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Morgane Saysana (Traducteur)
EAN : 9782290253977
612 pages
J'ai lu (25/08/2021)
4.05/5   109 notes
Résumé :
Une frontière, un passage ou un carrefour : tout n’est qu’une question de point de vue. Kapka Kassabova les explore tous.

Quand Kapka Kassabova retourne en Bulgarie, son pays natal, pour la première fois depuis vingt-cinq ans, c’est à la frontière avec la Turquie et la Grèce qu’elle se rend. Une zone inaccessible lorsqu’elle était enfant et que la guerre froide battait son plein, un carrefour qui grouillait de militaires et d’espions.

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Toujours dans les Balkans j'entreprends un voyage avec Kapka Kassabova, aux frontières de son pays d'origine la Bulgarie, "Là où la Bulgarie, la Grèce et la Turquie convergent et divergent… ". Ces frontières, principales lignes de démarcation pour échapper au joug du communisme au temps de la Guerre Froide, devenues aujourd'hui les principaux lieux de passage des migrants vers l'Union européenne.

Elle débute son voyage en 1984, dans la Bulgarie communiste, qu'elle appelle "une prison en plein air", sur une plage à Strandja , une région frontalière avec la Turquie. En 1992 la famille immigre en Nouvelle Zélande suite à la chute du communisme, elle y retournera 30 ans plus tard en 2014 alors que l'ère post-communiste, coincée entre le désastre laissé par les communistes et le pillage présent des nouveaux capitalistes , des ex-communistes recyclés, n'arrive pas à trouver un nouveau souffle.

En choisissant de commencer son périple par cette chaîne de montagne frontalière,
"forêt ancestrale qui foisonne d'ombres et vit hors du temps ", Kapka part à la recherche de l'inconnu, dans ces régions particulières où la frontière est une zone chargée d'histoires et de mystère, vibrant d'une énergie à haute tension, d'histoires souvent criminelles, d'outre-tombe, et même surnaturelles . Son chemin va notamment croiser les croyances païennes qui y subsistent, dont les adorateurs du Feu qui marchent sur les braises ardentes durant les cérémonies, l'histoire de la voyante du coin dont s'enticha même les VIPs communistes de l'époque, les boules et disques de feu si commun dans la région que les gens les acceptent comme une loi de la nature.....Elle continue son voyage de l'autre côté de la frontière turco-bulgare à Edirne, en Turquie où elle va se retrouver dans un autre monde, pourtant pas si différent que celui du "komshu"( voisin en turc ).....

Divers rencontres extrêmement intéressantes, Grecs, Bulgares, Turcs, Pomaks, espions, contrebandiers, botanistes , gardes frontières à la retraite, réfugiés syriens et irakiens kurdes....illuminent ce voyage aux confins de l'Europe, "qui toujours échappent à la vue du grand public ", peuplés de personnes qui " ont peut-être quelque chose à nous apprendre sur les limbes ". Les limbes, un état de l'au-delà situé aux marges de l'enfer, auquel Kassabova se réfère à un moment donné de son voyage. Alors qu'elle va quitter Svilengrad, ville frontalière bulgare, du balcon de sa chambre la nuit humant l'odeur du lilas, pensant aux âmes brisées des camps de réfugiés présents et tout à côté les joueurs des casinos qui s'acharnent sur les machines à sous, se demande avec étonnement, "Comment en sommes nous arrivés là?".

