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Alain Bihr (Autre)Michel Husson (Autre)
EAN : 9782849508473
193 pages
coédition Syllepse (22/10/2020)
3.17/5   3 notes
Résumé :
Dans le premier chapitre du Capital, Marx caractérise l’économie vulgaire en ces termes : elle « se contente des apparences […] et se borne à élever pédantesquement en système et à proclamer comme vérités éternelles les illusions dont le bourgeois aime à peupler son monde à lui, le meilleur des mondes possibles ». Et ce tout simplement parce qu’elle ne parvient pas ou renonce même à « pénétrer l’ensemble réel et intime des rapports de product... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Oubli des rapports sociaux et limite des critiques des apparences fétichisées

Une remarque préalable. J'ai lu le Capital au XXIe siècle. J'y ai apprécié la compilation et la mise en forme de données et quelques propositions concernant la fiscalité. Je ne suis ni économiste ni universitaire, pourtant j'ai été effaré par la « faiblesse » conceptuelle de l'auteur, le manque de solidité des notions employées, le déni des rapports sociaux, la confusion choisie du vocabulaire, le dédain pour la « théorie » et pour les analyses se référant au marxisme, sans oublier sa défense de la méritocratie contre l'égalité. Par ailleurs, dans sa formulation de possibles propositions politiques, jamais la nécessité de l'autodétermination et l'auto-organisation des populations ne sont abordées.

Je n'ai pas lu son dernier ouvrage Capital et idéologie. Je ne vais donc pas commenter les critiques d'Alain Bihr et Michel Husson. Je me contenterai de souligner quelques analyses et quelques questions théoriques soulevées.

Dans leur introduction, Alain Bihr et Michel Husson présentent Thomas Piketty, son travail, des critiques de droite de ses travaux « essentiellement motivées par l'hostilité, voire l'effroi suscités par ses propositions en matière de finances publiques », des critiques de gauche soulignant « les limites de son entreprise, tant au niveau théorique que politique ». Ils parlent entre autres d'« un solide appareil statistique », de « pauvreté de son appareillage conceptuel », d'absence « hautement dommageable du concept de rapports sociaux de production », sans oublier « cette naïveté qui vous conduit à croire que les idées mènent le monde »…

Peut-on aborder les inégalités sociales sans discuter des rapports sociaux ? Alain Bihr discute, entre autres, de fondements théoriques ou plus exactement de leur absence, de conception fétichiste du capital, des inégalités sociales – « l'irréductibilité des inégalités sociales à leur mesure mathématique » – qui ne peuvent être réduites aux inégalités des ressources et des patrimoines. Il précise : « … Piketty ne rapporte jamais les inégalités sociales aux rapports sociaux structurels qui leur donnent naissance, qui les manifestent mais les masquent aussi pour partie ».

Les mots et les concepts sont souvent polysémiques. Alain Bihr rappelle que « Ce qui suppose au minimum d'en fournir une définition claire et précise qui permette d'en justifier l'usage à des fins de connaissance critique de la réalité sociale ». Il propose une définition de l'idéologie, « Une idéologie est un sytème culturel (au sens anthropologique du mot) dont le noyau est constitué par une conception du monde à la fois englobante et cohérente, qui implique un programme d'action pour le monde et par conséquent aussi une axiologie, et dont la fonction essentielle est de justifier la situation, les intérêts ou les projets d'un groupement social particulier ». Trois moments sont mis en avant : « un moment théorique », « un moment pratique », « un moment apologétique ». Les idéologies inégalitaires dominent largement dans l'histoire ; il ne faut cependant pas négliger la force et la persistance des idées et des combats pour l'égalité…

L'insistance sur les seules inégalités de revenus et de patrimoines met la focale sur les « rapports de distribution » dans l'oubli des « rapports de production ». Alain Bihr revient, entre autres, sur l'« objectivité des rapports de production », la survalorisation « de l'autonomie et de la puissance du politique et de l'idéologique », les contradictions revélées par le développement des rapports capitalistes de production, les transformations permanentes et la flexibilité des formes phénoménales des rapports capitalistes, l'agir socio-historique. Il discute de l'idée des « sociétés ternaires » et des « sociétés de propriétaires », du féodalisme et de longue transition au capitalisme, « processus pluriséculaire de bouleversement des rapports de production et de propriété », de la dynamique des échanges marchands, des différentiations socio-économiques, de l'« originalité de la société capitaliste », de l'emprise croissante des rapports capitalistes de production sur « l'ensemble de la praxis sociale », du nouveau régime de propriété, de la forme de « pouvoir public impersonnel », de l'émergence de la « singulière figure du travailleur libre », des processus d'expropriation, du « voile juridique et idéologique », du projet de Thomas Piketty et des « corrections » proposées aux modalités d'accumulation de capital, sans oublier la valorisation d'un régime de propriété considéré comme un horizon indépassable…

Michel Husson revient sur le « trifonctionnalisme », le « propriétarismes, le Royaume-Uni, les positions de John et d'Edmund Burke, les évolutions de la productivité du travail et des salaires, le racisme envers les irlandais·es, le rôle des enclosures dans la libération d'une force de travail « libre »…

