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Pierre Deshusses (Traducteur)
EAN : 9782869303058
381 pages
Payot et Rivages (01/02/1990)
4.03/5   16 notes
Résumé :
Paru en Allemagne en 1938, Un meurtre que tout le monde commet est le premier roman important de Heimito von Doderer, l'auteur des Démons. L'œuvre immense et extrêmement originale de ce romancier le place au premier rang des écrivains autrichiens, à côté de Musil et de Hermann Broch. Ce livre rassemble les éléments d'une enquête policière, ceux d'une éducation sentimentale et ceux, enfin, d'un roman d'initiation que n'épuise pas l'anecdote : parvenu à l'âge adulte, ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Ein Mord den jeder begeht
Traduction : Pierre Deshusses

ISBN : 9782869303058


Voici un roman hybride, qui tient à la fois du roman d'apprentissage, du conte philosophique et du livre policier. le style en est riche, choisi, avec des digressions qui paressent sans honte au gré de la vie du héros, Conrad Castiletz, une première et une seconde parties qui pourront paraître interminables ou bourrées de trop d'anecdotes sans importance - erreur : de l'importance, l'une d'entre elles au moins en a énormément - suivies par une troisième et une quatrième parties où tout s'emballe mais à l'allemande, si j'ose dise, c'est-à-dire que l'on passe du pas au simple trot.

Il faut dire que Castiletz est un homme pondéré. Enfant, adolescent et jeune homme, il est hanté en permanence par l'idée de "mettre tout en ordre." A-t-il pour projet de jouer un peu plus tard par un certain après-midi que, la veille, il prend de l'avance dans ses devoirs. Ressent-il ses premiers besoins sexuels qu'il trouve normal de visiter les prostituées tout en prenant, bien sûr, ses précautions. Sa première vraie maîtresse, une jeune couturière tuberculeuse, tombe-t-elle amoureuse de lui qu'il met froidement fin à cette liaison qu'il savait vaine dès le début mais dont il n'a pas hésité un instant à profiter sans vergogne. A-t-il un examen à passer qu'il potasse absolument tout ce qui lui est nécessaire. Une certaine diplomatie s'impose-t-elle lorsqu'il prend son premier poste chez les Veik qu'il fait des courbettes sans aucun état d'âme. La jeune fille qu'il doit épouser est de six ou sept ans son aînée, qu'importe : de toutes façons, il préfère les femmes plus âgées et c'est donc mieux comme ça. Ce mariage sera sans amour ? Peut-être mais ce sont ceux-là qui tiennent le plus longtemps.

Tout, absolument tout chez Conrad Castiletz, est ainsi : posé, ordonné, équilibré. Nul romantisme ici, rien que du pragmatisme : Conrad représente à merveille la classe sociale dans laquelle il est né, la bonne bourgeoisie industrielle.

Ce n'est pas qu'il soit entièrement dépourvu de sensibilité. Seulement, il s'en défend avec vigueur et tient avant tout à mener une vie tranquille et confortable. Il faut tout le talent poétique, toute la vive intelligence de von Doderer et son questionnement incessant sur l'Etre et son destin pour que le lecteur, lassé, n'abandonne pas trop tôt ce personnage à qui la Vie va jouer un très mauvais tour.

En entrant dans la famille Veik, Conrad apprend que Louison, la soeur cadette de sa future épouse, est morte mystérieusement assassinée dans un train. le vol - la jeune fille adorait les bijoux de prix et les emportait toujours avec elle - serait le motif de cet assassinat perpétré, semble-t-il, avec un grand sang-froid, par un ou plusieurs inconnus. Pour des raisons inexpliquées - une sorte de fascination pour la beauté de la disparue, peut-être, voire un sentiment amoureux larvé envers elle - Conrad décide de résoudre cette affaire. Son motif avoué est le soulagement que cela apporterait à la famille : on sait bien que rien n'est pire que l'incertitude - enfin, c'est ce que l'on aime à croire. Mais sa femme, Marianne, n'est pas dupe et la mésentente comme la froideur s'installent très tôt dans le ménage.

