"Dans ce que la vie représente pour moi, il y a ce corps féminin me désignant, ce féminin m'identifiant.Mais c'est comme en retrait. Identité incomplète, méfiante, presque m'évitant.Appartenir à la condition humaine dite féminine ; savoir nettement ce qui la différencie de l'autre, très tôt aussi ce que certains hommes en font : corps féminin pénétrable. Sur cela je suis à peu près sans regard, pas sans crainte. Dans ce que la vie représente pour moi, si longtemps c'est un mystère.Appartenir au féminin, n'en savoir à peu près rien. Une mère si jolie, manteau de fourrure, parfums chauds, robes couturières mais ce n'est qu'une image. Ces mains masculines très tôt dans ma culotte mais c'est sans lien dirait on. Ces hommes très tôt dans mon lit mais c'est sans lien dirait-on. Que faisons nous ensemble je l'ignore. Il me vient pourtant du plaisir mais c'est sans lien dirait on.
Cette identité se forgera plus tard ; voie détournée, ce que je sais de moi comme femme nait au contact de la puissance d'écrire, plaisir hors pair se nouant à l'autre, sexuel. Entrer dans cet espace langagier parfois capable de soulever la réalité même, capacité interne par instants si flamboyante qu'elle peut déclencher une libido vigoureuse, terriblement désirante. Écrire, baiser. La langue quand elle n'est plus contrainte, enfermée étroite, excite ma libido. C'est cette sauvagerie de la langue, cet effet vital ; me concernant, vu d'où je viens, une décolonisation. Cette brutale chute des chaînes soulève en moi une joie profonde, sauvage et de là tout mon corps et le sexe.Baiser, écrire ; que d'une jouissance sexuelle naisse un puissant désir d'écrire est vrai aussi. Je n'ai plus aucune raison de le taire ; c'est, j'imagine, le cœur même du mot libido. Là, être une femme me dit quelque chose. Fortement liées les deux jouissances, l'une nourrissant l'autre.C'est de l'union, me semble-t-il.Mot si puissant quand les conventions ne le laminent pas. "
""Dans cette zone se tient l'enfant que je fus.Je l'ai abandonnée sur place il y a longtemps, impossible à emmener, trop abîmée. Ces enfants là attendent indéfiniment qu'on viennent les reprendre. I would prefer not to..Je connais son état. Visage écrasé sur les clichés d'enfance, regard effacé, lèvres figées. Corps atone et comme très loin, à l'écart. Une étrange laideur affecte l'ensemble. De l'inconsistance.J'ai peine pour cette petite fille engoncée dans ses blouses à larges carreaux, cheveux trop courts et faux sourire, tandis que la mère je le sais, si charmante et l'élégance de ses beaux chignons. Quelque chose s'est défait.Le visage sur les photos en atteste. D’avoir dû rompe trop tôt avec l'instinct d'origine, cru, vigoureux, dont je sais aussi qu'il exista, pour épouser ces formes imposées autour de soi, affaiblissant tout. Un long non-lieu domestiqué ; obéir aux règles bien que parfois les haïssant. Savoir ce que tend néanmoins au monde extérieur l'aimable cadre familial. Pourrir sur pied dans l'aimable cadre. Avoir dû renoncer à l'essentiel, ce dont la vie fut pour moi le signe au tout début, ce don plein de charme, aimer, parler, regarder, apprendre, découvrir,,connaître, rire, jouer, lumières dans les arbres, sur les vagues, sur le sable, sur les cyprès, beautés, beautés, cadre immense, monde immense. Rabattre l'ensemble. S'excuser. Se faire pardonner. Demander pardon. Rétrécir. Diminuer. Apprendre à taire les questions..Réduire les gestes. Devenir cette chose éminemment maladroite, intégrant ce que chez bien des gens il n'est pas admis d'être ni de faire, abandonnant mois après mois les hautes aspirations. Divorcer de soi. Intégrer le deuil.
Persister , dans ces circonstances, devient longtemps le seul enjeu. Il n'existe aucune alternative. Se faire passer pour ce qu l'on est pas est justifié. Il ne s'en creuse pas moins un fossé, dedans, une sorte d'adieu temporaire au moins, de soi à soi. L'obligation de se loger dans une langue familiale parfois détestée est sans doute la plus violente. Entre tout ce qui ne se dit pas, et tout ce qu'ils autorisent à dire dans cette langue chargée de poncifs, vivre est peu de chose.
Cette habitude se prend. Il reste bien sûr des lieux, des visages, des apprentissages, des plaisirs. Mais l'élan percuté de plein fouet s'éparpille, par endroits se disloque.
L'enfant sait tout ça. Ce à quoi elle renonce. La gratification de pacotille offerte en contrepartie. "
Mais il y a des contrepoisons, toujours. L’un d’eux, dans ce que la vie représente pour moi, ce mot, livre. Reste pour moi, après des décennies, l’un des plus puissants de la langue. Il me suffit de l’entendre, voir ou dire pour éprouver jusqu’à physiquement ce qu’à la fois il soulève, enveloppe, contient, ouvre. Le seul peut-être à me relier intégralement à l’enfant, abîmée compris. Objet talisman, gri-gri, protection magique. Un des seuls à contenir Réel, Imaginaire et Symbolique ensemble. Livre, dès lors que poétique, littéraire, possédant sa propre langue, est l’antithèse de la langue exterminatrice. Lire m’a recousue, bordée, aimée, défendue, élevée, entourée. Je ne dépasse pas la première page si cela ne me convient pas. J’entends qu’on fasse pareil avec ma langue. Que ma langue aussi puisse en recoudre certains je le sais; que certains ne la supportent pas, aussi. Entrer dans une langue que je découvre et aime aussitôt est un des bonheurs les plus subtils et nourriciers que je connaisse.
""Nous avons vu le jour en une fois ; tous, qu'on le veuille ou non, attendus ou pas, que des mains se tendent ou qu'on tombe à terre, glisse seul, soit extirpé de force. C'est le seul début qui vaille ; ça se fait en une fois. Elle suffit, pas plus de quelques secondes, de dedans à dehors, de l'autre à soi.
Naître est voir le jour. Quitter la pénombre.Tant que la mère inclut l'enfant, il n'y a pas de un. Quitter la mère est voir le jour.Devenir un est voir le jour., le verbe voir et non pas entendre, toucher, goûter ou sentir.La langue sait, prophétise ; déclare ce que nous devenons. Des voyants. Cette lumière, même les nouveaux nés aveugles la traversent. D'eux aussi, ont dit qu'ils ont vu le jour. On commence par là.Glisser hors matrice, déboucher ; être seul pour toujours à le vivre . C'est le premier mouvement, il engendre les suivants. C'est l’apparition, être là pour la première fois parmi les autres ; ça se traverse seul.Qu'importe les mains qui portent, les voix qui accompagnent. Celui qui vient au monde n'est définitivement plus que lui-même. Ainsi avons nous en commun cette origine ; en cela nous pourrions nous reconnaître"
"Lire m'a recousue, bordée, aimée, défendue, élevée, entourée. Je ne passe pas la première page si cela ne me convient pas. J'entends qu'on fasse pareil avec ma langue. Que ma langue aussi puisse en recoudre certains je le sais. ; que certains ne la supportent pas, aussi. Entrer dans une langue que je découvre et aime aussitôt est un des bonheurs les plus subtils et nourriciers que je connaisse. "
A l'occasion du salon "Le livre sur la place" à Nancy, rencontre avec Dominique Sigaud autour de son ouvrage "La malédiction d'être fille" aux éditions Albin Michel. Rentrée littéraire Septembre 2019.
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