Un livre extrêmement intéressant où L Histoire rencontre le Présent à travers mythes et légendes , souvenirs et quête intime. Une approche pour mieux appréhender notre Monde d'aujourd'hui vide de tout idéologie et de tout rêves d'un Monde meilleur. Pourtant son message de la fin est claire, impossible de renoncer à l'Espoir , vu qu'il faut continuer à vivre et réinventer nos vies à la lueur des nouvelles conditions de Guerres, de Pandémie, d'Immigration massive et de nouvelles identités. Écrit originalement en anglais d'une langue de toute beauté, non dénuée d'humour, et chargée d'émotions, que ce soit à travers les descriptions de paysages , la générosité d'un réfugié kurde, l'amour du rom musulman Tako pour un monastère qu'il garde et chérit gratuitement ou l'histoire de Selvet la gardienne de phare. Un livre fascinant qui fait réfléchir sur les nombreux préjugés établis sur les sujets qu'il aborde, que je vous invite à découvrir sans tarder.
Prix du Livre de voyage Nicolas Bouvier 2020, amplement mérité.

"La vraie vie des hommes et des femmes est celle qu'on ne voit pas ".
"Mes voyages nourrissent une géographie intime ; je veux raconter des lieux, mais avant tout des gens, et faire ressurgir une mémoire ".
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« C'est précisément quand vous avez perdu vos racines que le moindre endroit où vous allez prend un sens considérable ».

Kapka Kassabova a choisi un bel objet et un titre a priori simple pour son livre : Lisière. Il s'agit, dans son sens littéral, de chacune de deux bordures d'une pièce d'étoffe, tissées parfois dans une autre armure que l'étoffe elle-même, parfois à chaîne doublée. Un terme qui a été étendu pour donner le sens géographique de bordure d'un terrain, d'une région, d'une forêt. Bref un synonyme de frontière. Quoique. Sentez-vous combien le terme choisi de lisière est plus flou, plus mystérieux, plus poétique que le terme de frontière ? Davantage chargé en matières, en symboles, en histoires. Plus texturé, plus nuancé. Moins bureaucratique.

Aller à la lisière c'est également aller à la rencontre de ses propres contours, de ses propres fibres, de ses coutures et de ses racines. Kapka Kassabova est écossaise mais originaire de Bulgarie, de Sofia. Pour se comprendre, elle décide d'aller dans ce lieu emblématique. D'y aller et d'y rester un temps très long. Elle prend son temps pour écouter, errer, recueillir, sentir. Elle s'imprègne de multiples récits au sujet de la frontière, nous imprégnant à notre tour. Pas De souvenirs de sa propre enfance, pas d'intimité dévoilée, elle laisse parler les autres et les écoute pour mieux se comprendre et se retrouver. Pour recoudre des morceaux d'elle-même trop longtemps laissés de côté. Aller à la lisière, c'est sentir aussi qu'au-delà de du bord, il y a ce que nous redoutons tous, la mort. Et donc mieux apprécier la vie.

« Les personnes qui habitent à la lisière ont peut-être quelque chose à nous apprendre sur les limbes ».

L'image de la bordure du tissu me plait particulièrement. Toute bordure naturelle d'une région est, elle aussi, souvent composée d'éléments d'une autre armure que la terre elle-même : fleuves, montagnes qui délimitent. Qui font frontière. Sauf lorsque les hommes s'en mêlent. En l'occurrence ici ce n'est pas deux mais trois pièces de tissus qui tentent d'être délimitées et raccordées par cette bordure imprégnées d'un renfort de mythes, de légendes, d'histoires, de civilisations disparues, de montagnes, de forêts denses: Kapka Kassabova nous amène en effet au croisement de la Bulgarie, le pays de son enfance, de la Grèce et de la Turquie. Là où prend fin l'Europe et où commence l'Asie. Pour nous guider, une carte de la région est disponible en tout début de livre et j'avoue l'avoir souvent regardée pour comprendre sa progression, son itinéraire en quatre grands lieux. le livre se divise d'ailleurs en quatre parties qui correspondent à ces quatre itinéraires : Mer noire, plaines de Thrace, col des Rhodopes puis retour à la Mer noire. Une boucle frontalière tel est son périple.