On le sait depuis pratiquement le début du livre : lorsque Conrad décide d'accomplir quelque chose, il va toujours jusqu'au bout. Il reprend donc ici tous les éléments de l'enquête, opportunément débattus devant lui lors d'une réunion entre hommes, chez son ancien propriétaire, M. de Hohenlochen, réunion à laquelle assiste le Dr Inkrat, qui fut jadis chargé de l'affaire. Il va jusqu'à faire lui-même le trajet qui fut fatal à sa belle-soeur et inspecte la voie à un certain endroit, lieu présumé de l'assassinat, pour tenter d'y découvrir une trace des bijoux envolés que le ou les meurtriers y auraient jetés. Lors d'un voyage d'affaires à Berlin, il reprend contact avec un ami d'enfance qui, par l'une de ces coïncidences dont le Hasard se montre toujours généreux, connaît Henry Peitz, celui qui fut soupçonné du meurtre mais qu'on fut obligé de relâcher, faute de preuves.

... Ainsi, à sa manière lente, calme, raisonnable, avec seulement, ici et là, une petite pointe d'excitation qu'il aurait honte de laisser voir, Conrad Castiletz se hâte à la rencontre de son Destin. Car le but du livre, c'est bien cela : prouver que, qui que nous soyons, à quelque niveau de la société que nous nous trouvions, le Destin nous attend. Il nous surveille depuis l'enfance, pauvres idiots que nous sommes. Il nous accompagne comme une ombre fidèle que nous ne discernons pas et quand le moment est venu, il se dévoile. Et nous comprenons. Mais c'est trop tard : il n'est donné à personne de pouvoir revenir en arrière pour "mettre de l'ordre."

