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J'ai lu ce livre en parallèle avec 1984 de Georges Orwell et pendant les annonces de Macron sur le 2ème confinement, puisqu'il l'appelle ainsi... le moral et les nerfs en ont été mis à rude épreuve. Mais quelle force et quelles leçons d'Histoire dans ces témoignages ! Ils nous aident à tenter de comprendre ce qui se passe dans l'Europe orientale, Russie, Biélorussie et Tchétchénie. Pas ou peu de commentaires, juste des témoignages de gens qui pourraient être toi ou moi, si nous vivions là-bas, dans ces contrées marquées par le tsarisme et le stalinisme. On comprend un peu mieux le phénomène Poutine...
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Ceci n'est ni un essai, ni un roman, mais plutôt un recueil de témoignages récoltés et organisés par la journaliste Svetlana Alexievitch entre 1991 et 2012. Elle rencontre toutes sortes de gens, des jeunes et des vieux, des anciens apparatchiks et des anciens dissidents, des nouveaux riches et, surtout, des gens largués par la jungle qu'est devenue la Russie et les anciens membres de l'URSS. Des gens éduqués par le système soviétique et à qui on dit aujourd'hui que tout ce en quoi ils ont cru, c'était du vent, qu'ils ont vécu pour rien. Toutes sortes de thématiques sont abordées, de Staline à la Tchétchénie. On boit beaucoup de vodka, on mange du saucisson, on vend des jeans et on tue à tour de bras.
C'est un livre dur, sans espoir pour l'avenir, mais ça se lit avec passion. Hyper intéressant pour comprendre la mentalité de l'ancien homo sovieticus.
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Il s'agit d'un livre exceptionnel.

D'un côté ce qu'on y lit est connu, attendu, peu surprenant car on connait la vie en URSS, la perestroïka, les années Ieltsine et les années Poutine. Mais la lecture de ces témoignages est édifiante.
Ce livre incarne l'Histoire de ces époques dans l'histoire avec un petit h des gens.
Les récits nous plongent au coeur de la vie dans ce pays pendant ces périodes et on comprend vraiment le désarroi et la détresse des russes sous le régime soviétique mais aussi sous la démocratie!
Les témoignages sont poignants, durs, désespérants et servis par une belle écriture.

Bref à lire absolument.
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Un livre qui vous bouleverse, qui suscite répulsion, dépression, écoeurement mais aussi admiration et respect, assurément un livre dense, pénible mais qu'on oublie plus. Les effroyables histoires vécues de Russes généralement misérables, qui s'entremêlent avec l'Histoire, celle du stalinisme, de la “grande guerre patriotoique” contre le nazisme, du communisme décadent puis de la perestroïka et du capitalisme “à la russe”, tout aussi terrible. L'horreur est partout mais aussi la dignité, l'extraordinaire longanimité du peuple russe. Son « délice de la souffrance et son tour de force mental », sa nostalgie de la tyrannie passée, sa déception de la liberté retrouvée (?) avec la tout aussi cruelle tyrannie du dieu dollar, son regret de l'empire soviétique devant les atrocités des guerres actuelles. Un livre à entamer avec un moral d'acier, sans épreuve personnelle à affronter ! Quoiqu'avec beaucoup de relativisme, la pire des tuiles de nos vies paraîtra une simple contrariété ! Venons-en à l'auteure… Qu'elle soit sur la liste des nobelisables n'est pas surprenant. Dans un style limpide mais puissant, elle met en musique toute la matière qu'elle a recueillie avec un sens de l'écoute, une empathie extraordinaires. Un très grand livre qui suscite une réflexion douloureuse sur notre condition de primates arrogants et incontrôlables. Heureusement que quelques mutants font subsister quelques traces d'amour !
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Illusions et désenchantement : L'exil intérieur des Russes après la chute de l'Union Soviétique.

«Quand Gorbatchev est arrivé au pouvoir, nous étions tous fous de joie. On vivait dans des rêves, des illusions. On vidait nos coeurs dans nos cuisines. On voulait une nouvelle Russie… Au bout de vingt ans, on a enfin compris : d'où aurait-elle pu sortir cette Russie ? Elle n'existait pas, et elle n'existe toujours pas. Quelqu'un a fait remarquer très justement qu'en cinq ans, tout peut changer en Russie et en deux cent ans, rien du tout.»

