichissants pour l'ensemble de ce recueil. Un bien bel ouvrage pour lequel nous tenons, une fois de plus, à remercier les éditions Bouquins de nous l'avoir fait parvenir gracieusement. 
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Les Roses

Avant tout, je tiens à remercier les éditions l'Aire pour l'envoi de ce livre, ainsi que l'opération Masse Critique. J'avoue que mon choix s'est porté sur ce livre, ou plutôt ce recueil de poèmes, car Rilke est un auteur que je connaissais déjà,  notamment avec son très célèbre Lettres à un jeune poète qui ne m'avait pas vraiment emballée. Peut être mon jeune âge n'a-t-il pas su comprendre la philosophie de cet auteur. C'est pourquoi,  j'ai eu la ferme intention de me réconcilier avec cet auteur. Voilà chose faite ! 



Dans Les Roses, j'ai découvert de multiples facettes de ce poète talentueux, et en premier lieu sa sensibilité pour la nature, particulièrement marquée vers la fin de sa vie. En effet, Rilke considère une Rose bien plus que comme une simple fleur, ou un simple objet de la nature -qui, soit dit en passant, est tout à fait digne de notre attention- mais plutôt comme une amie, une confidente. Grâce à une plume qui enchante le lecteur, j'ai ainsi jeté un autre regard sur les roses, leurs "coutumes", leur naissance et leur mort, leur fraîcheur, leur mystère et surtout sur leur brièveté qui les rend si uniques.



Je tiens à ajouter que les photos accompagnant chacun des  24 poèmes sont magnifiques, et sont de plus parfaitement assorties au poème associé. 

De même, j'ai particulièrement apprécié la préface, qui résume à merveille ma pensée concernant ce recueil !



Bref, comme vous pouvez le constater,  j'ai été conquise par Les Roses, et je me suis retrouvée complémentaire de Rilke. J'ai également éprouvé beaucoup de compassion pour l'auteur,  qui, lors des derniers moments de sa vie, à su profiter de ce qui en valait la peine et à réussi à extraire toute la magie de la nature, afin de la rendre encore plus belle...

À lire !
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Notes sur la mélodie des choses et autres tex..

Oui je le reconnais, je n'avais à ce jour jamais lu aucun ouvrage de Rilke. Même si j'ai longtemps possédé les Lettres et les Élégies… Divorce et immigration, combien d'amis et de livres ai-je laissés derrière moi ? Les uns et les autres se retrouvent plus tard: la patience console tout dit-on.

Bon fini l'apitoiement à 2 balles ! Mais si je me permets cette introduction, c'est que ce petit ouvrage inoffensif de R.M. Rilke est ce que moi j'appelle un vrai livre qui fait du bien (bien plus que toutes ces histoires dont le "héros" finit par s'accepter).

L'art comme la patience console de tout. C'est donc une sagesse douce que répand Rilke dance ces articles dont le premier, écrit dans sa jeunesse, révèle déjà son talent de critique d'art. Rilke, en effet, a appris à regarder l'arrière-plan, le fond des peintures (tel que nous l'apprend aussi Malraux voir mes citations précédentes).

Car ce fond tel qu'il est construit révèle bien plus qu'on ne pourrait le croire: À s'attacher au premier-plan, aux personnages ou sujets du tableau, on admire la dextérité et la véracité, à contempler le fond, selon moi, on révèle l'âme de l'œuvre. C'est cette harmonie présente chez les peintres de la Renaissance mais aussi les Impressionnistes que Rilke s'attache à restituer, celle qui existe avant les hommes, cette toile de fond dorée, cette lumière, ce paysage resté Nature avant d'être le miroir de nos émotions. Une lumière divine en quelque sorte où l'on parle plus d'humanité que d'individus.

Je recommande donc fortement cette lecture et moi je remets dans ma PAL les Elégies.
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Lettres à un jeune poète

Leçon de vie et de fraternité



Cette correspondance épistolaire entre Rainer Maria Rilke et Franz Xaver Kappus est émouvante en bien des points (je parle ici de la nouvelle édition intégrale, parue aux éditions du Seuil en octobre 2020). le jeune officier Kappus, en proie à des tourments intérieurs et aspirant à devenir poète, écrit à Rilke pour lui demander des conseils en la matière. Mais il n'existe pas de recette ni de manuel dans cette affaire. On ne devient pas poète, on naît avec cette faculté de voir au-delà du visible, d'entrouvrir quelquefois le voile des apparences pour regarder ce qui se trame derrière la nuit ; et cette capacité d'opérer des relations avec l'invisible n'est pas donnée à tout le monde, loin s'en faut. Pour un poète, la poésie doit circuler de manière aussi vitale que le sang dans les veines. C'est une façon d'être au monde, et qui ne s'explique pas. Bien entendu, il est possible de taquiner la muse en s'adonnant à divers exercices formels tels que l'écriture de sonnets, de ballades, de rondeaux, etc., mais si cela ne vient pas directement du coeur, c'est peine perdue.