Amateurs de textes courts ou de romans simples, qui appellent un chat un chat et ne s'embarrassent pas de subtilités philosophiques, "Un Meurtre Que Tout le Monde Connaît" n'est pas pour vous : il prend trop son temps pour atteindre ce qui apparaît trop longtemps comme une nébuleuse informe. Si vous recherchez le roman social, ne vous attardez pas non plus : l'action se situe en Allemagne dans les années vingt mais le contexte social et politique n'y est jamais évoqué. Maintenant, si vous aimez les auteurs à questionnements philosophiques, sachez aussi que von Doderer diffère sensiblement de son compatriote Musil : la poésie de son style, l'adresse avec laquelle il complète peu à peu le puzzle qu'il a, tout construit, dans la tête, ces qualités relèvent plus de la littérature que de la philosophie - et c'est sans doute pour cela que nous sommes arrivés au bout de son roman. Quoi qu'il en soit, armez-vous de patience pour appréhender ce livre, n'hésitez pas à relire certains passages - voire à les lire à haute voix - et surtout, faites attention aux moindres détails : Heimito von Doderer sait très bien où il va même si vous, vous vous sentez en droit d'en douter. ;o)
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Un roman qui n'est pas exempt de maladresses, ou de digressions parfois un peu gratuites, mais que j'ai pris un grand plaisir à lire. Il parvient à nous attacher à ce personnage froid et souvent désagréable, un modèle d'auto-contrôle pendant une grande partie du livre, mais qui finit par se disloquer. Bien que les révélations finales soient en partie attendues, c'est un livre qu'on n'a pas envie de lâcher. Une découverte.
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
[...] ... - "Dans ce qui arrivait maintenant," continua le Président [Veik] calmement, "ce qui m'apparaît essentiel, c'est que ça n'arrivait pas pour la première fois - c'était seulement la première fois que ça arrivait de cette façon, avec une telle tension impérieuse dans les capillaires de la vie. Mais pour le fond, c'était la mise en marche d'un mécanisme que je connaissais depuis l'enfance et l'adolescence des deux filles, que j'avais observé du coin de l'oeil, en y jetant des demi-regards. Tout à fait en passant. Comme un verre d'eau sur le rebord de la table, qui n'est encore jamais tombé pour donner de vrais éclats de verre qui obligent finalement à une prise de conscience claire - du moins après coup - ... un fait significatif auquel nous nous étions peu à peu habitués : lorsque les filles étaient petites, tout le monde n'en avait d'abord que pour Marianne, pour ses joues rouges, ses tresses blondes comme les blés, ses jambes solides et fortes et ses réponses si raisonnables. On fit d'abord moins attention à Louison, silhouette brune et mince qui restait en retrait, toute de douceur et de modestie. Je prétends du reste que les parents ne sont en fait pas facilement prêts à considérer leurs enfants comme des êtres vivants, et c'est la même chose pour les enfants, vis-à-vis de leurs parents, ils ont davantage une idée de ce qu'ils devraient être réciproquement les uns pour les autres, chose qui est quasiment incompatible, quand on y regarde de plus près, avec la pensée qu'un père puisse par exemple aussi avoir une vie propre, une histoire propre ... Or, à mon avis, ce serait surtout le devoir des parents, plus qualifiés dans ce domaine, de briser une telle prévention ; mais on ne se doute pas quelle force il faut pour regarder bien en face une chose que l'on perçoit, lui donner le contour précis d'un fait, par la magie conjuguée de la réflexion et du verbe ... Non, on regarde du coin de l'oeil - et le verre reste alors sur le rebord de la table. Bon, tu vas tout de suite voir où je veux en venir dans toute cette affaire Derainaux, et comment elle s'est déroulée ... depuis le début en effet, il y a longtemps, j'avais quelque chose en moi qui savait ce qu'il en était en fait de la relation entre ces deux enfants, en amour et en haine - et c'est justement cette dernière que l'on refuse en tant que père, lorsqu'elle survient entre ses enfants, au lieu d'y porter toute son attention, je veux dire sur les causes de la haine. Bien sûr, par la suite, j'ai beaucoup réfléchi là-dessus, j'en ai beaucoup parlé avec ma femme qui était aussi au courant, à sa manière, tout comme moi - trop tard ; du moins la véritable clarté est venue trop tard." ... [...]
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[...] ... Dans ces années où l'enfance s'éloignait toujours davantage, elle qui avait déjà plus d'une antenne dans le glacis désert et calme du monde adulte - là où les gens, d'après les critères d'un garçon, ne font vraiment plus rien mais discutent, dans un mortel ennui, assis autour d'une même table, avec des chaussures remarquablement propres, sans prendre la moindre disposition pour agir, ce qui fait qu'il n'abîment bien sûr jamais leurs vêtements, pas plus que les livres qu'ils lisent et où il n'y a pratiquement ni action, ni rien du tout - c'est dans ces années-là que Conrad, vu qu'il n'était plus continuellement occupé comme avant, et à force de traîner et de tourner en rond dans l'appartement vide, découvrit un jeu étrange dans le salon : il y avait là un grand miroir dont la glace tirait légèrement sur le vert, signes peut-être avant-coureurs de son ternissement. Si on se regardait dans ce miroir à l'approche du crépuscule en fermant un peu les paupières et en se reculant petit à petit - alors, à un certain moment, le jeu devenait effrayant : car l'image renvoyée vous regardait soudain avec des trous sombres à la place des yeux et, suivant l'éclairage, il n'y avait effectivement plus que les orbites qui restaient visibles dans le visage. Pendant un certain temps, Kokosch [= surnom de Conrad dans son enfance] n'arrêta pas. Ce salon qu'il avait autrefois complètement délaissé, Conrad aimait s'y rendre maintenant, surtout quand il n'y avait personne d'autre à la maison. L'air confiné rempli de l'odeur propre qui émanait des tapisseries et des étoffes délicates, toutes les choses ici que personne ne semblait avoir touchées et qui ne paraissaient pas destinées à l'utilisation - tout cela agissait sur lui exactement de la même façon que l'odeur de vernis qui flottait autrefois dans le vestibule fraîchement repeint : un pressentiment de choses lointaines ou nouvelles qui, dans la façon qu'elles avaient ici de l'effleurer, ne pouvaient être que bonnes, ne pouvaient être que séduisantes. ... [...]
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"L'enfance, c'est comme un seau qu'on vous renverse sur la tête. Ce n'est qu'après que l'on découvre ce qu'il y avait dedans. Mais pendant toute une vie, ça vous dégouline dessus, quels que soient les vêtements ou même les costumes que l'on puisse mettre" 
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La poitrine de Conrad était en proie à un tumulte, comme si le silence alentour tournait sur lui-même, pareil à une roue de moulin. La chose dont il venait brusquement de prendre conscience - depuis l'instant où il avait suivie Marianne des yeux pendant qu'elle traversait le vestibule - était aussi peu en rapport avec les derniers événements qui venaient de se produire qu'elle était irrémédiable dans sa certitude : il ne désirait plus du tout sa femme.
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