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EAN : 9782268043371
232 pages
Les Editions du Rocher (17/11/2002)
4.1/5   5 notes
Résumé :
Ivan Klima a connu les horreurs de l'occupation nazie pendant la guerre (c'est au camp de concentration de Terezin qu'il a commencé d'écrire) ; les régimes staliniens des années cinquante; les fastes du Printemps de Prague (Klima était alors le rédacteur en chef de la revue littéraire la plus importante de Tchécoslovaquie) ; la désespérante invasion soviétique de 1968 ; l'audacieux courage des membres de la Charte 77 ; le triomphe de la révolution de Velours de 1989... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Prague préfère résister par la plaisanterie plutôt que par l'épée.

Ces mots me paraissent bien refléter l'« Esprit de Prague » qu'Ivan Klíma cherche à définir dans cet ouvrage. Il y expose ses idées, ses réflexions et ses opinions personnelles sur différents sujets, tout aussi intéressants les uns que les autres, qui passent par l'Histoire, la religion, la politique et la littérature.

Pour lui, en tant qu'homme de lettres, Prague est « La ville » dont il est bon de rêver longtemps, avant de la découvrir. C'est l'Atlantide où l'Europe a jeté les amarres ! Gustav Meyrink, dans son Golem, en fait la patrie des fantômes. Franz Werfel, dans ses poèmes, chante ses jardins et ses dômes. Bohumil Hrabal la plébiscite pour la qualité de sa bière et son sens de l'extravagance. Rilke y plante les décors de ses Histoires pragoises. Kafka s'y égare, cherchant inlassablement la pierre philosophale dans cette rue des Alchimistes où il naquit. Vladimír Holan et Jaroslav Seifert taguent leurs poèmes sur ses murs. Vítězslav Nezval se laisse caresser par ses « doigts de pluie ». Jan Neruda décrit avec humour et réalisme les habitants de Malá Strana, quartier où il a vécu toute sa vie…

Ivan Klíma nous fait un gros plan sur sa ville natale « aux cent clochers », qu'il définit comme fruit de la fusion miraculeuse entre les trois cultures, tchèque, allemande et juive, qui s'y sont côtoyées au fil des époques. Mais si le tableau de Prague qu'il nous peint est teinté de nostalgie, il l'est aussi d'amertume. Rares sont les guerres européennes qui n'aient pas affectées la capitale de l'Etat tchèque. Prague s'est forgée dans l'adversité et elle reste pour lui une cité blessée, divisée, tiraillée entre liberté et servitude. Pour qu'une ville comme Prague prenne en charge son destin, patience et persévérance sont indispensables. En tchèque, le mot patience (trpělivost) a la même étymologie que le verbe souffrir (trpět) !

L'esprit de Prague, c'est en grande partie dans des paradoxes qu'il le voit se dévoiler.
Paradoxe religieux : voilà une ville aux cent églises où l'on ne trouvera qu'un nombre restreint de pratiquants ! Paradoxe historique et politique : avec le château de Prague, une des plus vastes forteresses d'Europe centrale, aujourd'hui résidence des présidents, dont le destin répond bien à celui de la ville, car beaucoup s'y sont retrouvés en prison. Etrange et paradoxal ce lieu entre prison et château royal ! Paradoxe littéraire : à quelques semaines de distance, Prague a donné naissance à deux génies si différents l'un de l'autre : Franz Kafka, enfermé dans son ascétisme, et Jaroslav Hasek, désopilant auteur dont l'humour légendaire a servi de bannière à la résistance tchèque. « Les citoyens de Prague ont asséné le coup de grâce à leurs dirigeants méprisés non par l'épée, mais par la plaisanterie. »

Au fil des pages de cet ouvrage, on va d'enchantements en désenchantements. La vie d'Ivan Klíma, d'ailleurs, est à cette image : né en 1931, il a connu le nazisme et ses horreurs, les camps, les régimes autoritaires, la censure pendant vingt ans, (il a dû exercer des métiers tels que balayeur ou ambulancier pour gagner sa vie), les samizdats mais aussi le Printemps de Prague, l'agitation libertaire puis le triomphe de la Révolution de velours en 1989.

