Une vie de paysages

De Lawrence Durrell je n'ai lu que quatre livres, mais tous je les ai beaucoup aimés et il me reste entre autre à lire le Quatuor d'Alexandrie, qui est parait-il son chef-d'oeuvre. L. Durrell était une sorte de vacancier qui s'éternise, là, où comme touriste, nous passons une ou deux semaines, lui restait plusieurs saisons ; Pour écrire, c'est mieux ... c'est mieux pour tout : Une vie de rêve. Dans cet admirable petit bouquin (uniquement par la taille, 140 pages), Béatrice Commengé part sur les traces de Durrell (un autre titre possible), elle se met à sa place, elle revit les prémices de la création de son oeuvre, ses doutes, son ambition. de son Inde natale à Sommières en Provence où elle l'a rencontré, en passant par L'Angleterre, Corfou, l'Argentine (...), elle évoque aussi d'autres écrivains qui sont passés par Là (l'ami Henry Miller en Grèce, le poète Cavafy à Alexandrie, Dickens à Londres, Kipling à Darjeeling ...). Elle nous fait comprendre que Durrell ne s'arrête pas à L Histoire, ni au Temps, il baigne pourtant dedans, avec la guerre et la décolonisation ; non, ce qui l'intéresse c'est l'espace, l'Immuable, les paysages et le ciel. Béatrice Commengé et Lawrence Durrell sont comme du papier Buvard, ils s'imprègnent de tout cela, des images, des couleurs, des Sensations, et aussi de la Poésie qui en ressort. Un chapitre m'a particulièrement touché, celui de Chypres. En effet, il y a quelques années j'ai traversé la ligne verte et le no man's land qui sépare, encore aujourd'hui, la Chypres « grecque » officielle de la Chypres « turque » non reconnue par l'ONU, pour aller voir la maison que L. Durrell avait achetée et où il a vécu, et écrit le début du Quatuor - épisode qu'il relate admirablement dans son livre : Citrons Acides (5*) - Béatrice Commengé a donc fait ce même voyage et le décrit dans un paragraphe de ce livre : le village de Bellapaix, la petite place et son Arbre de la Paresse, les ruines de l'Abbaye et en dessous le petit port de Kyrenia, un lieu magique, un paysage envoutant ... idéal. Pour résumer la jolie philosophie de ce bouquin et de son auteure, cette citation page 114 : « Jamais je ne me lasse, pourtant, de parcourir des paysages que d'autres vies on traversés avant moi, laissant parfois la trace de quelques phrases, parfois rien. Peu importe. » C'est beau, non ? Allez : 5*.
P.S. : Je précise qu'on est pas obligé d'avoir lu L. Durrell pour apprécier ce récit, la fluidité de l'écriture et la nostalgie du propos, suffisent pour cela.

Une vie de paysages n'est pas tellement une biographie qu'un récit « sur les traces de… »,ici, de Lawrence Durrell.
De Durrell je ne connaissais que le Quatuor d'Alexandrie.
Après la lecture du texte de Commengé, je ne peux pas dire que j'en connaisse beaucoup plus sur l'homme. Ça va plutôt très vite, d'une place à l'autre, les arrêts sur images sont trop nombreux pour que l'on prenne le temps de bien regarder. On suit l'auteur, une groupie de Durrell, qui cherche à «retrouver» les paysages qui l'ont «constitué». Toute l'entreprise de Commengé repose sur les mots de Durrell : «Tout ce qui sort de moi est un paysage.» Belle phrase, mais qui n'est pas toujours facile à rendre, surtout à l'écrit. Même Durrell le dit : « Aucun peintre n'a pu le rendre et, nous, les faiseurs de mots, nous sommes toujours insatisfaits de nos descriptions. C'est un mystère. » Rendre le paysage en mots, tâche difficile. S'il est vrai que dans le Quatuor, les souvenirs de lecture se rattachent souvent à des atmosphères, des paysages, il est difficile ici de prendre le temps de saisir les paysages décrits par Commengé. J'ai eu la sensation de quelqu'un qui nous montre ses photos de voyage, d'un endroit que l'on n'a jamais visité soi-même. Pour que ces «images» prennent vie, il est nécessaire que le récit nous emporte, nous embarque, afin de faire le voyage avec lui. Ici, le récit du voyage est des plus ordinaires, je dirais même qui m'a souvent ennuyé; le voyage en lui-même est pauvre en découvertes. L'auteur cherche à retrouver les lieux où Durrell à habiter, le chemin qu'il faisait à l'époque pour se rendre à l'école, etc. Et surtout, elle cherche à voir ce que Durrell aurait pu voir, avec l'hypothèse que toute sa littérature serait une tentative de retrouver/recréer ces paysages. Étonnamment, cette idée séduisante s'effrite au fur et à mesure du récit. Je me suis dit que ça ne peut pas être aussi simple. le problème avec le désir de valider une idée comme celle-là, c'est que le reste est moins important, on comprend que presque chaque phrase sert à valider cette hypothèse de départ. Par conséquent, elle s'y tient, nous laissant penser que quelques digressions auraient permis d'ouvrir ce récit sur autre chose. C'est par ailleurs dans ses quelques digressions (pas nombreuses) que j'ai trouvé de très belles analyses sur le paysage et sur le rapport de Durrell avec l'écriture. Mais il en manque, beaucoup.
Comme disait Oscar Wilde : « Il n'y a que deux sortes de gens qui soient vraiment fascinants ceux qui savent absolument tout et ceux qui ne savent absolument rien.» Commengé se trouve entre les deux. Personnellement, il m'a manqué un peu d'exhaustivité. J'ai souvent eu le sentiment que ce récit se basait principalement sur la correspondance de Durrell avec Miller, son ami. C'est comme si Commengé avait fait ses nombreux voyages pour retrouver ce qui avait été écrit dans cette correspondance et qu'elle n'avait rien trouvé en plus, ni sur Durrell, ni sur elle-même.

Étant amatrice de littérature et de voyages, le titre de cet ouvrage m'a incitée à suivre l'auteur dans son parcours- portrait de Durrell a partir des lieux clefs de sa vie et ce qu'il en a dit. Malheureusement Béatrice Commengé est à mon goût trop présente et ses réflexions trop anecdotiques. Par ailleurs j'ai peu goûté les échappées philosophiques. Seuls quelques passages ont ranimé ma lecture devenue poussive au fil des pages. Et finalement je n'ai pas l'impression de mieux connaître Durrell et son oeuvre.