Svetlana Alexievitch est une oreille et une plume. Après nous avoir fait entendre les témoignages des soldats soviétiques engagés dans la guerre en Afghanistan dans «Cercueils de Zinc» et ceux des habitants de la région de Tchernobyl dans «La supplication», elle nous livre ici les voix du désenchantement des russes qui ont vu leur monde brusquement disparaître avec l'effondrement de l'URSS.

Des hommes et des femmes éduqués pour placer le sacrifice et l'héroïsme militaire au dessus de tout, nourris de la grandeur de leur patrie construite sur la victoire sur le fascisme et la conquête spatiale, victimes des déportations et des tortures, lecteurs infatigables de classiques russes et de samizdat échafaudant chaque nuit des rêves d'idéal et de liberté dans les cuisines, descendus dans les rues en 1991 en croyant à la liberté, sont devenus des étrangers dans leur propre pays, sidérés par la dissolution de leur culture, l'effacement de leur mémoire et l'abîme qui s'est brutalement ouvert entre les générations, sidérés par la spéculation, la misère soudaine côtoyant les appétits de consommation les plus démesurés, et par le pouvoir de corrosion de l'argent.

«Alors la voilà, cette liberté ! Nous attendions-nous à ce qu'elle soit comme ça ? Nous étions prêts à mourir pour nos idéaux. À nous battre pour eux. Mais c'est une vie "à la Tchékhov" qui a commencé. Sans histoire. Toutes les valeurs se sont effondrées, sauf celles de la vie. de la vie en général. Les nouveaux rêves, c'est de se construire une maison, de s'acheter une voiture, de planter des groseilliers… Il s'est avéré que la liberté était la réhabilitation de cet esprit petit-bourgeois que l'on avait pris l'habitude d'entendre dénigrer en Russie. La liberté de Sa Majesté la Consommation. L'immensité des ténèbres. Des ténèbres remplies d'une foule de désirs, d'instincts – d'une vie humaine secrète dont nous n'avions une idée qu'approximative. »

«Avant on allait en prison pour «L'Archipel du Goulag». On le lisait en secret, on le tapait à la machine, on le recopiait à la main. Je croyais, j'étais sûre que si des milliers de gens le lisaient, tout serait différent. Que viendrait le temps du repentir et des larmes. Et que s'est-il passé ? On a publié tout ce qui s'écrivait en secret, on a dit à voix haute tout ce qu'on pensait tout bas. Et alors ? Ces livres se couvrent de poussière chez les bouquinistes. Les gens n'y font plus attention…»

Effondrement intérieur des Russes qui résonne fortement avec les romans de Vladimir Makanine La brèche» ou «Underground ou un héros de notre temps»), tableau complexe et nuancé de la société russe contemporaine qu'on retrouvera dans «La maison haute» de Anne Nivat, «La fin de l'homme rouge», polyphonie des âmes rouges perdues est une lecture fondamentale et bouleversante. Les souffrances et les idéaux de l'homme soviétique ont été engloutis sans mémoire et, de la décomposition du grand corps soviétique, il n'est resté que le dénuement des anciens, les rêves vides d'idéal des nouvelles générations, la violence folle du grand-banditisme et du capitalisme nu, la résurgence des massacres ethniques, et la douleur d'une illusion mort-née.

Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/05/08/note-de-lecture-la-fin-de-lhomme-rouge-svetlana-alexievitch/
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"La fin de l'homme rouge", ou " le temps du désenchantement", est une magnifique fresque, issue de dialogues, d'interviews, d'enregistrements, que Svetlana Alexievitch a collecté pendant des années. Elle a parcouru l'ex immense empire, stylo et carnet en poche, ou posant un magnétophone sur des coins de table de datcha perdue, ou de palais moscovite ; revenant parfois plus tard, quand la parole était difficile. Anciens colonels de l'armée rouge à la retraite, ex prisonniers du goulag, enfants d'apparatchiks, habitants des anciennes provinces soviétiques, mère de milicienne disparue, jeune femme arriviste ne vouant plus son énergie qu'à une cause, la sienne….C'est une formidable immersion dans l'histoire, la géographie, et la sociologie de ce bloc si longtemps fermé.
      Que reste-t-il de l'homo sovieticus  ? Cette histoire est une plongée dans des sortes d'enfer concentriques, se contenant les uns avec les autres. A la différence du totalitarisme nazi, le soviétique fut rallié par des gens idéalistes, pétris de valeurs humanistes, qui acceptèrent pourtant souvent d'avaler des couleuvres, de se soumettre et de collaborer à un régime d'oppression impitoyable. Mais peut-on liquider cette histoire en un jugement si péremptoire ? Cet empire a représenté un espoir pour deux ou trois générations, et a fasciné assez les intellectuels et les révolutionnaires du monde entier, pour qu'ils oublient leur codes des humanités ordinaires, s'en remettant à la promesse de lendemains meilleurs.
 L'auteur n'est pas là pour juger. Mais les témoins le font souvent à sa place, avec colère, regret, émotion, ou amertume. Les victimes dans ces histoires à double ou triple fond deviennent parfois eux mêmes bourreaux, ou complices, ce qui explique embarras, et ambivalence. Beaucoup restent malgré ce qu'ils ont vécu nostalgiques de cet empire qui se faisait respecter, et engendrait chez eux un sentiment de fierté. le ciel tout à coup s'est effondré, disent ils souvent. 
    Nous sommes là dans les années 90, ce moment où l'on casse les statues de Marx et de Staline, où l'on vend sur le marché de Moscou, des médailles militaires et des uniformes de maréchaux. "Etait-ce la peine d'avoir écraser les nazis pour capituler sans combattre, et vendre notre âme à Mac Donald ?" Ils ne reconnaissent plus leur pays, et déplorent que leur idéal ait été bradé contre un rêve en toc, celui du marché capitaliste.  L'état tout puissant qui subvenait à tout, et qui régulait les écarts de richesse, a laissé place à une jungle mafieuse, ultra libérale, bradant les entreprises d'états les unes après les autres, voulant semble-t-il réaliser cette globalité que le communisme rêvait de mettre en place…     Les professeurs constatent désabusés que personne ne s'intéresse plus à la culture classique, à Tolstoï, à Tchekhov... Les autodafés de livres qu'Hitler avait entrepris sont devenus inutiles. Les oeuvres de Marx et de Lenine sont amenés au pilon, à la décharge, victimes du désintérêt total plus que de la police de la pensée. Ce pays qui comptait un nombre extraordinaire d'érudits et d'ingénieurs, est fasciné par les images en toc de l'occident, et se suicide d'une façon inexplicable, en laissant beaucoup de ces citoyens médusés, tétanisés, sur le bord du gouffre, abandonnés par l'état, obligés de faire la manche pour survivre. Si la révolution soviétique fut quelque chose de totalement inédit dans l'histoire du monde, sa chute atypique le fut tout autant.

    «  Je me souviens de cet éclat que les gens avaient dans les yeux au début de la perestroïka. Je ne l'oublierai jamais. Ils étaient prêts à lyncher tous les communistes. Ils étaient prêts à les envoyer dans les camps. Les livres de Maïakovski et de Gorki s'entassaient dans les poubelles. On mettait les oeuvres de Lénine au pilon….J'en ai récupéré…. Oui je ne renie rien ! Je n'ai honte de rien ! Je n'ai pas retourné ma veste, je n'ai pas gratté ma peinture rouge pour me repeindre en gris. Il y a des gens…. Si les rouges arrivent, ils les accueillent à point ouvert. Si c'est les blancs, ils accueillent les blancs…. » (Ilena Iourevna.) . 