Si l'histoire, chargée, de la région est expliquée de façon très détaillée, l'auteure a fait le choix de nous l'enseigner par la voix des personnages rencontrés, tous croqués d'une façon poignante par la jeune femme, empreint d'une belle humanité. L'auteure sonde les visages, écoute leurs récits, partage leurs repas, apprend de nouveaux mot. Des gens simples au destin chamboulé par la grande Histoire de ce lieu, lieu emblématique au croisement de deux continents, de deux blocs, de deux religions. C'est cette alliance qui m'a émerveillée, cette façon de procéder : nous apprendre par le menu l'histoire méconnue de cette région par la voix de gens simples qui pour certains ont été broyés par cette lisière mouvante, ce couloir dans lequel circule de pauvres hères, mais qui vivent malgré tout. Et Kapka Kassabova partage ce quotidien. Cela donne un livre à la fois érudit tant en termes historiques que géographiques, et poignant tant les personnages rencontrés et à qui elle donne la parole sont présenté de façon respectueuse, authentique, empathique. le tout enrobé de contes et légendes de la région, d'ésotérisme, parfois saugrenue mais salvatrice, de rites, de mets culinaires. de poésie magnifique dans la description de certains paysages, dans cet espace naturel le plus préservé d'Europe. Une dimension humaine et poétique de l'histoire via une épopée grandiose. Voilà ce que nous offre l'auteure.

« Évoluant vers l'ouest depuis les plaines de la Thrace, j'avais l'impression de rebrousser chemin pour m'enfoncer à nouveau dans l'hiver. La neige était tombée très dru deux semaines plus tôt et les cols avaient été fermés. La première partie du trajet menant à la région orientale des Rhodopes était bordée d'arbres égayés de bourgeons blancs et roses frémissant sous l'effet de la brise et, pendant une heure enivrante, je roulais parmi les pétales volatils semblables à des confettis, comme emportée par une procession matrimoniale fantôme. Mais lorsque la route se mit à grimper pour atteindre les gorges, tels un ruban qui se déploie, les bourgeons s'évanouirent. Des sapins noirs se dressaient au-dessus de la chaussée, à peine fixés à des parois si hautes qu'on n'apercevait même pas leurs cimes. Des camions aux cargaisons pesantes lambinaient pareils à des escargots loin devant, flanqués d'un à-pic vertigineux. le bitume était érodé par la récente fonte des neiges et jonché de décombres forestiers, mais les accidents étaient étonnamment rares. Les conducteurs savaient que personne ne viendrait les chercher ici en cas de sortie de route. Qu'ils se décomposeraient au fond de la gorge, où les vautours viendraient picorer leurs os pour finir de les nettoyer, alors ils se cramponnaient au bitume et à la vie par la même occasion ».

J'ai été particulièrement marquée par le traitement des musulmans de Bulgarie massacrés, contraints à la conversion au christianisme ou forcés à l'exil en Turquie alors même que ces personnes ignoraient tout de ce pays et de sa langue, cette lointaine terre d'origine. Certains passages m'ont fait frémir. J'ai appris que 340 000 personnes ont ainsi été déplacées par leur propre Etat ce qui représente le plus grand déplacement de population en Europe depuis la Seconde Guerre Mondiale. Et ce en temps de paix. Je ne savais pas. Et ça c'est pour les musulmans d'origine turque…pour les Pomaques, les musulmans sans terre d'origine, c'est plus compliqué car ils n'ont nulle part où aller.

« La Bulgarie abrite la plus importante population de natifs musulmans de toute l'Union Européenne. Pas des migrants fraichement arrivés comme les Turcs d'Allemagne, mais des Turcs autochtones vivant en territoire bulgare depuis des générations, l'héritage humain de cinq siècles de domination ottomane riches en brassages ethniques ».

La guerre froide est également évoquée, cette partie du monde étant à l'époque le lieu des fuites clandestines des gens du bloc de l'est pour le bloc de l'ouest ; est abordée aussi l'histoire des exilés actuels, réfugiés syriens notamment. Une lisière chargée d'espoirs, de dangers, de menaces et de morts. Une lisière surveillée, quadrillée, renforcée comme les bords d'un tissu.

