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François-Marie Deyrolle (Éditeur scientifique)Jean-Patrice Courtois (Auteur de la postface, du colophon, etc.)
EAN : 9782757801628
231 pages
Points (01/03/2007)
4.37/5   30 notes
Résumé :
" en avant des choses des mots
un vaste silence remué du dedans
vibre lent "

Ce volume réunit les poèmes d'Antoine Emaz parus entre 1990 et 1997. Sa poésie, parfois d'une extrême concision, tend vers le plus de justesse possible, au ras du réel. De courts textes en vers libres alternent avec des paragraphes brefs, justifiés, comme des blocs denses. Ici les mots sont des " grains de sable ", édifices dérisoires qui sculptent le vide, le t... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Avec le recueil Caisse claire, je poursuis ma découverte de l'oeuvre d'Antoine Emaz, découverte tardive mais essentielle d'un très grand poète.

Choisis par l'auteur lui-même, en vue de l'édition en 2007 chez Points, Caisse claire regroupent des poèmes écrits de 1990 à 1997 et publiés séparément chez plusieurs éditeurs.

Le recueil commence par un texte intitulé Poème du mur.
Le mur, c'est l'image de l'existence indépassable, de notre insurmontable condition. Ce poème donne la tonalité du recueil tout entier.
Face à ce mur, à cette impasse, quelle place reste-t-il pour la parole ? Que faut-il attendre et espérer de la parole ? Dans cette attente presque imprévue, Antoine Emaz écrit sur cet instant de peu, temps refermé en lui-même. C'est à la rencontre de ce mur imposant et du regard posé sur lui que naît l'écriture. D'abord hésitante, la parole finit par se déployer, composant avec d'autres lieux que sont un jardin, les bords d'un fleuve ou ceux d'un océan, avec d'autres temps, ceux de la solitude et de la vieillesse.

« Il y a du fleuve dissous dans cette lumière, et de l'air
et des arbres, mais pas de vent. C'est très calme – et
pourtant le pays passe, continûment bouge, emporte
les mots avec le reste. L'eau nous laisse, avec dans
les mains des mots qui coulent, plus lents. »*

Dans une alternance de poèmes en vers et en prose, de lignes brèves et plus longues, Antoine Emaz évoque ce mouvement, cet effort de projection des mots du dedans vers le dehors, des mots au dehors de nous-mêmes, de notre corps, au-delà de notre souffle.
Chez Emaz, dire les choses permet de s'ancrer en soi, d'être au présent, d'éprouver le rythme de ce qui est et de ce qui n'est pas sans nous. Cet ancrage de la parole donne à l'écriture son épaisseur, sa raison d'être.

« Soir. Peu à voir sauf le ciel et la lumière qui baisse. Se
perdre et descendre, chuter lentement dans la couleur
trop légère pour porter plus que l'oeil. Passer dans la
teinte calme, quelque chose d'enrobant léger pas
blanc mais déjà plus vraiment bleu. Plus loin, il n'y a
Rien d'épais mais comme sans fin une suite de voiles
bleutés qui bougent. Aucun vertige. »**

Les poèmes d'Antoine Emaz ont une temporalité sans mesures, sans repères. Elle n'apparait que dans le rythme, les décalages syntaxiques, les espaces entre les mots. Comme le rythme apaisé d'une respiration.
Tous les poèmes de Caisse claire touchent au mystère mais aussi au sublime. Dans un dépliement de la conscience, la poésie d'Antoine Emaz est une terre colorée de belles sensations, comme une parole revenue en nous-mêmes.

« On revient sur les lieux
dans ce qui n'a pas été dit
et pourtant n'est pas silence

Violence dormante

On essaie de ne pas trop voir
ce qui nous regarde. » ***



(*) extrait de « Poème, Loire », 1996
(**) extrait de « Autant que possible », 1995
(***) extrait de « Boue », 1997

.
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Ce recueil est composé de fragments de diverses autres publications.

Ce qui pour des textes aussi fragmentaires a quelque chose de génial !

Nous suivons le regard du poète d'un objet à l'autre, de l'amour à la mort, du quotidien à la ville…

L'ordinaire est mis en avant, en relief, par ce regard qui s'y attarde.