   Il faudra un certain temps pour que les supporters de la révolution poussée par Eltsine battent leur coulpe, et s'aperçoivent qu'on les a bien trompés, et que si les supermarchés sont maintenant bourrés de marchandises et de gadgets, bien peu d'entre eux peuvent les acheter. "Comment avez-vous pu être si naïfs ?" Se voient reprocher les anciens communistes, par une jeunesse qui ne connait rien à l'histoire, ne veut pas entendre parler de la révolution de 17. Cette nouvelle génération qui apporte ici aussi son témoignage, et sa vision du pays, veut faire de l'argent rapidement, voyager, prendre du bon temps . Et Pourtant certains arrivistes de la première heure, celle des années 90, où il fallait profiter d'un opportunité inédite, et être filou et malin, pendant que les autres rêvaient, ou ne croyaient pas ce qui se passait, confessent une nostalgie parfois pour le monde d'hier. On se partageait un saucisson dans la cuisine, en discutant littérature, disent ils, émus, évoquant ce passé où la communion et l'entraide étaient la grande richesse. La sainte et grande Russie n'a que faire de ces gadgets et de trop de confort, concèdent ils, en remontant dans leur Mercedes ! Force est de reconnaître dans ces paradoxes les traits allant du comique à la passion exagérée et aveugle, traitant de cette âme russe insaisissable et passionnée, que les grands auteurs Russes ont su exploiter dans la littérature. Ah ! Les cuisines ! Voilà où semble-t-il se logeait l'âme russe, pendant des décennies...L'occidental découvre dans ce livre combien c'était des cocottes minutes de la culture et de socialité. Il semble qu'on ait davantage rêvé de changer le monde dans les cuisines soviétiques, que dans les salons français du dix huitième siècle. Mais la roue tourne, les nouveaux témoins sont contents que Poutine soit un nouveau tsar. Rétablir déjà la dignité du pays, disent il...Il faudra attendre ces dernière années, pour que les objets déclassés de l'ex union soviétique soient de nouveau à la mode, et que les jeunes se remettent à lire « Le capital . En lisant ces témoignages, on réalise que la Russie a vécu en un temps très court, et à un niveau d'ampleur inégalée ce que nous vivons nous mêmes à l'instant  : le glissement insidieux de la culture vers la barbarie, où l'argent roi, et la vulgarité, sapent ce qu'on estimait sacré, et éternel. Cela est parfois si cruel, ou révoltant, qu'on préférerait que cela soit de pures fictions, si improbables, que l'on dirait alors : « Des choses pareilles heureusement ne se passent pas dans la vraie vie »
    Ainsi, on pourrait se croire protégé de l'indicible, de la monstrueuse cruauté des hommes, quel que soit le pays que l'on habite. Étoile entourée de bleu, ou de rouge. Les idéaux ne valent plus grand chose quand la mort semble toute proche, et qu'un pied vous écrase la figure. Il y a heureusement dans ces histoires, la figure du bon samaritain, qui fait reprendre confiance en l'humanité. Cette âme miséricordieuse, qui vous réconcilie avec l'humanité, est présente dans bien des récits de souffrance. On la trouve non seulement dans « La guerre et la paix » de Leon Tolstoï, quand le prince Pierre, promis au poteau d'exécution par les soldats de Napoléon, se voit offrir une pomme de terre par un mendiant tout aussi affamé que lui. Et plus jamais, une fois sauvé, lui qui n'avait jamais manqué de rien jusqu'alors, sa vie ne sera comme avant. Ce sont bien les épreuves, qui révèlent la valeur des hommes !

     Le Dickens des « grandes espérances » me vient autant en mémoire que « Les misérables » de Victor Hugo. La même évocation d' anciens taulards, de réprouvés, qui avaient fait résilience et surent inverser le destin, et donner une caresse, un abri au chien errant, au lieu de lui foutre un coup de pied au ventre. Les contes des mille et une nuits nous avaient déjà prévenu : Combien de princes se sont endormis un soir en un palais luxueux, pour se réveiller au matin, sur un lit de pierres, dans un désert glacé ?  Le désenchantement ressemble parfois à cette « saudade » Portugaise, faite d'un spleen à propos du pays natal qu'on a quitté, dont on n'a pas fait le deuil. le thème de l'exil, de l'exode permanent, à la recherche d'une frontière illusoire, du pays d'après, est constitutionnel de bien des histoires américaines :
     « J'ai toujours envié les gens qui peuvent retourner sur les lieux de leur enfance, ceux pour qu'il existe un endroit où ils se sentent chez eux. » Nous dit, à travers Paul Auster, un certain Timothy Akerman-(Californie). Pour dire que ce livre m'a rappelé le tout aussi bouleversant livre de témoignage de cet auteur américain dans « j'ai cru que mon père était dieu »
      Pour l'ex homme rouge, l'éclatement de l'empire a abouti à la prise de conscience douloureuse qu'il n'était plus question maintenant d'avoir des contacts avec leurs voisins d'avant, cette l'époque où l'homo sovieticus avait aboli les concepts de nationalisme entre les provinces de l'empire. Alors, chacun s'est souvenu qu'il était Arménien, Géorgien. Ou Russe. Ou on leur a rappelé. Les pogroms ont commencé un peu après…C'est alors qu'une des témoins d'Alixievitch auraient très bien pu rencontrer Une de ceux d'Auster, sur une plage du Pacifique...