Si ces aspects du livre peuvent sembler complexes et sombres, quoique toujours amenés à travers des voix vibrantes et profondément humaines, cette lisière est également pleine de vie, multiculturelle, bigarrée, que l'auteure magnifie tout du long comme ici dans ce marché à Edirne, ville turque toute proche de la frontière :

« Ici les pauvres se comptaient par milliers, au sein de ce royaume du kilim et du kitsch. Et quand ils n'étaient pas pauvres, ils n'étaient pas riches non plus, car ici, pour une poignée d'euros, on pouvait se procurer des vêtements de bébé, de l'huile de serpent, des jeans Levi's « véritables » et des sous-vêtements XXL, du maquillage à forte teneur en paillettes et des chaussures en faux cuir. Les vendeurs, abrités dans leurs cavernes d'Ali Baba faites de peaux arrachées à des espèces africaines menacées, braillaient et amadouaient le chaland dans toutes les langues possibles et imaginables, dont l'arabe et le russe ».

Lisière est un magnifique livre de voyage, érudit, exigeant, empli d'humanité. Une dentelle qui lève le voile sur une partie du monde assez méconnue. Qui découd les clichés, nombreux, sur ces terres balkaniques. Qui tricote une mémoire et des racines, nécessaires à tout européen.

Lisière est également un livre métaphysique, une réflexion sur le sens même de ce terme, terme qui fait particulièrement écho à toutes celles et ceux dont les racines sont multiples, complexes, flouées, arrachées, voire coupées…La frontière entre soi et l'autre, entre les chanceux biens nés et les autres nés de l'autre côté, entre le rêve et la veille…connaitre ses frontières devient alors un moyen de retrouver ses racines. Et d'apprécier la vie avant de passer l'ultime frontière. Celle de la mort.

« Qu'est-ce qu'une frontière lorsque les définitions lexico-graphiques ne suffisent plus ? C'est une chose que tu portes en toi, à ton insu, jusqu'au jour où tu te retrouves en pareil endroit. Alors, tu hurles en direction du gouffre dont une paroi est baignée de soleil et l'autre plongée dans les ténèbres, et l'écho décuple son souhait, déforme ta voix, l'emporte jusqu'à une lointaine contrée où un jour, peut-être tu es allé ».
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Merci à Bookycooky chez qui j'ai pioché cet ouvrage. Quand le besoin se fait sentir de retrouver le lieu de ses racines... L'écrivaine retourne en Bulgarie, son pays natal, quitté alors qu'elle était enfant, fuyant la guerre froide. Disons qu'elle se rend surtout près des frontières de la Turquie et de la Grèce. D'où certainement ce titre lisières, mot que j'associe à Olivier Adam qui l'emploie souvent dans ses romans et le fabuleux Les lisières. Oeuvre d'une grande richesse historique et humaine. L'historique : pas évident quand on n'y connaît pas grand chose. J'ai surtout été touchée par ce côté genre « carnet de voyages » peuplé de rencontres avec des belles personnes et des légendes locales. J'aurais aimé en savoir plus sur son immigration à elle et de sa famille en Écosse, leurs parcours. Pudeur ? Des passages forts sur ce qui se passait à ces frontières entre espions, milices et ceux qui espéraient un avenir de liberté et de vie.
Comble de joie lié à ce livre : un MP de Bookycooky qui m'a dévoilé un pan de la vie de ses grands-parents fort passionnant.
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"Lisière" est un récit hautement dépaysant. Kapka Kassabova est née en Bulgarie mais elle a vécu toute sa vie en apatride, vivant actuellement en Ecosse après avoir suivi, enfant, ses parents en Nouvelle-Zélande. Autant dire qu'elle sait ce que signifie l'exil et le déracinement. A quarante ans, elle a entrepris un travail de retour aux sources déconcertant pour elle-même et le lecteur en retournant dans ce carrefour territorial que constitue l'antique Thrace à la croisée des routes de la soie et de la mer Noire, entre Bulgarie, Grèce et Turquie.

