Jean-François et
Lucie Muracciole,
le dernier Compagnon,
Odile Jacob, 2018.
Il s'agit du périple aventureux de quatre étudiants partis pour l'Angleterre en juin 1940 et qui vont participer à l'autre Résistance, celle de l'extérieur, de la France Libre. L'un d'eux, le « dernier compagnon » survivant - celui pour qui
De Gaulle a prévu le caveau n° 9 au Mémorial du Mont-Valérien - est Pierre Verdeil, futur préfet de Police à Paris en mai 1968. On pense à
Maurice Grimaud, mais le lecteur qui, ici comme en bien d'autres passages du livre, croit détenir les clés des personnages et des situations historiques en est pour ses frais. C'est un véritable roman, parfaitement imaginé, justement parce que
Jean François Muracciole est un des meilleurs historiens de cette époque et a su se dégager des faits pour mieux prendre le lecteur au piège des apparences. Une postface bien venue rappelle que « ce récit n'est pas celui objectif et distancié de l'historien, mais celui éminemment subjectif d'un homme mûr, puis d'un vieil homme un peu désabusé ». Si rien n'interdit à l'historien de prendre la plume du romancier (par exemple
Ilan Greilsammer, auteur à la fois d'un solide "Léon
Blum" et d'"
Une amitié espagnole", fiction consacrée à la vie sentimentale du même personnage), ce double exercice difficile est ici parfaitement réussi.
On ne se lasse pas de suivre les jeunes Français libres dans leurs pérégrinations en Afrique, au Proche-Orient, en Italie, en France, leurs rencontres et leurs apprentissages ; leurs antécédents aussi. C'est le siècle entier qui est mis en perspective, des péripéties de la IIIe République ou des turpitudes de la collaboration et de l'épuration aux noirceurs de la guerre d'Algérie, avec des ramifications significatives depuis la grande guerre jusqu'à Mitterrand président et La Courneuve en 2010. le foisonnement de l'histoire et des histoires est habilement maîtrisé et rythmé pour que le lecteur s'y retrouve sans ralentir sa lecture.
Inspiré par tous les témoignages possibles, du médecin opérant à Bir-Hakeim aux souvenirs du préfet auteur de "
En mai, fais ce qu'il te plaît", le roman est écrit avec la langue vive de personnages attachants, amoureux, engagés dans la fougue de leur jeunesse puis avec le recul de l'âge. La formule à quatre mains a permis sans doute cette qualité d'écriture des dialogues, toujours rythmés et donnant à chaque personnage sa vérité, aussi bien les personnages inventés - les camarades « free french », l'officier de commando SAS Shlomo Bronstein, le couple Weizmann ou le banquier Adrien Neuffite et sa soeur la pianiste Hélène Depante - que ceux que l'on retrouve dans leur authenticité,
Churchill,
De Gaulle ou le commandant Amilakvari, prince géorgien dans la Légion étrangère, avec son éternel refrain : «La guerre n'est pas gagnée ! ». Héros ou crapules, les clés ne manquent pas pour retrouver les modèles ou les situations, mais ce ne sont jamais des copies conformes. Les morceaux de bravoure attendus, comme la découverte de Londres, la prise de Damas, le combat de Bir Hakeim, la rencontre d'Anfa ou la libération de Paris, sont enlevés à la charge et se lisent comme un récit personnel chatoyant et émouvant. A la fois roman d'apprentissage et roman d'une vie, on pense inévitablement à des prédécesseurs honorables, de Remarque à Lartéguy,
Hemingway,
Semprun,
Robert Merle etc. Pas mal, pour un premier roman !