Nouveaux mondes...
Les dix récits qui composent ce recueil (neuf nouvelles, dont quatre sont inédites, et un court roman d'une centaine de pages profondément remanié) constituent autant de chapitres indépendants de la vaste fresque que nous offre l'auteur depuis plusieurs années, une épopée de l'humanité qui colonise l'univers grâce aux Portes de Vangk, des passages que nous ont laissés de mystérieux extraterrestres...
Mais peu de voyages dans ce recueil qui nous présente des histoires particulièrement variées se déroulant sur de nouveaux mondes, des colonies planétaires et des colonies spatiales, des astéroïdes aménagés ou des stations orbitales.
Et ces récits exotiques sont généralement dramatiques, car l’homme y est souvent confronté à l’altérité et à l’hostilité de créatures qu’il est incapable de comprendre, à l’isolement et à la folie dans des mondes inhospitaliers.
1) « Le lot n°97 » : un jeune homme est tellement fasciné par une œuvre d’art extraterrestre qu’il fait transformer son apparence physique par un série d’opérations chirurgicales pour lui ressembler…
2) « Le Dernier salinkar » : le « héros » tue des chasseurs qui se divertissent en massacrant une espèce inoffensive en voie de disparition ; une dénonciation de la cruauté gratuite de l'humanité.
3) « Le Bris » : une planète est recouverte par un océan animé qui, s’il prenait conscience des humains, les anéantirait probablement sans pitié. Le "héros" aspire à communiquer avec cette intelligence "différente"...
4) « Je me souviens d’Opulence » : Genefort reprend un procédé d’écriture anaphorique employé par Perec pour décrire le déroulement de la vie d’un colon sur la planète Opulence.
5) « Le Jardin aux mélodies » : la cultivatrice de fleurs chantantes a mystérieusement disparu…
6) « Longue vie » : les quelques colons restés sur un astéroïde se livrent une guerre impitoyable.
7) « T’ien-Keou » : dans un monde où s’est constituée une société qui fait coexister technologie et traditions extrême-orientales, un jeune homme ambitieux et sans scrupule se prépare à une terrible épreuve pour devenir membre d’un clan ; ce récit ( l’un de mes préférés) a d’ailleurs été adapté en bande dessinée.
8) « La fin de l’hiver » : des habitants d’un immense artefact, dont le fonctionnement s’est dégradé au point que la température est devenue glaciale, essaient de s’en échapper.
9) : « Proche-horizon : une belle évocation d'une humanité "différente" qui s'est associée à une autre espèce (des pseudo-insectes), au lieu de l'assujettir ou de l'exterminer ; mais une ambassadrice tente de vendre un procédé qui permettrait aux humains de dominer l'espèce en question...
10 « L’Homme qui n’existait plus » (court roman) : le responsable d’une station spatiale qui vient d’être abandonnée est retenu par un mystérieux persécuteur qui joue avec lui comme un chat avec une souris.
Ces nouvelles sont d’autant plus agréables à lire que l’écriture de Laurent Genefort est particulièrement travaillée, ce qui facilite évidemment l’immersion du lecteur dans ces univers étranges.
Le volume se termine par une « postface savanturière », dans laquelle Laurent Genefort revient sur les conditions de parution de ses différents récits, et d’une bibliographie des nombreuses œuvres de l’auteur par Alain Sprauel.
Il a souvent été dit qu’il était plus difficile d’écrire des nouvelles que des romans : il s’agit en effet d’obtenir le maximum d’effets d’un minimum de pages et de terminer souvent le récit par une "chute", afin de laisser dans l'esprit du lecteur une impression durable : peu d’écrivains français de science-fiction maîtrisent ce type d'écriture et ils sont d’ailleurs de moins en moins à s’y essayer...
Il faut donc vivement remercier Laurent Genefort pour ce recueil de très grande qualité.
P.-S. : quant à la présentation du livre, elle est particulièrement réussie (couverture glacée et magnifiquement illustrée par Manchu)
Commenter  J’apprécie         654
Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas un roman que nous propose Laurent Genefort, mais plutôt un recueil de nouvelles, tout en restant sur ses thèmes de prédilection : découverte, exploration et acclimatation à de nouvelles planètes, donc planet opera et space opera sont au programme de cet ouvrage paru chez les éditions le Bélial’ !