Des sources, il en est énormément question dans ce récit de voyage qui se focalise sur les "lisières", c'est-à-dire les frontières naturelles, humaines, géopolitiques. Eaux vives ou eaux troubles, archives ou mémoires des hommes. Ce retour au bercail ne laissera pas Kapka Kassabova indifférente ni même indemne. Dans les forêts profondes et sauvages de la mystérieuse et mystique Strandja, chaque centimètre carré est un concentré de beauté et de danger.

Narré à la façon d'un roman mais très documenté, ce voyage dans l'espace et le temps enivre autant qu'il effraie. C'est le récit des contrastes, des hontes, des espérances, des mixités mais aussi des passions, des croyances, des héritages. "Lisière" ne peut vraiment pas laisser le lecteur indifférent et pour peu qu'il s'intéresse à l'histoire européenne du XXème siècle, il sera véritablement passionné par ce livre.


Challenge MULTI-DEFIS 2022
Challenge ATOUT PRIX 2022
Challenge ABC 2022/2023
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C'est la critique de anneAFB (qu'elle en soit remerciée) qui m'a donné envie de lire Lisière. Ce livre me semblait receler une énigme, et j'ai été tout à fait enchantée de le trouver à la médiathèque.
Au premier abord, j'ai eu du mal à y entrer, à entrer dans le rythme de l'écriture de Kapka Kassabova. Ensuite, j'ai eu du mal à le lâcher.
C'est un récit de voyage avant tout, une sorte de carnet de bord et de rencontres, le long de la frontière Sud de la Bulgarie. le rythme, donc, alterne des passages contemplatifs, des réflexions rêveuses, et des épisodes effrénés en compagnie de... commerçants… plus ou moins... légaux… (contrebandiers serait le terme exact).
À la manière de Svetlana Alexievitch, c'est au travers de multiples témoignages que Kassabova retrace l'Histoire compliquée de cette frontière, depuis l'Antiquité et ses mythes, jusqu'à l'Union européenne, en passant par la Guerre froide. C'était alors le lieu où franchir le Rideau de fer semblait le plus facile, et l'autrice retrouve des personnes qui ont tenté l'évasion : pas si facile que cela, puisque les cartes disponibles en Europe de l'Est étaient délibérément fausses afin de duper les candidats à l'exil.
Aujourd'hui dans l'autre sens, c'est la tentative désespérée de passage des personnes migrantes espérant trouver en Europe un avenir meilleur – un avenir tout court.
Mais c'est aussi la frontière qu'on franchit, depuis la puritaine Turquie... pour aller jouer au casino.
L'autrice y rencontre de nombreuses nationalités, des personnes de toutes origines parlant de multiples langues, dont elle dresse des portraits sensibles, tragiques ou savoureux (D'un homme maigre : "taillé dans un tibia de cigogne".).
Elle entoure ces témoignages de ses réflexions personnelles, de son propre ressenti plein d'humanité et de compassion.
"À un moment, je me rendis compte que moi aussi je pleurais. Certaines choses sont irréparables, et c'est pour cela que les larmes existent."
Ça a été un bonheur de parcourir cette Lisière au rythme de Kapka Kassabova.
Traduction impeccable de Morgane Saysana.
Challenge Globe-Trotter (Bulgarie)
LC thématique de septembre 2022 : "État des lieux"
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Citations et extraits (78) Voir plus Ajouter une citation
La campagne de haine contre les personnes d’origine turque comportait des similitudes avec la guerre des Malouines et ses conséquences pour la junte militaire argentine : un conflit absurde et vénéneux, le moyen pour un Etat policier en déroute de détourner l’attention du peuple des véritables enjeux du moment : le marasme économique, les magasins vides, les droits de l’homme bafoués au quotidien, les problèmes environnementaux, et le vent qui se levait, celui d’un changement baptisé “glasnost” et “perestroïka”. Une minorité constitue toujours une proie facile.