Rilke va rapidement faire comprendre à Kappus qu'il ne peut lui être d'aucun secours sur ce point. Cependant, une relation presque fraternelle va se nouer entre les deux hommes ; Rilke jouant ici le rôle de grand frère attentionné. Kappus lui fera part de troubles intimes, ainsi que de la détresse qui semble accompagner chacun de ses pas tel un chien fidèle. L'intérêt de cette correspondance réside avant toute chose dans l'humanité profonde qui s'en dégage.



À défaut d'être poète, Kappus excelle dans l'art du récit : son article de journal intitulé "Nuit du nouvel an à la frontière", en date du 7 janvier 1909, et qui peut se lire à la fin de l'ouvrage, en est un exemple admirable. Les lettres de Kappus, publiées pour la première fois dans cette nouvelle édition intégrale, révèlent un besoin viscéral et désespéré pour le jeune homme d'établir un lien avec un être qu'il admire – car la déréliction est son pain quotidien. Rilke répondra à son appel et tentera, du mieux qu'il peut, de redonner de l'espoir et du courage à son interlocuteur. Cet échange sera aussi pour le poète un moyen de mieux définir son rapport au monde et de comprendre davantage la trajectoire scripturale qui est la sienne. Une fort belle leçon de vie et de fraternité.



© Thibault Marconnet

Le 26 novembre 2020
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Lettres à un jeune poète

C'est la vie qu'on retrouve dans ces dix lettres captivantes, ou une autre forme de vie, l'autre vie, celle de la solitude créatrice, celle qui a de la peine à cohabiter avec d'autres vies, celle qui est hostile et pleine d'exigence, celle qui est condamnée par les hommes avant même qu'elle naisse, celle qui a un parcours aussi sinueux que n'importe quelle route parce qu'on y va seul, on écoute que soi, on laisse mourir une partie de soi, on laisse remonter à la surface une flamme qui sommeille en soi, on s'écoute et se projette dans le monde, on laisse des concepts venir à soi de la manière la plus naturelle, puis on enfante la douleur, on fait jaillir la lumière autour de soi.

Ces lettres sont une école aussi bien pour les créateurs que pour n'importe qui, en tout cas bien des ambitieux ont été traités de fous alors qu'ils étaient dans cette extase de la créativité...
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Lettres à un jeune poète

Même si le principe d’une correspondance se fonde sur l’échange de lettres entre deux personnes, il semblerait que la relation nouée épistolairement entre Rainer Maria Rilke et Franz Xaver Kappus, un jeune poète lui ayant envoyé quelques-unes de ses créations, ne mérite pas de retenir les envois de ce dernier. Nous ne découvrirons donc que les lettres de Rainer Maria Rilke. Ne gâchons pas notre plaisir : il s’agit déjà d’une belle offrande.





Rainer Maria Rilke prend son rôle de conseiller très au sérieux et s’érige en sage, sans doute sans le remarquer. Il s’adresse à Franz Xaver Kappus comme il aurait pu s’adresser à n’importe quel autre artiste –mais pas à n’importe qui, car il semble croire que les artistes pensent avec une profondeur qui effraierait le commun des mortels- et lui apprend comment faire son miel de tout événement, surtout lorsqu’ils mettent à l’épreuve la résistance d’un tempérament. Que triomphe la solitude, et que l’amour redevienne l’occasion d’une métamorphose ! Pour Rainer Maria Rilke, tout art (toute poésie) qui ne serait pas greffé à la vie de celui qui se prétend artiste ne vaut rien : « Confessez-vous à vous-même : mouriez-vous, s'il vous était défendu d'écrire ? »





Et partant de là, Rainer Maria Rilke énonce ce qui constituera également un des fondements de l’art de la critique littéraire de Walter Benjamin : « Une œuvre d'art est bonne quand elle est née d'une nécessité. C'est la nature de son origine qui la juge ».