Aventures diverses, identités multiples
Nous débutons l’aventure dans ces « Colonies », avec « Le lot n°97 » où un habitant de Fenua cherche l’inspiration artistique ultime et opte pour une transformation radicale de sa propre entité. Dans « Le Dernier salinkar », Lamal Thanis vit sur Patchwork et se prend de passion pour une créature animale qui semble tout à fait anodine, ce salinkar qui n’a ni instinct carnassier, ni instinct de conservation. « Le Bris » décrit un écosystème particulièrement exotique et contraignant pour les humains qui vivent à la surface de cet îlot. Une matière étrange, le sum, entoure la petite communauté qui persiste à survivre malgré ces conditions difficiles, mais en même temps elles n’ont plus de choix pour ce faire. « Je me souviens d’Opulence » des aventures planétaires ; les cinq suivants, eux, proposent des situations coloniales dans des contextes exclusivement spatiaux. La première, « Longue vie », met en scène Idun, une des anciens magnats d’un conglomérat industriel ayant colonisé un groupe d’astéroïdes ; avec les autres dirigeants qui ont bénéficié d’un rallongement de vie les rendant quasi immortels, elle participe à un jeu de survie qui s’éternise franchement, mais la fin approche. « T’ien-Keou » suit la préparation d’un jeune servant à sa future épreuve d’initiation afin d’entrer dans le cercle fermé de l’un des clans qui compose cette société issue des traditions asiatiques du Berceau. Pour « La Fin de l’hiver », des aventuriers tentent de s’échapper d’une technologie cloisonnant leur planète suite à l’isolement de celle-ci du reste du système des portes stellaires ; leurs découvertes les mèneront plus loin qu’ils ne pensaient. « Proche-Horizon » met en scène Olga, une espionne tentant de s’infiltrer dans une colonie qui occupe un astéroïde et qui a la particularité de vivre en harmonie avec une espèce animale parasitaire. Enfin, le court roman « L’Homme qui n’existait plus » qui clôt ce recueil approfondit l’idée de la survie en milieu hostile, dans un complexe spatial, avec un huis-clos immersif.
L’univers des Portes de Vangk
Tous ces mondes font partie intégrante de l’immense univers littéraire créé par Laurent Genefort, connecté par un réseau de portes spatiales, les Portes de Vangk. Mis à disposition des humains par une espèce inconnue et supposée, ces artefacts de transport permettent de relier des points particulièrement éloignés de la galaxie, tout en ayant une connaissance très parcellaire de cette technologie. Ainsi, c’est toute la galaxie (voire plus ?) qui est accessible aux habitants de la Terre (appelée le « Berceau » dans cet univers) et ils ne se privent pas de coloniser de nombreuses planètes. Cette toile de fond permet à l’auteur de multiplier les récits avec des références communes, dans des contextes à la fois chronologiques, géographiques et environnementaux très différents, notamment en proposant tantôt des livres-univers (Omale), des biographies d’une colonie (Lum’en) ou des récits plus classiques d’aventuriers dans d’innombrables situations possibles (voir la conséquente bibliographie de l’auteur présente en fin d’ouvrage, parfaitement mise à jour).
Questionnements sur la colonisation humaine
Laurent Genefort propose des situations très différentes et le lecteur a donc autant de possibilités de s’immerger dans des planet ou des space operas faciles à appréhender. Toutefois, l’auteur nous montre surtout, avec pessimisme ou avec réalisme selon votre angle de vue, que l’organisation sociale et politique terrienne a tendance à être seulement reformée telle que, dans un mouvement ultraconservateur renforcé par les nouvelles technologies. Pour l’instant, nous sommes clairement dans cette optique, c’est certain (il suffit de voir qui défend le transhumanisme actuellement). Le recueil porte ainsi bien son titre, car à chaque intervention humaine, c’est une nouvelle colonisation, au sens moderne du terme et pas seulement au sens antique, qui s’organise. Captation des ressources (organisée ou sans vraiment le vouloir/savoir), destruction d’espèces locales (par volonté ou par inadvertance) et construction de sociétés bien peu démocratiques sont les piliers des récits présents dans cet ouvrage. L’ensemble peut sembler assez pessimiste, mais on se laisse encore surprendre par plusieurs nouvelles à chute et enchanter par quelques trouvailles aux abords d’écosystèmes exotiques.