La musicalité des mots a su me toucher…

Quelque part entre Guillevic et Monk, dans le flottement de la personne à la fois prise par le temps qui file, par le quotidien et donc par la beauté de nos vies à tous.
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Des poèmes au plus près de la vie et de la langue : de toute façon, c'est la même chose. On est à l'os ou à l'épure. Il n'y a rien de trop et pourtant tout est là. Qu'on ne vienne pas me dire que la poésie, ce sont des mots compliqués et que la poésie contemporaine, on n'y comprend rien !
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Citations et extraits (38) Voir plus Ajouter une citation
Paresser (Loafing, 1986)


J’ai examiné la chambre il y a quelques instants
et voilà ce que j’ai vu –
mon fauteuil à sa place, près de la fenêtre,
le livre ouvert retourné sur la table.
Et sur le rebord, la cigarette
en train de se consumer dans le cendrier.
Simulateur ! c’est ce que m’avait crié mon oncle
autrefois. Il avait raison.
J’ai mis de côté du temps, aujourd’hui,
comme tous les jours,
pour ne rien faire du tout.

*

I looked into the room a moment ago,
and this is what I saw —
my chair in its place by the window,
the book turned facedown on the table.
And on the sill, the cigarette
left burning in its ashtray.
Malingerer! my uncle yelled at me
so long ago. He was right.
I’ve set aside time today,
same as every day,
for doing nothing at all.

***
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Poème de la fatigue

I
On avance dans l'épuisement
marais ou dunes
dans ce qui est en train de se finir

les dunes les pieds s'enfoncent
la marche est gênée d'herbes maigres et hautes
ou l'étendue molle des marais
sol imbibé
eau épaissie du pourrissement continuel des plantes sombres

et d'une marche plus lourde on avance encore
dans cette terre qui colle

l'effort s'enlise
pris dans le sable ou la vase
de même
dans ce qui est en train de se finir

on n'a pas souvent le choix

//

il s'agit toujours d'en sortir
et toujours on se heurte à la force
long temps lourd cours des choses
qui nous porte malgré tout
jusqu'
aux eaux mortes
épaissies et obscures

tout finit comme les feuilles

et on se retrouve à nouveau
sans énergie pour plier le dehors

//

perler
interminable souffle
qui n'atteint ni ne cerne
ne résout ni ne transforme
sous le ciel

un rien à voir
comme la sensation d'un sol mou sous le pied

homme
de si peu de poids
dans l'incertitude
qui dure

//

dans la lumière qui monte sur l'étendue qui s'agrandit
il s'est arrêté à peu près au milieu et se recroqueville

dans la lumière qui monte avec la fatigue
la mer s'éloigne et les gens bougent
il se serre pour durer

//

il y a sans doute encore à dire
mais il faudrait arriver à y croire assez

Dehors, dans la chaleur de l'été, tout est en place,
même la chaleur. La foule, les boutiques, les voitures,
les enfants, les arbres, les oiseaux et le reste. Belle
journée en perspective.

moment sans refuge
ni le silence ni le bruit de la vie

//

continuer

comme s'il fallait
porter plus loin l'épuisement

pour qui

plus loin
comme si on n'avait pas le droit de rester là
avec une langue en bouche

avancer encore un peu
pour qui

et puis le rire
déracinant

//

au bout du jour
qu'est-ce qui reste

on a parlé on a
fait ce qu'il fallait
on n'a pas avancé d'un pouce

peut-être cela vaut-il mieux
on s'est reposé d'attendre si fort

mais l'usure de l'étoffe
quand on la regarde de près
fait un peu peur

II

Continuer. On passe souvent à travers en se contentant de continuer sans voir.

Cycles d'air et étouffement. Des moments où on
n'attend plus rien. Même pas déçu. On a seulement
pris le pli et peu à peu, l'espoir ne crispe plus le
ventre, on laisse les choses en l'état. Avec un peu de
chance, on se rejoindra, plus loin.

A l'intérieur cassent des fibres sensibles comme des cordes.

Impression que rien ne tient assez fort pour endiguer,
maintenir dans cette zone fatigante où pourrait se jouer quelque chose.
Ce qui tient, le dehors, ces nuages par exemple, est hors de portée.

//

Nausée. Comme une pression très forte au centre, évacuant de tous côtés jusqu'à ce qu'on croyait définitivement acquis, fixé. Temps pourri.

Ce qu'on attend d'une vie. Ce pour quoi on continue.

Fatigue. Tête usée alors que le reste du corps poursuit tant bien que mal son travail.