Les lettres de Rainer Maria Rilke ne méritaient peut-être pas d’être rapprochées des lettres de leur destinataire car leur contenu est universel : c’est comme si le poète se parlait à lui-même et que sur une idée, une question ou un poème de son correspondant, il était capable de s’épancher des pages durant. Rainer Maria Rilke ne communique jamais vraiment, seule sa poésie et son art littéraire lui permettent de s’entretenir avec ses semblables, au moins dans la forme.
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Serpents d'argent : Récits de jeunesse

« Cet ineffable…. » Écrivait Rilke à Zweig. Oui, cet ineffable sentiment ceignant l’écriture de ces treize nouvelles de jeunesse. Une peinture parfois brute et réaliste comme un tableau de Caravage, vibrante de romantisme exalté telle l’Atala de Girodet ou lumineuses, floues, aériennes avec une pointe de tourment à l’image des aquarelles de Turner. L’écriture de Rilke est tout cela à la fois, une peinture expressive, tendre, sombre et pathétiquement romanesque. La beauté de son écriture est une vibration intérieure dont l’écho s’approfondit de page en page. Une élévation presque mystique.L’écriture et les histoires sont peu complexes et on croit entendre une voix divine. Bien sûr, on assiste dans ce recueil de nouvelles à des exercices de composition littéraire : texte poétique, texte romantique, texte théâtrale, texte populaire, etc., avec en toile de fond l’humain et sa soif d’absolu, sa quête d’idéal (souvent bafoué). La femme, l’homme, l’enfant aussi, soumis aux turpitudes de l’existence, trahi par ses idéaux, par ses aspirations; par ce monde âpre, violent, dénaturé, englué dans sa faiblesse et sa bassesse. Ces treize nouvelles parlent de désespoir, de meurtre, de suicide, de trahison, de peur mais aussi d’amour, d’élévation spirituelle, de compassion, de liberté, d’un puissant sentiment d’humanité. L’âme ne semble n'avoir plus aucun secret pour le jeune Rilke, la justesse de ses descriptions, de son ton, allié à une prose poétique nimbant l’ensemble, propose des pages que je trouve enchanteresses. Oui, toutes ces pages relativement sombres sont un sortilège pour l’esprit. Un envoutement bénéfique ou la beauté s’exprime dans toute sa force et sa diversité, sans mièvrerie ni dogmatisme. Et comme disait un de ses amis « Nul ne peut parler de Rilke, sauf lui-même ». Alors taisons-nous.
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Oeuvres poétiques et théâtrales

Verger

Peut-être que si j'ai osé t'écrire,

Langue prêtée, c'était pour employer

Ce nom rustique dont l'unique empire

Me tourmentait depuis toujours: Verger.



Pauvre poéte qui doit élire

Pour dire tout ce que ce nom comprend,

Un à peu près trop vague qui chavire,

Ou pire : la clôture qui défend.



Verger: ô privilége d'une lyre

De pouvoir te nommer simplement.,

Nom sans pareil qui les abeilles attire,

Nom qui respire et attend.....



Nom clair qui cache le printemps antique,

Tout aussi plein que transparent,

Et qui dans ses syllabes symétriques

Redouble tout et devient abondant.
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Histoires du Bon Dieu

Dans mon esprit, Rainer Maria Rilke était associé à la poésie. Sans doute à cause de son livre "Lettres à un jeune poète"... et au fait que finalement je ne me trompais pas trop et qu'il était en effet poète !



C'est pourtant un recueil de contes-nouvelles que j'aborde ici, recueil d'histoires comme le titre permet de le deviner, et le mot est finalement sans doute le mieux choisi. Rilke semble en effet vouloir d'abord rendre hommage à ces "histoires" qu'on raconte aux enfants pour les édifier, pour qu'ils en tirent un enseignement, des réponses à leurs questions incessantes. C'est le sens du conte cadre qui ouvre le recueil où l'auteur-narrateur promet à une de ses voisines de lui offrir par ses histoires les réponses aux questions sur Dieu que lui posent ses enfants.



Même si on peut parler de conte cadre pour ce premier texte qui entame le recueil, l'auteur ne renonce jamais à continuer le cadre tout au long des récits. L'originalité de ses histoires est qu'il introduit toujours dans un premier temps (qui peut s'avérer long) le contexte qui lui fait raconter chaque histoire: le lieu, le temps, la personne à qui il raconte l'histoire et qui sera chargé ensuite de la répéter aux enfants, car Rilke a peur de leur parler directement, peur d'être considéré comme un menteur, mal compris, peur peut-être aussi des questions des enfants finalement.



Cette mise en abyme de l'histoire est toujours très riche, le contexte apporte toujours une richesse à l'histoire, les interlocuteurs changent le récit par leurs questions, un peu comme une méthode socratique inversée, où ce serait Rilke qui se ferait accoucher de son conte par ceux auxquels il est destiné.Rilke n'oublie pas la poésie, même dans ce choix des "écoutants" puisqu'il va jusqu'à parler aux nuages et à l'obscurité dans deux des contes du recueil.