Tous les textes de son livre sont variés, très intéressants et riches d'informations, plein de belles réflexions. Il les a regroupés en cinq parties. La première contient des textes de nature plus personnelle, qui révèlent quelque chose de sa vie, ce qui l'a incité à écrire, son rapport à sa ville natale… A la fin de cette première partie, il y a de longs dialogues entre Ivan Klíma et Philip Roth qui lui pose d'intéressantes questions au sujet de la culture littéraire et de la censure. La deuxième partie comprend un certain nombre de chroniques, ou feuilletons, un genre très prisé des lecteurs. Des feuilletons régulièrement signés de Václav Havel, Pavel Kohout, Ludvík Vaculík et bien d'autres qui ont beaucoup circulé parmi les lecteurs tchèques. La troisième partie comprend des essais de nature plus ou moins politique (La culture contre le totalitarisme, le commencement et la fin du totalitarisme). Dans une quatrième partie, il aborde les grands problèmes que rencontre la littérature moderne. Et son ouvrage se termine par une cinquième partie dans laquelle il nous présente une longue étude sur les sources d'inspirations de Kafka.

« Esprit de Prague » nous raconte cinq décennies vécues par Ivan Klíma, qui mêle souvenirs autobiographiques et réflexions sur les régimes totalitaires. Il nous parle de façon remarquable de Joseph K. et de Kafka, de sa jeunesse dans une famille juive agnostique, de sa déportation en 1941 dans le camp de Terezín (où il commence à écrire), des relations entre littérature et pouvoir, des méfaits du soviétisme sur la culture, des nouvelles idoles d'une modernité avide de bluff, du démantèlement de la Tchécoslovaquie et du tragique déclin de sa langue.
J'ai beaucoup apprécié la sobriété et la clarté de l'écriture d'Ivan Klíma.
C'est un écrivain qui a de belles valeurs humanistes et qui sait peser ses mots.
Je recommande particulièrement cet intéressant ouvrage très instructif auquel j'accorde sans hésitation 5/5.

« Ayant pris une certaine distance, je suis quant à moi parvenu à la conclusion que tout fanatisme, quel qu'il soit, est un préalable psychologique, un précurseur de la violence et de la terreur, qu'il n'y a pas au monde d'idée qui vaille qu'on la mette en oeuvre par le fanatisme. A notre époque, le seul espoir de salut qui reste au monde est la tolérance. »
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Ce livre est un recueil de l'écrivain tchèque Klima. On y trouve des textes qui décrivent son enfance et les raisons qui l'ont amené à vouloir devenir écrivain. Il évoque dans d'autres la vie à Prague et l'imaginaire qui habitent les pragois sur leur ville et, dans un entretien avec Philip Roth, de grandes figures modernes tchèques (Kundera, Kafka, Havel) et la manière dont la littérature a pu continuer à exister sous la dictature communiste, jusqu'à la renverser. Quelques essais résument ses réflexions sur les changements introduits par l'adoption du modèle de la société de consommation, en Tchécoslovaquie, mais aussi dans le monde. Il donne son opinion sur les enjeux de la littérature, et les errances dont il accuse les écrivains qui, depuis le XIXème siècle, ont mit le socialisme au centre de leur oeuvre. D'un point de vue strictement politique, il revient sur les conditions d'émergence et de délitement des régimes totalitaires, en particulier en Tchécoslovaquie, et donne son analyse de la scission, en 1992, de son pays. Enfin, il met en miroir l'oeuvre de Kafka (La colonie pénitentiaire, le Procès, le Château) avec deux moments de la vie de son compatriote, qui figurent son impossibilité de se marier et de rompre sa solitude.

