En exergue :
Et moi qui vous parle, peut-être plus sot que les autres, quoique j'aie plus de franchise à l'avouer et que mon livre n'étant qu'un ramas de sottise, j'espère que chaque sot y trouvera un petit caractère de ce qu'il est, s'il n'est pas trop aveuglé de son amour-propre.
Scarron, le roman comique
Gabriel est un jeune acteur sans expérience, touchant et maladroit, qui vient de se faire éconduire par Marion. Il est engagé par Juan Karlowitz, un metteur en scène grec inconnu qui fut l'assistant d'Angelopoulos sur Le voyage des comédiens. Il part tourner ce road-movie, comme une Odyssée personnelle, dans l'espoir de mettre le pied dans une vie professionnelle prometteuse, avec dans la tête l'obsession de Marion et dans la main les oeuvres complètes de
Rabelais en Pléiade.
« Il a suffi de retenir mon souffle, ne pas trop m'en vouloir d'être timide, incertain, et puis, donnant un coup de main, pour porter une valise, une caisse, je suis remercié d'un sourire ; cela confirme ma place, utile, bénéfique, indispensable ; je m'enhardis, j'agis, je crée, j'accomplis une oeuvre ; un jour, n'est-ce pas moi qui serai le maître ? »
Si vous avez aimé La nuit américaine de
François Truffaut vous adorerez ce livre (qui lui adresse un aimable clin d'oeil), description pleine de tendresse et d'humour du tournage d'un film, les problèmes techniques insolubles, les aléas, les égos d'artistes, les liens qui se tissent, le trac et l'évidence.
Mais c'est plus encore l'autoportrait de
Denis Podalydès en jeune homme simple, d'une humilité ordinaire et touchante, subtil dans son approche de l'autre,
« Tout le monde sourit mais c'est de tendresse, tous l'aiment, et lui ne voit pas ce regard sur lui gentiment ironique, affectueux. Ou plutôt si, bien sûr, il s'en rend très bien compte, mais il est d'une pudeur si sèche qu'il ne voudrait pour rien au monde s'en apercevoir ouvertement, sourire à son tour et partager ce moment d'amitié »
amoureux éconduit dévasté,
« Il est beau de se sentir amoureux envers et contre toute logique, d'éprouver cette force unique de l'amour, de ne pas s'expliquer, de ce foutre de tout le monde, des conseils des autres et de leur regard. »
frère inconditionnel,
« J'imagine mon frère aîné à ma place, et une grande partie de mon plaisir, de ma quiétude, tient à ce que je formule le récit que je pourrais lui faire, avide du plaisir qu'il y prendrait peut-être, et comme nous vérifierions une fois de plus tout ce qui nous rapproche, nous incline à faire oeuvre commune »
amoureux des mots et de la langue, un jeune homme bien élevé traversé par des désirs fous, un homme à la fois timide et décidé, qui, quoique ambitieux, attend de la vie un bonheur simple.
« Yorgos en Espagne dit une fois : je veux rentrer chez moi me retrouver avec ma femme et mes enfants. Cette phrase ne souffrait ni enjolivure ni réplique. Je rêve de dire un jour pareils mots, et qu'ils disent ce qu'ils signifient, ni plus ni moins que tout le bonheur possible en ce monde. »
C'est un livre très chaleureux en ce sens qu'on s'y sent en empathie complète avec cette histoire simple et cet homme pudique et sincère, sage et fou à la fois. Un livre plein de douceur et d ‘un humour discret, attentif aux hommes, leurs peines et leurs petits bonheurs.