Le dégoût. Le courage qui manque.
La pluie lave le carreau. Le silence, ailleurs.

Peur de ne pas se redresser, un jour. D'en rester là.
De laisser une page avec du blanc encore.

ce n'est pas la fin qui gêne
mais quelque chose de plus lourd
à l'intérieur de la vie

//

Écrire, comme si quelque chose devait se jouer un jour ou l'autre à cet endroit.
Alors, on se maintient, on entretient la main. A certains moments, on ne peut d'avantage.
Quand cela se prolonge, on finit par se demander si ce n'est pas cela, écrire, au vrai.

Dans la nuit, la sonnerie grelottante et persistante annonce un train qu'on ne voit pas.
L'inconsistance : on ne sort pas du pas encore, de l'inexact. On se demande si c'est possible.

Vision triste. On vit, mais au fond, ça n'avance ni ne recule, ça reste là. Ça remue seulement un peu pour, en définitive, rester là.

//

au milieu de la nuit
la pluie n'éteint pas les quelques lumières de la ville en bas
on rêve d'un lourd sommeil sans rêves
on ne peut plus se voir
au matin le ciel clair à force de nier

//

Usé par ce qui est à faire. Sans cesse. Même en allant vite, en expédiant, toujours quelque chose devant jusqu’au soir où progressivement se ralenti le rythme : on est seul, vidé.

Ce qui ne s'abolit pas, même si on le repousse aussi loin que possible : le désordre, le mensonge, la confusion, la lâcheté.

Chacun tient plus ou moins bien ses monstres.

Au bout du compte, se rappeler une musique, un arbre dans la pluie, la brume le matin... Cela, en réserve, pour rester encore debout.

//

A la fin de la nuit.
Un moment vient de calme où il n'y a plus rien. On est là, indifférent au malaise qui a porté jusqu'ici, au bord d'une nuit qui se termine, et on attend qu'une décision se prenne.

Au-delà d'un certain effort, il ne sert à rien d'essayer de peser sur les choses. Toute l'énergie sera dépensée pour déplacer un tout petit volume et on aura plus la force de mettre autre chose à cette place.

Les choses. Le pesant.

//

Les yeux chauffent.

Ce n'est pas la page qui angoisse, mais ce qu'on serait capable d'écrire, sans retenue.

Il y a aussi ce qui use peu à peu, ce qui gagne en dedans, nous réduisant.

Parler ou se taire, cela est clair, égal. Mais le plus souvent, tout demande la parole et, dans le même temps, le silence.

ce qui nous tient encore debout
la ténacité
l'entêtement
l'habitude
on ne sait plus se retrouver assez

Les yeux brûlent.

//

Fatigues.

Peu de souffle restant
et un goût dans la bouche de mot mâchés trop longtemps.

Ou simplement les yeux qui tombent.

N'importe comment, elles sont ce qui reste.
Résidus, au moins sûrs.

(P21-28)
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en avant des choses des mots
un vaste silence remué du dedans
vibre lent

comme mots-choses en suspens dans leur silence
avant le désir et nous reposant quasi dormant dans
le sans bruit des choses-mots posés suspendus là dans
le calme frais de la terre presque
une vibration à peine sensible et un arbre-table ou un
oiseau-main se figent ou se défont très doucement au
point qu'il suffit d'attendre pour passer de l'un vers
l'autre sans heurt sans effort

.
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POÈME-LETTRE


on est allé jusqu’à ne plus savoir
comment
plus loin

un mur
indéfiniment

un jour
on ira
plus loin

d’ici là
le temps
comme pauvre
et la force prise dans l’attente
tendue
sans bouger

on reste
en face

à la longue
ça devrait
déplacer
le pays

ou bien
jusqu’à ne plus tenir
n’être plus tenu

un matin il y aura
une mémoire d’eau
une vaste pluie devant
rien d’autre

on viendra au jour
avec seulement
dedans
le temps ou l’air

on sera devenu
assez léger
pour passer


//Antoine EMAZ nous a quitté le dimanche 3 mars 2019.
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Poème du mur
Extrait 1

Au pied du mur. Une falaise de craie, une paroi droite.
La route est stoppée là, au pied.



Des jours.

La paroi reste. On devient plus léger.



À force, le mur ne surprend plus.
On se dit qu'il fallait bien s'attendre à quelque chose
comme ça.

p.9
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