Certains livres ne ressemblent à aucun autre. Certains livres constituent une sorte d'aberration, en ces temps d'asepsie littéraire où nombre d'entre eux se ressemblent.
Elvis à la radio, de
Sabine Huynh, fait incontestablement partie de ces livres monstres.
J'ai d'emblée été fasciné par son titre mystérieux, musical et faussement léger, et cette photographie de petite fille boudeuse en couverture. Et mon attirance spontanée vers ce livre dont je ne savais rien, cette sympathie naturelle qui m'a conduit vers lui, comment ne pas la bénir aujourd'hui ?
Cela fait longtemps que je n'avais pas lu un texte aussi fort, aussi bouleversant. Aussi âpre. Aussi courageux. Aussi violent.
Son autrice m'a emporté avec elle dans le temps, dispersé dans tous les espaces qu'elle a pu arpenter - j'y inclus celui du langage, et il n'est pas neutre qu'elle parle plusieurs langues et qu'elle soit traductrice (c'est d'ailleurs par ce biais que j'ai entendu parler de son travail pour la première fois).
D'ailleurs, dans son Elvis, c'est un peu comme si elle traduisait sa propre langue, une langue qui n'appartient qu'à elle, une langue toute en mouvements, insaisissable - tantôt sèche et aride, tantôt humide, presque liquide, enveloppante comme une matrice qui serait à la fois celle du langage et du désarroi.
(Ce qui est assez extraordinaire, c'est que l'on ne ressent pas vraiment de colère dans la description des horreurs que la narratrice a traversées, et que cette dernière parvient toujours à rester d'une grande pudeur tout en convoquant dans ses mots ce qu'il y a de plus intime - tout cela m'a profondément remué, c'est que la littérature d'aujourd'hui nous a tellement déshabitué d'une telle intensité).
Ce texte m'a sonné, me laissant comme tremblant intérieurement, avec cette étrange impression de bien connaître celle qui l'a écrit, jusque dans son mystère.
Il est difficile de trouver des mots justes après avoir traversé les siens, après avoir été déchiré par eux, et réparé aussi, un petit peu, et ce n'est pas là le moindre des paradoxes.
Merci pour ce livre,
Sabine Huynh. Et pour la vie. Et pour la poésie. Et pour les voyages dans le temps et dans l'espace, dans ce qui a existé et n'aurait pas dû exister et n'a pas existé et finalement existe quand même puisque vous ne cessez de l'inventer. Merci pour l'invitation dans le coeur douloureux de vos émotions et de votre pensée, pour cette plongée dans vos souvenirs qui sont un peu devenus les miens et feront partie de moi désormais.
Simplement merci.
Léo Cairn.