Les histoires en elles-mêmes sont diverses et, comme dans tout recueil, inégales. Mais, même quand on est un peu perdu sur le sens qu'il souhaite donner, on trouve toujours une formulation, une évocation qui nous touche plus particulièrement. La foi est plus le centre des récits que la religion en elle-même. J'ai parfois craint au début une volonté prosélyte de l'auteur mais il met régulièrement en avant une relation individuelle à Dieu qui le fait s'éloigner des institutions.



Une première rencontre avec Rilke qui donne envie d'en connaître plus, les flamboyances de style apparues au milieu des histoires ne peuvent que mener à sa poésie. Ou aux conseils de poésie données à un jeune confrère, qui restent son ouvrage le plus connu.



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Lettres à un jeune poète

Ces lettres à un jeune poète m'attendaient bien sagement . Elles ont patienté beaucoup, trop longtemps peut-être ?Pas sur , Rainer-Maria Rilke prône la patience en toutes choses, j'ai donc sans doute ouvert ce recueil au moment adéquat.

Dix lettres, dix réponses au courrier de Franz Xaver Kappus un jeune poète avide de conseils. Dix lettres dans lesquelles Rilke s'exprime sur la création littéraire, sur la vie de l'homme qui se doit d'être seul et solitaire face au monde afin de pouvoir se trouver, sur l'amour, sur l'humain l'homme la femme telle qu'elle est amenée à devenir. Emotion, ressenti personnel .. Rilke dénie l'utilité des mots de la critique "qui n'aboutissent qu'à des malentendus plus ou moins heureux". Dix lettres écrites entre février 1903 et Noël 1908, dix lettres que Monsieur Kappus fera publier en Juin 1929 après la mort de Rilke.

Quel dommage que Mr Bernard Grasset ait jugé opportun de commenter ces textes ...je n'ai pas résisté , la tentation était trop grande je n' ai pas lu sa prose!
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Lettres à un jeune poète

C'est en 1903 que Franz Xaver Kappus, alors jeune élève officier de l’École militaire impériale austro-hongroise, entreprend d'écrire à Rainer Maria Rilke pour lui demander conseil et lui confier ses doutes sur le travail d'écriture. Sans se connaître l'un et l'autre, les deux hommes vont entretenir une correspondance irrégulière mais qui durera cinq ans.



Au nombre de dix, les «Lettres à un jeune poète» sont en fait les réponses que Rainer Maria Rilke adressa à son jeune correspondant. Tout au long de celles-ci, avec une bienveillance et une sincérité édifiantes, Rilke confie que rien ne naît du travail du poète en dehors de la difficulté et du travail, que d'eux seuls peut éclore une réponse poétique aux trompeuses évidences, à une vision figée des choses. Difficulté d'être à soi, d'être dans la solitude, de se défaire des normes, d'assumer cet écart envers le conformisme ambiant sont tout ce que Rainer Maria Rilke va enseigner au jeune Franz Xaver Kappus.



La lecture des «Lettres à un jeune poète» a été une révélation pour moi. Je l'ai commencée sans pouvoir m'en défaire jusqu'à la fin. Empreintes d'un lyrisme et d'une sincérité vraiment touchante, elles sont une réflexion précieuse sur l'art de l'écriture, sur l'imaginaire poétique et tout ce qu'il suppose pour son auteur.

Je conseille vivement la lecture de ce recueil, une œuvre incontournable.
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Lettres à un jeune poète

On sait peut-être que l'oeuvre épistolaire de Rainer Maria Rilke atteint des proportions monumentales, et dépasse en quantité toutes les proses et tous les poèmes qu'il a pu écrire. C'est qu'en Rilke l'ami, le correspondant attentif, ne sont pas dissociables du poète. Rilke n'est pas un solitaire, mais un être de communication et de partage. Aussi, le recueil de lettres à un jeune poète détaché de l'ensemble de sa correspondance a-t-il un intérêt particulier : il ne connaît pas son correspondant qui ne lui donne à lire que ses lettres et ses poèmes, mais par la grâce de la lettre, il lui parle aussi bien de lui-même, que du métier de poète, ou si l'on veut, de la vocation poétique. Il l'inscrit au plus profond du secret des êtres, fidèle à une tradition née du romantisme dans laquelle être poète est d'abord un état, une élection, plus qu'une activité littéraire. Il a de belles pages sur ce thème.
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Lettres à un jeune poète

"Lettres à un jeune poète" est un court roman épistolaire dans lequel un jeune élève de l'école militaire Wiener Neustadt en Autriche entretient une correspondance avec le poète Rainer Maria Rilke entre 1902 et 1908.