Alain Bihr analyse la genèse et la notion de « l'état fiscal et social », le « moment » social-démocrates, « les heurts et malheurs du réformisme social-démocrate », la place des mobilisations, les transformations des rapports capitalistes de production, la réduction des rapports sociaux à leur seule dimension idéologique, l'inversion du sens des mots « qui est le propre de l'idéologie », les différences entre co-gestion et autogestion, un « théâtre d'ombres, sur l'écran duquel se succèdent et se bousculent des silhouettes énigmatiques, sans qu'on sache ni pourquoi et comment elles prennent forme ni ce qui préside à leur apparition ou disparition »…

Michel Husson revient sur le « moment libéral », les limites de propositions politiques, la fragilité d'un modèle théorique, « si les réponses à la montée des inégalités relèvent de la fiscalité, en va-t-il de même pour les facteurs qui ont conduit à cette évolution ? », l'évolution des gains de productivité, le taux de profitabilité et le taux d'exploitation, la baisse de la part salariale et la quasi-stagnation du taux d'investissement, la « norme de 15% de rentabilité des fonds propres » et la montée des dividendes, l'augmentation du taux de chômage et la dégradation du rapport de force entre capital et travail, les fonctions de la finance et la notion de capital fictif, les débats sur les inégalités, les conceptions anhistoriques de certains phénomènes sociaux, les périodisations et les césures, la redistribution et sa version privative, le lieu où se « fabrique les inégalités », les modes de satisfaction des besoins, les sources d'énergie et la question écologique, le contenu et la soutenabilité de la croissance, un « socialisme « réduit aux acquêts » qui vise à corriger les inégalités après coup, sans remettre en cause les mécanismes qui les produisent »…

Le dernier chapitre est consacré au « socialisme participatif ». Alain Bihr parle de socialisme utopique aux allures scientifiques, de la « propriété temporaire » des salarié·es d'un « capital singulier », du paradigme individualiste, de l'inégalité soi-disant « garante de l'épanouissement individuel », de la persistance des rapports de production et de leurs effets propres, de division sociale de travail, de l'Etat-nation, de la crise écologique, des conditions sociopolitiques de réalisation des réformes…

« le mode de production capitaliste est aujourd'hui au faîte de son développement et de sa puissance. Il enserre la planète entière dans les « chaînes de valeur » à travers lesquelles se valorisant les capitaux des entreprises transnationales, degré ultime de concentration et de centralisation du capital ». En conclusion, les auteurs reviennent sur la faillite du socialisme réellement existant, la catastrophe écologique planétaire, les régimes d'accumulation et le mouvement de production comme « fin en soi », les conditions mobilisatrices de réels changements, l'alternative « socialisme ou barbarie »…

En postface, les auteurs parle de la pandémie, de la transgression des limites des écosystèmes, de la nécessité de « prendre la mesure de l'acharnement que les classes dominantes mettront à défendre leurs privilèges », de ce qu'est et pourrait-être l'utilité sociale…

Le travail de critique est toujours nécessaire. Il ne saurait cependant dispenser de proposer des plans articulants la satisfaction des besoins immédiats du plus grand nombre et les possibles modifications structurelles des rapports sociaux, le développement des mobilisations et la construction de lieux d'auto-organisation et de cadres de coalition, les propositions d'organisations démocratiques des citoyen·nes et des travailleurs/travailleuses, l'élaboration d'institutions démocratiques du local à l'international, les mesures de « confinement » des dominants afin de limiter leurs pouvoirs de nuisance… Certain·es de mes ami·es nomment cela revendications transitoires…
Lien : https://www.babelio.com/ajou..
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Est-il encore nécessaire de présenter Thomas Piketty? Économiste, il est célèbre notamment pour son volumineux ouvrage 'Le capital au XXIème siècle'. Ses propositions pour réduire les inégalités, tant en matière de patrimoine que de revenus, ont été âprement discutées. Il s'est même fait traiter de marxiste!

Au départ, je l'avoue, je me demandais si ce petit livre ne cherchait pas à profiter de la popularité de Piketty pour se placer en contradicteur, et vendre du papier. Car Alain Bihr et Michel Husson (lui-même qualifié d'économiste marxiste) n'ont pas connu le succès médiatique de Piketty.

Eh bien non. Bonne surprise, ce livre est clairement écrit, et solidement argumenté. Certes, les deux auteurs consacrent beaucoup de pages à critiquer l'approche de Piketty, selon eux superficielle et, ils ne le cachent guère, indigne d'un travail de recherche et d'analyse universitaire. Bon, d'un autre côté, Piketty lui-même l'a reconnu, il n'a pas spécialement "bossé" Marx, et ses propositions ne s'en inspirent pas vraiment.