Un brin de déception donc, sûrement par manque d’habitude de lire des nouvelles de Laurent Genefort, là où ses romans permettent bien davantage d’exprimer la composition complexe d’univers entiers. Ainsi, le dernier récit est plus approfondi que les autres et marque peut-être davantage.
Commenter  J’apprécie         250
Je me souviens de mon premier pas sur Opulence, au pied de la rampe du vaisseau, quand j’ai cru avoir écrasé un caillou et que le caillou saignait sur la mousse ; des larmes coulaient sur les joues de ma mère ; j’ai pensé que c’était à cause du caillou…
(Dans la nouvelle « Je me souviens d’Opulence », Laurent Genefort reprend un procédé d ‘écriture anaphorique employé par Perec, pour évoquer quelques moments de la vie d’un colon sur la planète Opulence, de son enfance à sa mort prochaine)
Adrien passa le reste de la journée à contempler la collection du musée étranger. Toutes les pièces avaient été photographiées et cataloguées. Au-delà de l'altérité des lots exposés, il tenta d'appréhender l'espèce qui les avait réunies. Une exposition était avant tout le reflet de la perception du monde de celui qui l'avait organisée, ou de la perception qu'il se faisait des spectateurs éventuels. Adrien savait toutefois cette tâche irréaliste. Rien ne prouvait que ce qu'appréciaient les créateurs du vaisseau-musée ne se situait pas dans l'ultra-violet, ou dans la gamme des ondes radio.
("Le lot n°97")
De petites bêtes volantes s'abattaient en grappe sur le mur d'acier, pour finir elles aussi dissoutes dans la boue. J'ai avisé un ver qui se tortillait.
"Comment ça s'appelle ?"
L'institutrice a haussé les épaules.
"Je ne sais pas.
— Et cette espèce d'insecte en fer de lance, là-bas ?
— On l'ignore.
— Et cet arbuste, là-bas, avec le plumeau ?"
Elle s'est énervée.
"Comment veux-tu que je le sache, Lamal ?
— Ben, vous ne leur avez pas donné de nom ?
— Pourquoi se donner cette peine ? Quand tu seras grand, ils auront disparu."
("Le dernier salinkar")
« On dit que l’on trouve une plus grande variété végétale aux abords des astroports.
— Parce que les équipages en transit transportent à leur insu des graines et des spores d’autres mondes ?
— Parce que les gens croient justement ça ; ils regardent mieux la nature autour des pistes et découvrent des espèces qu’ils n’avaient même pas remarquées devant leur propre maison.
— C’est vrai ?
— Que l’on trouve davantage de types de plantes ? Une légende, hélas. Les légendes sont ce qui pousse le mieux au pied des astroports. »
dans « Le jardin aux mélodies »
Je me souviens des sermons du père Anselm sur l’abomination représentée par les IA et les déviants sexuels ; et du chuchotement d'on-ne-sait-qui, depuis un banc du fond : "S'il y a des IA de la jaquette, elles ne sont pas dans la merde."
("Je me souviens d'Opulence")
Lecture de Laurent Genefort : une création originale inspirée par les collections de la BIS.
Ce cycle est proposé depuis 2017 par la BIS en partenariat avec la Maison des écrivains et de la littérature (MéL). Quelques mois avant la restitution, l'écrivain est invité à choisir un élément dans les fonds de la BIS. Lors de la rencontre publique, « le livre en question » est dévoilé.
Chaque saison donne lieu à la publication d'un livre aux éditions de la Sorbonne "Des écrivains à la bibliothèque de la Sorbonne".
Pour cette sixième saison, les auteurs de science-fiction français sont à l'honneur, dans le cadre de l'année de la SF à la BIS : http://www.bis-sorbonne.fr/biu/spip.php?rubrique537
+ Lire la suite