Il s'appelle Franz Xaver Kappus. Il a une vingtaine d'années et aime lire la poésie. Il apprend par hasard que R.M. Rilke a été élève dans la même école militaire que lui il y a quelques années. Mais, étant de santé fragile, il a arrêté ses études militaires au bout de quatre années pour se consacrer à la littérature auprès de sa famille à Prague.



Kappus, jeune poète également, lui écrit une lettre pour solliciter son aide.



Contre toute attente, Rilke répond à cette lettre.



C'est alors le début d'une correspondance qui dure jusqu'en 1908.



"Je résolus dans l'heure d'envoyer mes tentatives poétiques à Rainer Maria Rilke et de solliciter son jugement. Je n'avais pas encore vingt ans et j'étais sur le point d'embrasser un métier que je ressentais comme exactement contraire à mes inclinations ; si j'espérais quelque compréhension c'était précisément de la part de quelqu'un comme le poète qui avait signé le livre "Mir zu Feier". Et sans que je l'ai vraiment préméditée, une lettre finit par accompagner mes vers ; je m'y livrais sans réserve, comme jamais je ne l'avais fait auparavant, et comme jamais non plus, par la suite à qui que ce soit d'autre."



J'ai beaucoup aimé découvrir l'auteur à travers ce texte empreint de douceur et de bienveillance. On y trouve les dix lettres que se sont envoyées les deux poètes au cours de ces années mais aussi deux textes intitulés "Le poète" et "Le jeune poète".



On y parle de solitude, d'amour, d'art, de littérature, d'inspiration et de sensibilité.



J'ai particulièrement aimé cette version bilingue en allemand et français dans la collection Poésie/Gallimard avec laquelle j'ai essayé de lire quelques passages en allemand.



Un très bon moment de lecture le temps d'un après-midi au soleil avec la plume de Rilke.

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Le Livre d'Heures

De la nuit à l’aube



Il fait nuit. Une bougie s’allume qui éclaire le sang noir de l’encre, et la peau blanche du papier s’imprègne de chaque mot déposé. Dans sa cellule, le poète a rassemblé sa parole et il la porte haut comme un ostensoir. D’abord, s’installe le recueillement avec "Le livre de la vie monastique".



Mais bientôt, le poète se sent à l’étroit, il lui faut quitter cette thébaïde et partir à la rencontre du monde et des êtres qui le peuplent, hommes et bêtes, arbres, pierres et ruisseaux. Il lui faut chauffer son front pâle au feu du soleil et se mettre en route. S’ouvrent alors les pages qui contiennent "Le livre du pèlerinage".

Rilke fait entrer Dieu dans la danse, il le questionne, lui dit ce qu’il ressent dans le tréfonds de sa chair, dévoile ses doutes, ses peurs, ses joies, et célèbre la beauté de tout ce qu’il rencontre de vivant sur cette terre.



Après avoir longtemps marché au cœur d’une nature riante, les grandes villes de Caïn l’attendent, laides, froides et oppressantes, marquées du sceau de la détresse dans laquelle chaque être humain se débat : c’est "Le livre de la pauvreté et de la mort". Le poète entre dans le dénuement, laissant tomber au sol ses vêtements comme de vieilles peaux mortes trop longtemps portées. Ses yeux se dessillent, regardent la misère humaine bien en face, et il demande que soit donnée « à chacun sa propre mort » ; pas la mort impersonnelle et qui frappe sans crier gare, mais le fruit longtemps mûri au dedans de soi.



C’est sur une éclaircie que le poème se termine, ou plutôt s’ouvre comme un possible recommencement. Car à la nuit succède l’aube fertile de tout ce que le poète aura appris en chemin.



© Thibault Marconnet

Le 1er avril 2021
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Les Cahiers de Malte Laurids Brigge

Malte Laurids Brigge, jeune intellectuel aristocrate danois, presque anonyme, sans fortune, aspire à écrire et arrive à Paris, y cherchant salut et inspiration. Notant au fil des jours ses remarques dans un carnet, Malte met à l’épreuve son devenir d’écrivain, sa recherche poétique et sa quête d’identité, tout en tentant de ne pas se diluer complétement dans le chaos urbain de la modernité, attentif à ses failles comme à ses révélations.

Unique entreprise romanesque de Rainer Maria Rilke, cette œuvre à part, novatrice, follement séduisante, à la frontière du roman et de la méditation poétique, est un ensemble de cahiers où, dans une mutation infinie du sujet et du monde, se mêlent dissections des sens, transfiguration lyrique, géographie urbaine et immersion dans l’histoire de la poésie.



