Damián Lobo, célibataire quarantenaire, vit à Madrid dans une solitude extrême et anormale. Il est depuis peu au chômage, avoir travaillé pendant vingt-cinq ans au service technique d'un magasin de matériel de construction. La seule personne avec qui il échange est une espèce d'ami imagi-naire, Sergio O'Kane, un présentateur de télévision qui l'invite régulièrement dans son émission très grand public. Damián lui raconte sa vie : ne pouvant avoir d'enfant, ses parents ont adopté une petite fille chinoise âgée de deux ou trois mois qu'ils ont prénommée Desiré ; sa mère est contre toute attente tombée enceinte trois ans plus tard ; ses parents, critique de cinéma et professeur de chimie, ne lui ont jamais accordé d'attention ; il a vécu une relation incestueuse avec sa grande soeur adoptive ; il nourrit depuis une obsession pour les Chinoises…
Un jour, alors qu'il se promène dans un marché d'antiquités, Damián vole une épingle à cravate pour son ami imaginaire. Un agent de sécurité le voit. Il fuit et se cache dans une grosse armoire en chêne, en attendant que le marché ferme pour pouvoir sortir. Mais entre-temps quelqu'un achète le meuble et le fait immédiatement livrer dans un pavillon de la banlieue de Madrid. L'armoire est placée dans la chambre à coucher. Damián ne parvient pas à en sortir et va petit à petit cohabiter avec la famille qui ne s'aperçoit naturellement pas sa présence : Lucía, Fede et leur fille adolescente María.
Lucía a reconnu l'armoire de ses grands-parents, liée à des souvenirs de son frère jumeau, Jorge, mort du tétanos à l'âge de sept ans. Damián sort quand le couple part travailler. Il commence à s'occuper des tâches ménagères et très vite, il prend goût à sa nouvelle existence de fantôme utile et bienveillant. Il se connecte souvent sur Internet à partir de l'ordinateur de l'adolescente. Croyant aux phénomènes paranormaux, Lucía pense qu'un esprit bienfaisant est venu avec l'armoire. Quant à Fede et María, ils ne s'aperçoivent de rien.
Damián continue de participer à ses émissions de télévision imaginaires, mais cette fois avec un journaliste de renom pour une émission de qualité.
Lucía doit se rendre dans le nord du pays, au chevet de sa mère souffrante. Profitant de l'absence de sa femme et de sa fille, Fede fait venir son amante, l'employée de sa boutique de jouets. Se sen-tant de plus en plus proche de Lucía dont il n'a vu que le visage que sur les photographies du salon, Damián décide de se débarrasser de Fede…
Juan José Millás réussit avec
Où l'on apprend le rôle joué par une épingle à cravate un tour de force inouï : raconter une histoire sur-réelle en happant le lecteur de la première à la dernière page. Il manie incontestablement l'art du récit. Les personnages, à commencer par le protagoniste, sont excellemment bien construits : froids, fragiles, complexes, profondément humains.
Le thème de la solitude, qui traverse toute l'oeuvre de l'écrivain, est très présent dans
Où l'on apprend le rôle joué par une épingle à cravate. Celle du héros semble à la fois pathologique et maîtrisée.
Une réflexion sur les médias actuels traverse le texte : le radioréveil du couple qui débite des faits divers, les présentateurs de télévision et les différentes astuces pour gagner de l'audience, dont les détails sordides, intimes, les larmes, Internet et ses multiples forums sur les fantômes et autres qui deviennent parfois des sujets d'actualité, etc.
Malaise, sourire, tendresse, tension – Damián va-t-il être découvert, d'abord par l'agent de sécurité, puis par Lucía ou Fede ou leurs voisins ? –, les émotions du lecteur oscillent à mesure qu'il avance dans le récit. L'érotisme est très présent.