Indépendante depuis le 25 juin 1991, la Slovénie a fait partie de l'ancienne république de Yougoslavie. le pays, pour autant que l'on puisse parler de pays slovène avant 1991, a connu de nombreuses dominations dans son histoire, autrichienne et italienne notamment.
La lutte contre l'envahisseur a nourri le sentiment national slovène. Boris Pahor raconte un épisode de cette lutte.
18 septembre 1943, les USA ont débarqué en Italie, ont défait Mussolini récupéré par des parachutistes SS et installé dans sa République fantoche du Lac de Garde.
Les soldats slovènes, enrôlés dans les troupes italiennes, reçoivent l'ordre du commandement de la ville de Trieste de se présenter aux autorités allemandes pour être enrôlés et combattre les partisans.
Rudi Leban fait partie de ces jeunes soldats qui abandonnent l'uniforme et décident de rejoindre le maquis, déjouant les pièges tendus par les soldats allemands, dans toutes les gares.
Le récit est celui de la fuite en train, sous le regard empathique des voyageurs qui identifient sans mal ses jeunes gens taiseux, vêtus d'habits d'emprunt :
« La conversation s'installa, couvrant le grondement des roues, tantôt couvertes le grondement des roues tantôt couverte par leur martèlement contre les rails. Addition, addition des tronçons métalliques, et en même temps soustraction. Compte à rebours jusqu'au prochain arrêt, qui pourrait bien porter le nom de Vérone. »
Les souricières tendues par les Allemands à chaque gare, à cette époque les gares étaient fermées et leur accès réservées aux voyageurs, obligent les jeunes gens à sauter du train avant l'arrivée à destination.
« Après avoir sauté du train, le voilà qui fuyait comme une bête traquée. Traquée par des chasseurs affamés de chair humaine qui arborent une tête de mort sur leurs calots. Il courrait, gravissait les marches deux à deux. Il en laissait six derrière lui. Puis six encore et encore autant. N'allaient-elles donc jamais finir ? S'en créait-il de nouvelles au fur et à mesure qu'il les franchissait ? Se pourrait-il qu'elles soient, elles aussi, ensorcelées par le mauvais sort qui planait sur cet automne d'acier ? »
Ces deux phrases sont représentatives du style de l'auteur et de la façon dont Rudi Leban, le héros, qui n'est autre que Boris Pahor, est confronté à des découvertes et des épreuves successives.
Il découvre que le nationalisme ou plutôt l'attachement viscéral dont il fait preuve à l'égard de sa patrie La Slovénie, n'est pas partagé par toute la population. Son amie Vida, n'a-t-elle pas été séduite par un homme italien ? N'a-t-elle pas cédée à «l'éclat de la grandeur étrangère » ?
Lui-même n'a-t-il pas éprouvé une admiration coupable pour les soldats italiens entrant en triomphateurs dans Ljubljana ? « Toi aussi, tu as droit aux considérations réservées aux glorieux Romains. Ah, ah ! »
La fuite vers le maquis prend des allures de voyage initiatique. Rudi remettra en cause son projet initial de réussir ses études de droit pour devenir l'avocat de talent qui défendra les opprimés contre le régime qui professe : « Epargne ceux qui courbent l'échine : quant à ceux qui se rebellent, écrase-les. »
Ecrit en 1955, le roman de Boris Pahor garde toute son actualité en 2017. Il éclaire l'évolution des Balkans vers les conflits que nous avons connus dans les années 1990. Il pose par ailleurs une question fondamentale : les guerres de libération nationales, en se construisant dans le rejet de l'envahisseur, ne conduisent-elles pas à terme au rejet de l'autre ?
A lire.
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Le protagoniste, Rudi Leban, emprunte un train le menant du nord de l'Italie vers Trieste, chaque gare traversée lui offrant le décor aux questionnements sur l'Histoire et sur le destin d'un pays. L'occasion également pour l'auteur de brosser deux splendides portraits de femmes.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Le roman de Pahor n'a pas l'innocence des mythes. C'est un roman problématique tendu entre l'engagement et l'ironie, le goût de la nature et la volonté politique, la poésie du coeur et la prose du monde.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Afin de ne pas la toucher avec ses mains collantes, Rudi posa ses deux poings fermés sur les épaules de la jeune femme, pareilles a deux anses rondes sur une jarre précieuse.
En un éclair, là-haut dans le ciel, le soleil s’embrasa, et scintilla sur la mer ; le visage de la jeune femme s’irradia, puis une lumière blanche éclata devant leurs paupières fermées - c’était l’odeur du raisin dans la hotte, le parfum du fenouil, et le sucre des figues tard venues à l’abri contre la falaise. La douceur du raisin sur les lèvres de Majda, et la fermeté moelleuse de sa poitrine qui avait la douceur de la mer bleue dans un havre placide.
"Vicenza !" annonça le contrôleur.
Il a dit "Vicenza" comme tous les contrôleurs disent Vicenza. D'abord, ils disent "Brescia", ensuite "Verona", enfin "Vicenza". A son intonation, on aurait pu se croire en temps de paix. Il faisait nuit et le passager somnolait (…). L'annonce du contrôleur le rassura. Elle lui indiquait que le moment de descendre n'était pas encore arrivé. Dans le couloir, on entendait des bruits de pas, de portes qui claquent, les ronflements de la locomotive. Mais le passager se recroquevilla et ferma les yeux, plein de reconnaissance envers le contrôleur de n'avoir jusqu'alors dit que "Brescia", ou "Vicenza" ou "Mestre". La gare de Trieste était encore loin. Blotti dans son gîte, l'homme pouvait en toute quiétude s'abandonner à son somme.
Une éternité se passa avant que le contrôleur ne crie : "Padova".
Puis : "Venezia !""
Il comprit alors qu’il était prisonnier d’une force invisible. Sourde et invisible. Oui, la peur de la ville. C’est ça. L’effroi devant cette usine qui depuis des siècles s’emploie à fondre les Slovènes dans le moule italien. C’est ça. C’est ça. Oui, c’est ça. Ah! On les refaçonne du tout au tout ! On les affuble d’un nouveau nom, puis on leur fourre dans les mains la grammaire d’une nouvelle langue. Sans oublier que, depuis la fin de la Grande Guerre, c’est par le fer et par le feu que ça se passe. Bien sûr, c’est dès l’enfance que la peur s’insinue dans vos veines, avec les maisons en flammes, avec l’incendie de la Maison de la culture slovène en plein cœur de Trieste... Mais il n’y a pas que la peur : il y avait aussi le sentiment d’infériorité. Car on vous traite comme un paria.
Car, là-bas, de l'autre côté de la ligne du tram et de la barrière, le grand bleu souriait pudiquement à la lumière qui frissonnait au sommet des collines, hésitant encore à se déverser vers lui.
A l'instar de Pénélope, ils défaisaient la nuit ce qu'ils avaient confectionné le jour. Ils débarquaient les cargaisons allemandes, mais faisaient sauter les rails par lesquels devaient arriver les nouvelles livraisons.
Teaser 4'23" de "Boris Pahor,portrait d'un homme libre", un film de Fabienne Issartel