Merci aux éditions de l'Oie de Cravan de m'avoir offert ce recueil de
Maxime Catellier. Une fois encore, ce recueil nous vient dans une présentation très soignée, sobre et aérée qui donne aux mots, aux courts vers assez d'espace pour résonner.
---
Lettre pour Ti
Maxime Catellier
Moi aussi j'y étais dans cette bibliothèque improbable dont
Borges aurait certainement tiré un récit étrange, dans cette bibliothèque à cheval sur deux pays larges comme des continents, cette bibliothèque de Haskell où vous,
Maxime Catellier, reçûtes ces ouvrages de Kerouac qui allumèrent l'étincelle de l'écriture de votre recueil. Recueil ou lettre à Ti Jean alias Jack qui rime si bien avec Kerouac, lui qui vous lira de l'autre côté de la frontière, 100 ans après sa naissance.
Une lettre de 111 strophes, cent onze poèmes fiables, ai-je envie de dire, car émanant d'un écrivain qui cherche sa langue, ne la considère pas comme acquise, encore moins due, par contre lui fait assez confiance, lui lâche la bride afin qu'elle s'exprime à voix haute, dans ses mots du matin avant le café noir, dans les mots de son enfance ou encore, la langue pâteuse le soir après la bière, la langue que l'on parle icite au Québec, que l'on parle sans l'écrire.
Mais vous l'avez fait, vous les avez écrits, ces vers.
Car sorti de la bibliothèque, paf ça vous tombe comme ça, votre histoire, vos poèmes, votre enfance, votre premier amour, ça vous sort tout seul dans votre joual des jours heureux. Ce sont eux qui parlent, ce sont leurs mots. Déjà tout un poème.
"Je veux sentir
que la langue
m'appartient pas"
Ti Jean et vous, vous vous comprenez, vous vous parlez à 50 ans d'écart, 50 ans après sa mort mais le temps c'est de la grammaire, vous deux vous utilisez des mots palpables, enduits de vécu, immuables.
Ça parle de quoi, vos poèmes ?
De la vie, du passé, des souvenirs, des mots qui les portent, vous les ravivent quand vous les croyiez engloutis. Cela parle de la langue natale, de celle qu'on utilise adulte - nécessairement différente -, du grand écart qui se creuse entre les deux et que l'on comble de vécu, de souvenirs.
Mais vous,
Maxime Catellier, vous les avez réconciliés, les mots de l'enfance, les petites phrases que l'on envoie à très haute voix depuis le fin fond des rangs, les bonnes vieilles expressions du temps jadis, vous les avez réconciliés avec votre poésie... C'est bien ça que vous vouliez lui dire ?
Mais pourquoi ces poèmes envoyés au-delà de la mort à Ti Jean Kérouak ? Pourquoi se regarder dans un miroir au-delà de la frontière ? Pour questionner le reflet de l'exilé, du routier des mots et de la liberté ? Pour savoir si on lui ressemble de quelque façon ? Savoir si avec les mots on peut retrouver ceux qu'on a perdus ? Si un père en poésie en remplace un autre ? Savoir ce que c'est qu'exister ? Si les souvenirs en tiennent lieu de preuve ? Ou préfèrent s'envoler comme des fantômes ? Si les mots sont capables de dire ça, exister ?
"Il fallait recoudre
le lendemain
tous les corps
autour des âmes
qu'ils avaient
perdues la veille"
111 strophes donc à creuser l'existence, les souvenirs et la manière de les exprimer, 111 fois envoyer à Ti Jean, la même affirmation: peu importe la langue qu'on utilise, populaire ou distinguée, français ou anglais, joual ou yankee, "juste pour dire / que l'intérieur / valait mieux / que l'enrobage"
Pour dire que New-York n'était pas si loin de St-Anicet.
Et tant qu'à parler de distances, Maxime, en guise de réponse vous recevez une joyeuse lettre venue de par-delà l'océan, depuis les vieux pays, écrite par notre académicien haïtien, quebécois, français.
Dany dit :
"Quand je pense au Québec
dans ma petite chambre à Paris
je deviens poète sur la route."
---
PS : tant qu'à parler de poésie: J'aurais remercié mille fois plus l'éditeur s'il avait accepté mon manuscrit en janvier passé, moi qui trouvais si classe son contenu éditorial et le soin apporté à l'objet livre mais qu'importe du moment que les poètes puissent continuer à parler.