La Malle sanglante est un court roman, ou une longue nouvelle, qui fut d'abord une pièce de théâtre avant d'être adaptée pour le genre romanesque. Inspiré d'une affaire criminelle réelle, dite l'affaire de la malle sanglante de Millery, le récit témoigne du goût du public de la Belle Époque pour les faits-divers sanglants et les criminels (le surréalisme est un exemple parmi tant d'autres de ce regain d'intérêt, les surréalistes ayant exalté le geste criminel notamment à travers les figures des soeurs Papin ou de Violette Nozières.)
Ce qui m'a particulièrement attirée dans cette oeuvre, c'est son appartenance à un genre que je ne connais que très peu, le Grand Guignol, qui se caractérise par une action courte mais rythmée, son réalisme mais surtout, par son thème principal : l'épouvante. le Grand Guignol, c'est la représentation de crimes et de meurtres, parfois cocasses, qui font frissonner le spectateur. Ce qu'on y recherche, c'est l'angoisse qui vous monte peu à peu à la gorge et qui explose en un cri d'horreur. de prime abord, j'étais curieuse de voir si on pouvait rapprocher ce genre de celui du théâtre sanglant de la fin XVIe et début XVIIe siècle. Et quand j'ai appris que Maurice Level et son oeuvre ont inspiré H.P Lovecraft lui-même, je n'ai plus hésité.
Fred et Guiret sont deux étudiants en médecine désargentés. Au cours d'une soirée dans leur appartement, une partie de poker désastreuse les met dans une situation désespérée. Guiret avait réuni toutes leurs dernières économies, avait prévu de tricher mais c'est subitement dégonflé. Ils y ont tout perdu. Pendant la partie, Fred s'est isolé avec une demi-mondaine un peu sotte, la belle Chouchou, la maîtresse de Marousse, qui joue aux cartes dans la pièce d'à côté. Chouchou roucoule gentiment face au beau Fred, qui a d'autres soucis mais se sent quand même un brin flatté. Vient l'heure du départ et de la séparation. Marousse, rustre, lance l'argent à Chouchou. Fausse prude, elle fait semblant de le refuser avant de le mettre dans sa bourse. Ils se disputent, mais finissent par partir, laissant Fred et Guiret à leur désespoir. Sans issue, ils songent à s'en sortir par le suicide.
Mais alors qu'ils se préparent au geste fatal, non sans une certaine vision romantique de l'acte, Fred trouve entre les coussins du canapé la bourse de Chouchou. Des milliers de francs, des bijoux pleuvent providentiellement. La tentation est forte : voler et s'enfuir. Cependant, ils ont à peine le temps de prendre leur résolution que Chouchou débarque. Ils cachent la bourse. Celle-ci raconte fièrement comment elle a faussé compagnie à Marousse pour rejoindre son Fred et finir ce qu'ils avaient commencé. Et quand ils s'inquiètent faussement de ce que Marousse pourrait penser, Chouchou se dirige vers le canapé. Elle a pensé à tout : elle a fait exprès d'oublier sa bourse sous les coussins pour avoir une bonne excuse de revenir chez Fred et Guiret. Elle plonge sa main sous les coussins. Horreur ! il n'y a plus rien. Elle s'agite, s'agace, s'énerve. Devant les dénégations de deux amis, elle crie. Ils sont prêts à en venir aux mains. Enfin, Fred, piteux, lui rend la bourse. Elle se calme. Guiret lui fait part de leur souci pécuniaire. Elle hausse les épaules. Elle non plus ne possède rien. Il lui révèle qu'ils ont ouvert la bourse. Elle voit rouge. Elle veut partir. Ils s'empoignent. Et le couteau qui avait servi à découper des tranches de rôti plus tôt dans la soirée se retrouve dans la poitrine de Chouchou, qui s'effondre.
Hébétés, Fred et Guiret décident qu'il faut fuir. Ils cachent le corps dans une grosse malle. Ils iront à l'étranger, enverront la malle loin d'eux. le temps qu'on la retrouve, ils seront loin. Mais la nuit est encore longue et épuisante. Fred divague, rongé par la culpabilité. Guiret le surveille du coin de l'oeil, se demandant si son ami est fiable. Mais rien ne va jamais comme l'on veut. L'angoisse monte quand le concierge réclame, avant de descendre la malle, de régler les loyers impayés. Guiret veut lui donner directement l'argent. Impossible, il n'en a pas le pouvoir. Il faut attendre les quittances du propriétaire. Problème, celui-ci est parti et ne reviendra que dans plusieurs jours. Fred et Guiret ne peuvent pas attendre autant. Ils trouvent une solution : télégraphier au propriétaire qui enverra les quittances au concierge. Celui-ci s'en va. le contretemps est fâcheux : le regard se pose sur la malle, inquiet : il ne faudrait pas que l'odeur de la morte révèle sa présence. Puis vient un autre fâcheux, Marousse, qui recherche Chouchou partout. Où est passé sa maîtresse ? Il a bien vu que hier soir, Fred et elle papillonnaient ensemble. Il fouille tout l'appartement, repart piteux, mais laisse les deux amis tremblants. L'urgence est plus grande que jamais. Guiret coule des regards anxieux sur Fred dont les remords pourraient le pousser à des révélations intempestives. Il le surveille étroitement, l'empêche de sortir de l'appartement. La peur s'installe entre les deux compagnons. Survient alors l'huissier : Guiret a-t-il de quoi payer ses créanciers ? le choix est cornélien : s'il paye, ils n'ont plus rien pour fuir, s'il ne paye pas, l'huissier va devoir inventorier tout le contenu de l'appartement.
La tension et l'angoisse de ce récit montent crescendo. La peur, insidieuse, s'insinue lentement et se distille comme un poison dans les veines. La nuit éprouvante passée au côté d'un cadavre, la crainte de la découverte du corps, les remords de Fred, les arrivées imprévues et intempestives font un cocktail détonnant et dangereux. On retient son souffle, on tremble. Jusqu'à l'explosion finale et son dénouement tragique, logique implacable qui broie toute possibilité de fuite.
La Malle sanglante a été une lecture plaisante, teintée de ce petit charme désuet qui en fait aussi son intérêt pour un lecteur moderne. le suspens y est géré d'une main de maître, l'angoisse s'installe petit à petit dans cet appartement à l'atmosphère étouffante et poisseuse. On s'y sent pris au piège en compagnie de nos deux compères. La situation initiale est exploitée jusqu'à ses limites jusqu'à ce qu'elle explose dans toute son horreur. L'épouvante provoquée chez le lecteur est presque viscérale ; un lecteur qui assouvit avec plaisir sa fascination pour le crime et frissonne devant son implication sexuelle.
Je remercie les éditions Libretto et Babelio, dans le cadre de l'opération Masse Critique, pour l'envoi de ce roman.
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