Dites-moi :
le Corbeau Et le Renard, ça vous dit quelque chose, n'est-ce pas ? Et si, par hasard, ce fromage puant, objet de toutes les convoitises, bien avant
La Fontaine, c'était un Anglais qui l'avait remis sur le devant de la scène ? (Qui plus est, un Anglais qui porte le nom d'un athlète canadien convaincu de dopage aux Jeux Olympiques de Séoul, alors là, bravo ! vive la France !)
Si j'insinuais cela, vos yeux prendraient cette teinte indignée que seul engendre le mépris. Vous lèveriez vos bras haut dans les airs dans un mouvement de dépit en vous écriant : « Mais qu'est-ce qu'elle va encore nous piller, cette Nastasia de malheur ! Ça ne lui suffit donc pas d'avoir détroussé
Molière de son Scapin et dépossédé
Corneille de son Cid ?! Faut-il encore qu'elle nous dérobe
La Fontaine ? »
Et franchement, si je l'insinuais, vous auriez raison. Mais je ne l'insinue pas, je l'affirme ! Vous voulez une preuve ? Ok, rendez-vous à la scène 5 de l'acte V. Je cite Volpone : « Pourtant il me semble que vous, si versé dans le monde, judicieux marchand, bel oiseau, Corvino (N. B. : c'est-à-dire " corbeau "), dont le nom seul est comme un symbole moral, n'auriez pas dû chanter votre honte si haut, lâcher votre fromage et laisser le Renard narguer votre sottise ! »
C'est étonnant, non ? Mais je ne lui jette pas la pierre à Jean, ni un pavé dans sa mare à
La Fontaine car si j'avais eu à plagier quelqu'un, j'en aurais fait autant car il est vrai que le Volpone de Jonson est une comédie délicieuse, cuite à point, aux petits oignons : un chef-d'oeuvre d'orfèvrerie culinaire pour gastronome averti. On sait que notre Jeannot national puisait plutôt chez les antiques (en l'occurence, ici, Ésope et Phèdre, mais ce choix, dès la numéro 2 de son recueil, tout de même, il fallût bien que quelque chose l'inspire ou attire spécifiquement son attention sur cette fable et là, là, mes chez amis, moi je vote pour
Ben Jonson. (J'ai peut-être tort, c'est bien possible et ce ne serait pas la première fois, mais je n'arrive pas à me retirer ça de l'esprit.)
Ah !
Shakespeare !
Shakespeare ! L'arbre qui cache la forêt de tout ce succulent théâtre élisabéthain, de toute cette ébullition fantastique, comparable à celle qui agitait l'Espagne au même moment et qui émoustillera la cour du Roi-Soleil une cinquantaine d'années plus tard.
Au fait ! Je ne sais plus si je vous l'ai dit : cette pièce est une merveille ! Il y a partout dans
Volpone Ou le Renard un peu de ce côté fourbe, malsain et manipulateur qui anime le sinistre et machiavélique Iago dans
Othello, mais poussé ici à son paroxysme et avec une volonté comique évidente. La critique sociale n'en est que plus féroce car le rire et le nappage de ridicule sont des tranchants redoutables.
Les cibles principales de
Ben Jonson sont les commerçants, les politiques et surtout, les agents de la Justice, tels que les avocats. Commerçants cupides et sans honneur, politiciens faux et stupides, avocats pourris jusqu'au trognon.
Tout au long de la pièce, Volpone et son acolyte Mosca s'ingénient, avec délectation, à se faire les spécialistes de la flagornerie, de la tromperie, de la dissimulation, dans l'optique d'une extorsion de fonds et de patrimoine aux plus vils rapaces de Venise et ce, en jouant le même jeu qu'eux, plus rapaces, hypocrites et immoraux que tous les autres réunis.
C'est d'ailleurs surtout Mosca qu'on voit à l'oeuvre durant toute la pièce et qui en est le véritable anti-héros (un peu comme on voyait surtout Iago dans
Othello). L'élève saura-t-il dépasser le maître ? C'est ce que je vous laisse le bonheur de découvrir.
Ben Jonson parvient dans Volpone, par son écriture et son rythme, à créer une comédie satirique incroyablement moderne et efficace. Je vous garantis que vous n'avez jamais le sentiment que ce texte fut écris il y a plus de 400 ans. J'en reste bluffée et très impressionnée.
L'auteur utilise des noms d'animaux qui rendent transparent le caractère de chacun des personnages en question (renard, mouche, vautour, corbeau, corneille). Cependant, il utilise des noms à consonance italienne pour ces animaux, pas toujours facile à retrouver pour un public anglophone, et même un peu pour les dégénérés de latins que nous sommes.
Les biologistes qui connaissent la nomenclature latine des espèces s'y retrouveront un peu plus aisément. Volpone vient du latin vulpes qui donna en français goupil, forme déjà très altérée mais ce nom fut au demeurant supplanté, quasi évincé au cours du Moyen-Âge devant le succès d'un goupil nommé Renart dans le célèbre
Roman de Renart.
Mosca vient de musca, nom de genre actuel de la mouche domestique. (Rappelons au passage que Mosquito, à l'origine signifie seulement " petite mouche " et donne le français moustique.) C'est plus facile avec le vautour (Voltore) et les corvidés que sont la corneille et le corbeau (Corbaccio, Corvino).
Ah ! mais j'y pense... Vous ai-je bien dit que cette pièce était fabuleuse ?
« Normal qu'elle soit fabuleuse, me direz-vous, puisqu'elle a été reprise dans une fable, mais ce n'est, là encore, que ton avis Nastasia, fortement teinté de la fougue et de l'absence d'objectivité qui te caractérisent, c'est-à-dire bien peu de chose. Alors va filouter quelqu'un d'autre, nous ne nous y laisserons pas prendre cette fois ! »