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Ce que j’avais sous les yeux n’était pas un cours d’eau normal. De l’autre côté de la frontière se dressait une grotte abyssale nantie d’une cascade tonitruante baptisée le “trou du Diable”. C’est par cette cavité qu’Orphée aurait, selon la légende, accédé à l’au-delà. Rien de ce qui s’y engouffre n’en ressort jamais, et cela vaut aussi pour les derniers spéléologues, un gomme et une femme à s’y être aventurés dans les années 1970. Même Orphée, seule créature ayant refait surface depuis ce royaume chtonien, finit écharpé par les ménades en furie, sa tête balancée dans l’Hèbre, qui s’écoule sur 480 kilomètres avant de devenir la mer Egée. Son crime ? Avoir changé de bord à la fin de sa vie et franchi deux frontières périlleuses : en rompant son allégeance à son ancien mentor Dionysos, dieu des mystères nocturnes, pour s’en remettre à Apollon, le dieu Soleil; et en cessant d’aimer les femmes pour se tourner vers les hommes. Franchir les frontières sans y être invité s’avère risqué même pour les dieux, et à plus forte raison pour les mortels.
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Peu importe la vérité : de vastes pans de l’Europe ottomane adoptèrent l’islam par choix, pour un large éventail de raisons allant de la volonté de paer moins d’impôts à celle de fuir la persécution de l’Eglise orthodoxe si vous aviez le malheur d’appartenir à une secte hérétique, comme les bogomiles. Instigateurs d’une doctrine ayant vu le jour en Bulgarie avant de se propager vers l’ouest et la Bosnie, la France et l’Italie, où le mouvement se mua en catharisme, les bogomiles étaient des croyants gnostiques et dualistiques qui refusaient tout forme d’institution. Ils arguaient que le corps de l’Eglise était ballonné et que, pour vivre sa spiritualité, nul n’avait besoin des attributs d’une institution corrompue et pyramidale. Si, à l’instar des pauliciens, les bogomiles furent les véritables “torturés”, ils exercèrent une influence non négligeable des siècles durant, jusqu’à l ‘arrivée de l’Islam. Quel soulagement cela dut être pour eux que de se voir enfin débarassés de l’Eglise. D’après certains, le bogomilisme tirerait ses origines des enseignements manichéens ancrés dans le zoroastrisme perse, renforçant ainsi la porosité de la frontière entre Orient et Occident.
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L’Histoire se dissipa, supplantée par des voix. Des visiteurs grecs et bulgares, des Turcs de Bulgarie qui maniaient encore les deux langues après leur exode de 1989, des musulmanes à la peau de lait et aux pantalons amples venues du massif des Rhodopes parlant toujours des dialectes slaves archaïques, et de superbes Gitanes farouches parlant tout ce qui se parlait. Aux yeux de ces acheteurs munis de passeports en règle, la frontière était une simple virée du week-end, une commodité à rapporter chez soi. C’était une ligne magique, un jeu pour grands enfants. Là, tu es ici. Hop, tu viens de franchir la limite.
La frontière avait retrouvé sa fonction première, celle de territoire dédié au marchandage et à la palabre.
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Dans les années 1960, la Bulgarie était le premier exportateur de tabac au monde. La variété locale aromatique, connue sous le nom de “tabac oriental”, était traditionnellement cultivée par des musulmans, tandis que la viticulture avait toujours été l’apanage des chrétiens. Quand les Turcs de Bulgarie furent contraints de quitter le pays en 1989, l’industrie du tabac, qui (au même titre que le maraîchage) avait été un des fers de lance de l’économie depuis plus d’un siècle, s’effondra du jour au lendemain. Il n’y avait plus personne pour ramasser la récolte.
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