Rilke n'a de cesse de marquer la conscience du lecteur en semant la confusion : le récit discontinu, suite de fragments, côtoie une dissolution du personnage de Malte, tout en superposant à cette diffraction un monde poétique aux formes éblouissantes, ou rien n’est défini ni définitif.

Cette ambivalence génère une tension donnant au texte toute son énergie, opposant un personnage central impuissant, malgré une introspection soutenue, à accomplir sa mutation littéraire, à un roman dont la forme innovante, elle, a réussi toutes les transformations. Rilke saborde ainsi le procédé traditionnel littéraire pour mieux nous parler de modernité.



Véritable hymne composé à la marge des êtres et à la frontière des choses, ce roman moderniste à la forme intimiste se retire au seuil de la modernité pour mieux en expérimenter le sens et les contours perméables. Rilke y diagnostique les mœurs propres au monde moderne urbain (Paris), où les images et les sens se multiplient frénétiquement en signes traitres et artificiels, et interroge la place de l’homme dans ces nouveaux modes d’existence. L’auteur, par le biais de la sensibilité et du regard de Malte, dessine une expérience négative de l’ère moderne et du progrès, où la quête de savoir et d’identité affronte la ville, l’écriture et la mort. Menaçant l’identité, la cité se révèle périlleuse autant pour la sphère intime que pour la singularité et l’unicité de Malte : elle multiplie tout, diffracte tout, quand Malte a tant besoin de se concentrer en un point singulier et transformer cette introspection en expérience d’écriture, écrire étant le seul moyen de combattre spirituellement et physiquement les signes trompeurs de la modernité. Il s’agit donc de conjurer la confrontation avec le réel, source de remise en cause et de tourment, pour se reconstruire par l’écriture : surmonter le fiasco pour le muer en accomplissement.



C’est aussi une quête esthétique transmutée en quête d’un absolu exempt de concept et de définition, niant toute limite, jouant avec l'espace-temps dans un monde subjectivement ré-agencé. Bouleversement de l’ordre du monde, bouleversement du langage, du corps, des espaces, des temporalités : rien n’est permanent, toute frontière est celle de la peur, tout refuge réside dans l’indiscernable.



C’est enfin une quête morale de l’homme moderne (morale dont la consistance est incarnée par l’écriture, vectrice de vérité) oeuvrant à sauver l’âme des démons urbains, puisque pour Malte, et donc pour Rilke, écrire et vivre ne sont qu’un : l’écriture n’est pas artifice moderne mais possibilité d’existence et de continuité dans un modernisme discontinu.

L’auteur nous enjoint donc par le biais de l’écriture à expérimenter par nous-même l’espace moderne et mouvant du monde grâce à l’espace moderne et mouvant de ce roman.



"J'apprends à voir. Je ne sais pas pourquoi, tout pénètre en moi plus profondément, et ne demeure pas où, jusqu'ici, cela prenait toujours fin. J'ai un intérieur que j'ignorais. Tout y va désormais. Je ne sais pas ce qui s'y passe."
Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
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Vergers

Rainer Maria Rilke s’est mis à écrire des poèmes en français assez tardivement. Les raisons du choix de cette langue sont multiples. Il s’agit tout d’abord d’affinités amicales –en témoignent sa correspondance et ses amitiés avec des poètes français tels que Gide, Romain Rolland, Jouve, Supervielle, Baudelaire ou Paul Valéry-, mais aussi d’une lassitude de la langue maternelle allemande. Dans le cas des poèmes des Vergers, retenons cette justification valable au-dessus de toutes les autres : « Je me rappelle, par exemple, qu’une des premières raisons de passer à une poésie française fut l’absence de tout équivalent à ce délicieux mot : Verger ». La vraie poésie peut se contenter de ce genre de justification qui ne justifie rien. On sent bien, de toute façon, que rien n’est fortuit dans ces poèmes, et que chaque mot semble issu d’un jugement terrible auquel nous autres, humains ( ?), n’aimerions pas avoir affaire.
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Poèmes à la nuit

Ce livre m'est cher et précieux.

Premier contact avec Rilke, une poésie que l'on sent douce et impénétrable, écrite comme pour lui-même plus que pour le lecteur. Et puis, la transfiguration magique du moment de la nuit est si belle, ouverte à toutes les libertés, à tous les espoirs. Poésie mélancolique et optimiste, et d'une langue qui bien sûr fait aimer l'allemand.