Les textes sont très accessibles et, par leur variété, sans s'exonérer de profondeur, permettent de parcourir un panorama d'idées très vaste en très peu de pages. L'expression de Klima est très sobre, y compris dans le rapport de ses éléments biographiques, et donnent une unité de ton à l'ensemble sans forcer ni l'attention ni les réactions du lecteur. Il ressort de cette réserve une présomption de légitimité de ses propos. Les réflexions sur l'oeuvre de Kafka sont denses et instructives. Tous ces éléments sont autant de précieuses notions pour la compréhension de la culture et de l'histoire tchèques.
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Nous sommes devenus extravagants, nous vénérons la nouveauté, presque religieusement. Nous nous fatiguons des choses bien avant qu’elles s’usent, et, d’ailleurs, elles s’usent plus vite que par le passé. Et même si nous ne nous sommes pas fatigués de ce que nous avons, nous savons que ce sera démodé quelques mois après notre achat. Moi, je vis dans un pays où, loin de sombrer dans l’excès, les gens ont souffert du manque - surtout de liberté. Je vois à présent combien d’entre eux se tournent avec espoir vers un avenir prometteur d’abondance. Il y aura dons plus de biens, et plus d’ordures. Y aura-t-il plus de bonheur ?
(p.108) – « Brève méditation sur l’ordure »
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Acte de création, acte de liberté, la littérature s’oppose à toute forme de violence, de totalitarisme.
Ce qui fait naître la littérature, ce n’est ni l’oppression, ni la liberté, ni une situation sociale, pour fascinante qu’elle soit. La grandeur de la littérature est fonction du talent de ceux qui la créent. Tolstoï et Tchekhov ont vécu privés de liberté, Faulkner et Greene étaient libres, Márquez à mi-chemin entre les deux…
Une œuvre littéraire, c’est quelque chose qui défie la mort.
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Une ville, c’est comme une personne : faute d’établir avec elle une relation véritable, elle reste un nom sur la carte, une simple forme qui, très vite, s’évanouira de notre esprit. Or, pour créer cette relation, il importe de pouvoir observer une ville, découvrir sa personnalité propre, son moi profond, son esprit, son identité, les circonstances de son cheminement dans l’espace et dans le temps.
(p.45) – « L’esprit de Prague »
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Une ou deux générations, tout au plus, d'un infime pourcentage de l'humanité, ont fini par atteindre un niveau de vie extravagant, mais au prix d'une inimaginable dévastation de la planète, et d'un gaspillage inouï de l'énergie accumulée pendant des millions d'années. On peine à imaginer le prix payé pour cette illusion. Je ne pense pas uniquement aux crimes perpétrés contre la nature, dont nos petits-enfants auront encore à subir les conséquences (si tant est qu'ils survivent...) : il y a pire, bien pire.
Dans ses efforts pour mobiliser le plus de moyens susceptibles de "forcer la nature, "supprimer ses ennemis", "promouvoir "plus de croissance", ou de "défendre l'acquis", notre société moderne a donné naissance à de gigantesques infrastructures administratives, militaires, policières. (...) peu à peu ces structures se sont comportées comme toute personne investie d'un pouvoir délégué, elle l'ont usurpé à leur seul profit, au détriment de tous ceux dont elles le tenaient. (..) Ces instances ne sont plus gouvernées : elles gouvernent, par elles-mêmes. À la différence d'anciens usurpateurs, ces structures de pouvoir n'ont pas de visage, ni d'identité. Elles sont insensibles aux coups comme aux mots. (...)
Mais nous ne nous rendons pas compte qu'ils ont cessé d'agir en notre nom. Impossible de s'en débarrasser. Ils ne reconnaissent aucune divinité au-dessus d'eux, ni le peuple au-dessous d'eux. Ils ne reconnaissent plus qu'eux-mêmes, leur appareil, leurs organisations, et leurs propres lois de fonctionnement, leur prolifération destructrice. Ils ont la haute main sur une technologie qui peut métamorphoser le monde, qui leur fournit les moyens de le dominer, les armes pour le détruire.
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Toutes ces amitiés ont connu une fin tragique ; mes amis, garçons ou filles, sont tous partis pour les chambres à gaz, tous sauf un, celui que j'aimais plus que tout, Arieh, le fils du président du comité d'autogestion du camp : il a été fusillé à l'âge de douze ans.
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Video de Ivan Klíma (1) Voir plusAjouter une vidéo

Ivan Klima à propos de "Amours et ordures"
Interview de l'écrivain tchèqueIvan KLIMA à propos de son roman "Amours et ordures".
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