Cet essai est d'abord philosophique. Il en a la texture et la couleur, le jargon, et la hauteur de vue qui sied à une analyse dénuée d'émotions. Les références sont nombreuses, mâtinées d'une saveur d'orientation chrétienne, très discrète au début (mais que j'ai reniflé néanmoins), et qui n'est pas gênante parce qu'elle sert le propos en se mêlant aux autres références philosophiques. Pas gênante jusqu'à un certain point cependant, car le dernier chapitre (une crise anthropologique et spirituelle) tourne soudain, et on s'en étonne, au petite traité théologique où le message du Christ prend une surprenante importance dans la crise actuelle. J'avoue que mon athéisme (viscéral, mais tolérant et sans méchanceté) s'est légèrement agacé à ce moment-là et que je me suis un peu forcé pour aller jusqu'au bout du propos.
C'est dommage cette fin à mon sens inappropriée et quelque peu déconnectée du sujet. Mais ce jugement n'est peut-être dû qu'à mon manque de transcendance. Je suis trop simple d'esprit pour adhérer à des propos qui mêlent Dieu à nos misérables problèmes terrestres.
Bref, je me suis trouvé embarqué sans le savoir (à « l'insu de mon plein gré ») à lire deux philosophes chrétiens éclairés, que je ne regrette pas d'avoir lu (malgré mon athéisme viscéral mais tolérant et sans méchanceté…). Mais il est vrai que la fin nous plonge à ma grande stupeur dans une approche de la vie qui n'est pas mienne et qui est toute imprégné du judéo-christianisme le plus ancien. Ainsi est-il écrit comme une manière de conclusion :
« Nous n'avons pour l'heure rien d'autre à faire qu'à souffrir de ce qu'on nous inflige »
ou encore :
« Cette souffrance comme telle n'est toutefois pas vaine. Elle nous tient au plus près de ce qui sauve réellement le monde : non pas telle nouvelle solution technique, ou politique, qui engendrera des problèmes à la mesure de son orgueil, mais garder comme le Christ jusqu'au bout de son calvaire, un coeur de chair, un coeur capable de recevoir comme une blessure notre commune défiguration ».
Ou aussi :
« Aucune révolte contre le nouvel ordre sanitaire ne doit se prendre pour une solution »
Ou enfin :
« Aucune patience face à cet ordre ne peut, sous peine de se transformer peu à peu en résignation, s'épargner d'en souffrir toujours »
Souffrir, souffrir toujours, et même éviter de cesser de souffrir, avec une curieuse définition de la résignation qui serait de renoncer à souffrir. On n'est pas loin ici du martyr chrétien qui déserte l'arène politique au profit de la souffrance rédemptrice (la solution est dans Dieu et avec Dieu et non pas dans l'orgueil du combat politique) et d'une passivité pourtant rejetée comme telle tout au long du livre. Je trouve les auteurs (qu'ils me pardonnent, je ne sais pas ce que je dis…) empêtrés dans leur théologie judéo-chrétienne qui au final débouche sur une contradiction entre la justesse de l'analyse de la crise et le renoncement à la juste révolte que cette connaissance déclenche (chez moi tout au moins).
Malgré tout, l'essai est des plus intéressants et touche juste, très juste même, nous offrant une grille de lecture de la crise que je n'avais pas clairement perçue jusque-là. Il n'est pas possible de la résumer, d'autant plus qu'elle est, comme je l'ai dit plus haut, nimbée de propos philosophiques, certes passionnants parfois, mais qui font perdre aussi à la thèse globale un peu de sa force.
Est ainsi décrite, analysée, décortiquée, la violence de cet ordre sanitaire que les auteurs n'hésitent pas à mettre (à juste titre) dans le registre des dictatures en en donnant une définition simple (de la dictature) tout à fait exact et véritablement indiscutable. Est aussi décrite, analysée et décortiquée de la même manière la société de la méfiance généralisée, de l'autre transformé en menace permanente, de nous-même pourtant en bonne santé également transformé en menace permanente (le mal est à la fois en nous et chez l'autre), de l'ennemi de l'intérieur qui serait celui qui ne respecte pas les règles hygiénistes imposées à tous, etc. Une société qui se nie dans sa définition même, une société qui exclue, rejette, cloisonne, isole, morcelle les individus, les atomise, une société qui interdit de donner du réconfort aux anciens pourtant au seuil de la mort (on pourrait les tuer n'est-ce pas en leur prenant la main pour leur dire une dernière fois qu'on les aime ?) et qui va jusqu'à refuser qu'on assiste à leurs enterrements (même le dernier adieu nous est interdit). J'oublie beaucoup de choses, pardonnez-moi, mais qui prendraient du temps à être écrites, car l'essai est dense.
Et pour quoi tout cela ? Pour la négation de ce qu'est véritablement la vie d'un être humain. Il faut cesser de vivre pour ne pas mourir, renoncer à tout ce qui nous ait donné sur Terre, cesser d'être ce qui est notre essence même, le propre de l'Homme, à savoir la relation, l'ouverture, la confiance, la sociabilité, l'hospitalité. Cette société hygiéniste forcenée, imposée à tous sans discussion, par la contrainte et les punitions, et qui, par la somme de toutes ses interdictions, nous met en réalité en état de mort. Cette société hygiéniste est une société de morts-vivants. En refusant la mort qui est notre lot à tous, nous refusons donc de vivre. Beau résultat, tragique dans ses conséquences comme le montrent les auteurs.
Je me suis demandé jusqu'à quel point les auteurs avaient une connaissance approfondie de la vraie réalité de cette épidémie. Il y en effet un refus de la désignation frontale du mensonge dans lequel nous avons vécu (et que nous revivrons à la prochaine vague). C'est la marque sans doute de cette imprégnation judéo-chrétienne qui est la leur. Pourtant, par petites touches discrètes, de courtes phrases, des parenthèses disséminées ici et là, on comprend que les auteurs sont bien au fait de cette réalité. En vrac, on lit : il y a certes un virus mais ce n'est ni la peste ni le choléra, le virus est contagieux mais peu virulent, la population mondiale n'en mourra pas, seuls les vieux et les malades risquent leur vie, les enfants et leurs parent ne risquent rien, il ne s'agit pas d'une pandémie mais d'une syndémie (le rédacteur du Lancet qui a écrit un article sur la question est même cité), etc. En d'autres termes, les auteurs savent, mais ce n'est pas leur combat ni leur but de le démontrer et d'éclairer la population sur ce point.
Cet essai est à lire pour l'éclairage qu'il donne sur les conséquences néfastes et destructrices de ce que la puissance publique a imposé à la population tout entière sous couvert de bienveillance et de responsabilité et au prétexte de nous sauver malgré nous (car c'est bien connu le peuple est trop inculte pour prendre lui-même des mesures sensées et proportionnées). Il est à lire en complément philosophique d'autres essais plus « politiques », statistiques ou médicales, comme ceux de Muchielli,
Barbara Stiegler,
Laurent Toubiana, etc.