Rilke c'est pour moi la poésie que l'on murmure à l'oreille de l'autre.
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Lettres à une jeune poétesse

Entre Rainer Maria Rilke et Anita Forrer sa jeune correspondante l'amitié singulière se nouera aussi par les livres et la lecture. Rainer s'inquiètera vite de ce que les siens troublent Anita (Le Livre d'heures écrit entre 1899 et 1903 Les Cahiers de Malte Laurids Brigge en particulier son seul roman paru en 1910, il l'orientera vers ses auteurs favoris J. P. Jacobsen ou S. Lagerlöf : « Ca ne doit pas toujours être moi, Anita, – je vois bien qu'il faudrait que je vous détourne de moi pour vous mener vers d'autres livres » (lettre du 28 janvier 1920). Plus tard lui enverra « le Livre du thé » (Okakura Kakuzo) et jusqu'à son exemplaire des « Fleurs du Mal », pour ses vingt ans, accompagné d'un poème-dédicace à son attention (12 avril 1921).



Le premier qu'elle avait lu de lui était la monographie de Rodin ; elle achetait tous ses livres et les faisait relier en demi-cuir precise une note de bas-de-page (p. 19). Anita Forrer a dix-neuf ans, Rilke a une fille du même âge, il est au beau milieu de la quarantaine avec une notoriété bien établie, quand elle assiste à une soirée de lecture donnée à Saint-Gall par l'écrivain fin 1919. Elle lui écrit via son éditeur le 2 janvier 1920 : [...] « Comme il doit être beau de faire votre connaissance. C'est bien parce que cela est impossible que je peux vous l'écrire. » […] de Locarno en Tessin où on lui a transmis la lettre il se désole en réponse de n'avoir pu lui serrer la main, lui fera part dit-il de ses éventuels nouveaux travaux et lui confie encore :



« Les cinq bouleversantes années écoulées ont ouvert en moi d'abyssales interruptions ; une réflexion et une concentration laborieuses seront nécessaires afin de les surmonter et de poursuivre ces travaux intérieurs que j'avais – ah, et avec quelles espérances ! – entamés en 14. Je ressens encore dans toute ma nature la désespérance de la guerre […]



Ainsi commencent leurs échanges épistolaires inédits en France jusqu'à maintenant ; très réguliers au tout début et plus ou moins distendus par la suite, entrecoupés d'une tentative de rendez-vous manqué au printemps 1920, d'une rencontre décevante en 1923 et d'une autre, ultime et fortuite, en 1926 six mois avant la mort de Rilke. La limpidité du style et la pensée de Rilke d'un côté, la prose d'une très jeune fille en quête de « sa véracité » de l'autre ; elle lui envoie rapidement ses premiers essais poétiques. le jugement de Rilke ne se fait pas attendre :



« En ce qui concerne vos petites tentatives, j'étais bien content d'avoir à leur côté quelques pages de votre lettre : vous vous y exprimez ô combien plus justement et singulièrement ! Vous feriez mieux de vous exercer à noter vos sentiments en prose. Je ne saurai vous mettre suffisamment en garde contre la tentation de la rime, qui viole et aliène imperceptiblement ce qu'on pensait lui confier, et qui, en vérité, se perd en cours de route quand on tente une transformation poétique sans la maîtriser pleinement. Il n'est pas sans danger pour notre propre véracité de se réfugier dans une forme qui nous dénature, nous gâte et nous rabaisse un peu, là où l'on voudrait reconnaître notre image la plus chère. En prose (c'est ce que vos deux lettres qui me sont chères et qui sont vraies, m'indiquent clairement), vous êtes capable d'esquisser précisément et pleinement vos sentiments. Vous seriez effrayée si je pouvais vous montrer à quel point les petits vers sont quant à eux vagues et insignifiants » (lettre du 16 janvier 1920).



De quoi échauder les ardeurs de la débutante. Rainer a endossé le rôle de Maître « par son versant le plus sévère », mais encourageant il écrira ensuite : « Cédez toujours avec zèle à la pulsion de mettre quelque chose sur le papier, mais faites-le en prose, avec pour seul désir d'être authentique. Et lisez de bon livres, bien éloignés du Malte. » (lettre du 19 janvier 1920)…



Hésitant « entre deux plumes » (poésie et prose) elle se dit « libérée » d'avoir a choisir : « Comme vous écrivez bien ! Tellement attentif à ne pas blesser, comme le ferait un grand frère. - je vous en remercie ! ». Anita Forrer ne sera pas poétesse. Ce sont là des lettres à et d'une jeune fille en prose. Outre l'asymétrie de leurs positions respectives – l'écrivain est tout de même en surplomb face à la jeune fille qui se confie –, ces courriers révèlent vite des ressorts plus personnels et intimes de la psychologie d'Anita (que sa santé fragile rend vulnérable depuis l'enfance) et des aspirations profondes qu'elle tente souvent maladroitement de faire émerger, isolée dans un milieu familial encore régi par des conventions sociales strictes :



« Je me sens infiniment éloignée de tous les gens heureux, par un incommensurable malheur qu'on ne peut ni exprimer ni définir, il faut l'éprouver pour le comprendre. Pourtant, il n'y a sans doute rien de mal qui y est associé » (lettre du 20 novembre 1920).