Et c'est là où le bas blesse, car les propositions de Piketty ne sont qu'emplâtres sur des jambes de bois. Pour Birh et Husson, imposer les très gros patrimoines à 80% ne résoudrait pas grand chose. En effet, les patrimoines des très riches ne sont pas constitués par des moyens de production (des machines, des usines, etc.) mais par des actions, des oeuvres d'art, ou encore, de l'immobilier, dont la valeur de marché est en grande partie artificielle. Et concrètement, comment procéder? Soit on dépouille carrément les riches de leurs biens, ce qui va à l'encontre du droit de propriété, soit on les leur rachète au prix de marché... mais avec quel argent?

Quant à allouer à chaque jeune un capital de départ dans la vie, afin, par exemple, de permettre à chacun d'entreprendre des études plus longues et donc, d'obtenir des emplois mieux rémunérés, cela ne suffirait pas non plus à réduire les inégalités. Il faudrait pour cela que le 'stock' d'emplois bien payés soit plus important, or ce que nous rappellent les auteurs, c'est que le capital productif (les machines, les usines, les terres agricoles,...) n'est que du travail "en conserve". Comme l'avait déjà expliqué Marx, ce capital n'a pu être acquis que par l'extraction de la plus-value, grâce à des décennies de salaires bas payés à ceux qui ont permis aux propriétaires d'acquérir ces équipements.

Avec la baisse de la productivité, les propriétaires des moyens de production, toujours à la recherche de rentabilité de leurs capitaux, ne peuvent jouer que sur les salaires à la baisse. C'est d'ailleurs devenu un lieu commun, depuis le tournant des années 80 où la part des revenus du travail n'a cessé de baisser face à ceux du capital.

Mais si le livre attaque longuement Piketty sur son manque de culture historique et sa faiblesse en théorie économique, il contient également quelques passages éclairants sur le capitalisme, son évolution complexe à partir du féodalisme, et démonte au passage quelques idées reçues sur le marché et le rôle de l'Etat. En ce sens, il constitue un rappel utile sur l'économie en général.

Le livre se termine sur une note pessimiste, mais malheureusement lucide: le capitalisme est arrivé à son apogée, et des propositions réformistes comme celles de Piketty ne visent qu'à en corriger modérément les inégalités les plus criantes, ... alors que la crise écologique que nous vivons demande des solutions bien plus radicales. Comme le rappellent les auteurs, l'histoire nous montre que les réformes sociales structurelles, de la propriété, de l'Etat, ou des orientations stratégiques des politiques publiques, ne sont jamais le résultat d'alternances politiques. Il faut davantage que des livres: des mobilisations d'envergure, qui fassent suffisamment peur à la classe dominante.
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Prévisible et décevant. Tout est dit dans la 4ème de couv et le sommaire. Cherche à établir la liste de tout ce dont Piketty n'a pas parlé (il aurait aussi bien pu écrire 20 000 pages).

Le parti pris est évident dès la 1ère ligne. Je ne vois pas qui peut apprendre quelque chose avec un tel livre.

Mais c'est plus généralement inhérent à cet exercice de la critique façon "chamboule-tout". Promesse à moi-même : ne plus acheter ce genre de livre.

NB : je suis au moins d'accord sur 2 points avec l'auteur

a) Piketty ne parle pas de tout dans ses livres

b) les titres de ses "gros" ouvrages sont effectivement mal choisis. Et même le dernier aurait été plus honnête en s'appelant "Vivement la social-démocratie"

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Piketty ne rapporte jamais les inégalités sociales aux rapports sociaux structurels qui leur donnent naissance, qui les manifestent mais les masquent aussi pour partie
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Une idéologie est un sytème culturel (au sens anthropologique du mot) dont le noyau est constitué par une conception du monde à la fois englobante et cohérente, qui implique un programme d’action pour le monde et par conséquent aussi une axiologie, et dont la fonction essentielle est de justifier la situation, les intérêts ou les projets d’un groupement social particulier
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À ces deux catastrophes écologiques et socio-économiques, le capitalisme contemporain ajoute encore une catastrophe politique, la dégénérescence de la démocratie et le durcissement des États, et une catastrophe symbolique, la difficulté grandissante des individus à donner sens à leur existence, faute d'un cadre symbolique un tant soi peu cohérent et stable.
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Le mode de production capitaliste est aujourd’hui au faîte de son développement et de sa puissance. Il enserre la planète entière dans les « chaînes de valeur » à travers lesquelles se valorisant les capitaux des entreprises transnationales, degré ultime de concentration et de centralisation du capital
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théâtre d’ombres, sur l’écran duquel se succèdent et se bousculent des silhouettes énigmatiques, sans qu’on sache ni pourquoi et comment elles prennent forme ni ce qui préside à leur apparition ou disparition
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Vidéo de Alain Bihr
Entretien avec Alain Bihr, sociologue et auteur du Premier Âge du capitalisme. Avec lui, nous revenons sur la genèse d'un mode de production qui domine plus que jamais la planète et nos existences, tout en traversant la crise la plus longue de son histoire.
L'émission intégrale : https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/161020/capitalisme-de-la-naissance-la-dislocationt#at_medium=custom7&at_campaign=1050

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