« Et il y a ce poids qui pèse toujours sur moi, devoir rester à la maison et attendre un homme, en quelque sorte. » (18 mai 1822)



Son insuffisance supposée, sa crainte d'être une correspondante médiocre : « Je ne mérite pas que vous m'écriviez une seule lettre de plus et que vous perdiez votre temps pour moi » (25 janvier 1921), sa désespérante façon de se dénigrer ou d'affirmer ailleurs son ambition d'être une femme hors du commun, ses questionnements multiples contradictoires, ses avancées et reculades, exprimés maintes fois sont pointés par Rilke, (a-t-il pu s'en lasser ?) :



« Ce qui m'est le plus douloureux, c'est votre façon de vous sentir tantôt à moitié supérieure, tantôt à moitié inférieure ; il semble par moments que vos emportements vous font presque dépasser votre coeur, puis vous vous immobilisez de nouveau devant lui comme au pied d'une montagne ; vous vous estimez armée de talents, pour aussitôt rabaisser cette faculté, à cause d'une petite épreuve aléatoire et en douter si profondément qu'elle ne semble pas même suffisante pour le plus ordinaire des jours ». (29 novembre 1920)



Figure d'autorité intellectuelle et confident Rilke reçoit le poids des préjugés moraux et des conflits familiaux qui accablent Anita. Dans une lettre elle lui relate une amitié féminine de pension mal vue dans son milieu quand elle avait quinze ans ; plus tard dans une autre son amitié avec une femme divorcée. Très belle sera la longue réponse où Rilke aborde sans détours la question de l'homosexualité pour la libérer d'une culpabilité inutile (p. 47 à 50) ; très forte son empathie « Si seulement j'avais pu vous soulager plus tôt de ce poids fantôme – je suis triste pour chacune de vos jeunes journées qui en a souffert » (p. 57). Ce qui ne l'empêche pas d'ironiser auprès de la grande amie de ses dernières années Nanny Wunderly-Wolkart qu'Anita rencontrera plus tard : « mercredi j'ai écrit des lettres, notamment sept pages à Anita, qui avait marché sur moi avec toute une artillerie de questions à gros calibre : « Croyez-vous en Dieu ? » ; « Croyez-vous qu'il y a une vie après la mort ? » (note de bas-de-pages, p. 69).



Reste pour Rilke son travail d'écrivain, l'isolement qu'il requiert :



« […] mais désormais mon isolement (qu'exige mon travail) est de plus en plus strict, car le temps, ce temps calme et préservé dont je dispose ici, s'envole et je ne suis qu'au tout début de ce qui devrait être produit et, peut-être, accompli. le strict évitement de toute forme de rapport s'étend ainsi de plus en plus à mes échanges épistolaires […] » (10 mars 1921)



Jusqu'à son terme et alors que les silences s'allongent entre les lettres (les dernières d'Anita sont sans réponse), la lecture reste d'autant plus captivante qu'elle s'accompagne d'un appareil de notes (bas-de-pages) qui éclaire ou précise à chaque fois le contexte ou le contenu des missives. On s'attache à la personnalité contrastée d'Anita, à ses débuts compliqués dans la vie, à ses oscillations d'humeur, ses atermoiements ou à ses gestes attentionnés et chaleureux en direction de Rainer à Noël, on se plonge dans les années suisses de création de Rilke (achèvement des Élégies de Duino et Sonnets à Orphée ses dernières oeuvres), et souvent on envie Anita d'avoir échangé avec un tel correspondant ; mais en définitive c'est le côté inachevé de leur relation qui touche infiniment ici, inscrit dans le malentendu de leur rencontre ratée du 4 octobre 1923 (la lettre d'Anita datée du lendemain de cette entrevue est restée sans réponse) ou de leur tentative d'explication de 1926, confortant la beauté de l'élan initial qu'Anita s'était autorisé en direction du poète pour qu'il l'aide à affirmer ce que sa fragilité peinait à lui faire conquérir : sa propre « assise intérieure ».



Très beau.





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