     «  Tout le monde est parti. Pour sauver sa peau. Nous avions des amis qui vivaient en Amérique, à San Francisco. ...C'était si beau. L'océan est partout. Je passais des jours entiers au bord de la mer à pleurer. C'était plus fort que moi. J'arrivais de la guerre, d'un pays où n'importe qui peut se faire tuer pour une bouteille de lait...Un vieux monsieur marchait sur le rivage. Il disait que la beauté et l'océan, ça guérit. Il m'a consolé longtemps...Les larmes coulaient encore plus fort….Les mots gentils me faisaient pleurer plus que les coups de feu à la maison. Plus que le sang. Mais je n'ai pas pu vivre en Amérique. Je voulais retourner à Douchambé, et si c'était dangereux de rentrer, je voulais vivre le plus près de chez moi. Nous avons déménagé à Moscou  ! »
Un livre qui ne finit pas de raisonner en nous..
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Je viens de terminer La fin de l'homme rouge après toute une semaine de lecture; ces témoignages recueillis patiemment par Svetlana Alexievitch auprès de Russes de toutes origines et de toutes nationalités, après la débâcle du communisme autour des années 1990, me resteront longtemps dans la tête. C'est une brillante idée que d'avoir réuni dans un ouvrage tel que celui-ci les impressions et les souvenirs de ceux et celles qui ont vécu les effets du communisme et de la dictature en URSS, qui ont vu arriver le capitalisme sauvage dans une Russie démantelée et les plus jeunes qui, eux, le désiraient ardemment. L'« avenir radieux» que l'on promettait aux Soviétiques ne s'est jamais réalisé, de même que les bienfaits pour tous que devait entraîner avec lui le capitalisme n'ont été ceux que l'on rêvait. Les témoignages sincères sont empreints de désillusion, d'amertume et de tristesse, d'autant plus qu'ils sont livrés avec une liberté et une candeur qu'on a longtemps refusées à ce peuple malheureux. C'est un livre incontournable pour tenter d'appréhender un peu mieux l'« âme russe ».
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Élue Prix Nobel de Littérature 2015 pour l'ensemble de son oeuvre, Svetlana Alexievitch a travaillé tout au long de sa carrière sur la mémoire de l'ère soviétique en collectant de nombreux entretiens auprès de témoins « ordinaires ». Plus littéraire qu'historiographique, son travail s'intéresse davantage à l'âme humaine qu'aux faits purement historiques : « J'ai toujours été tourmentée par le fait que la vérité ne tient pas dans un seul esprit. Qu'elle est en sorte morcelée, multiple, diverse, et éparpillée de par le monde. (...) Qu'est-ce que je fais ? Je recueille les sentiments, les pensées de tous les jours. Je recueille la vie de mon époque. Ce qui m'intéresse, c'est l'histoire de l'âme. Ce dont la grande histoire ne tient pas compte d'habitude, qu'elle traite avec dédain. Je m'occupe de l'histoire laissée de côté. (...) Il n'y a pas de frontières entre les faits et la fiction, les deux se chevauchent. Même un témoin n'est pas impartial. Quand l'homme raconte, il crée, il lutte avec le temps comme le sculpteur avec le marbre. Il est un acteur et un créateur. » (p. 663-664, extrait du discours de Stockholm lors de la remise du prix Nobel à Svetlana Alexievitch). La fin de l'homme rouge ou le temps du désenchantement réunit ainsi des dizaines d'entretiens collectés depuis les années 1980 après le démantèlement de l'URSS sous l'ère Gorbatchev.

De la fin de l'Homo Sovieticus dont il est ici question, il existe autant d'interprétations qu'il y a de témoins. Parmi les riches entretiens retranscrits par Svetlana Alexievitch, il y a par exemple ceux des fidèles au Parti et ceux qui croyaient à la nouvelle Russie de Gorbatchev. Il y a les témoignages des victimes et ceux des bourreaux. Il y a les témoignages de ceux qui ont choisi. Et de ceux qui n'ont pas choisi. Il y a les récits sur l'utopie communiste et ceux sur la Perestroïka et la Glasnost. Dans cette Fin de l'homme rouge, il est aussi question des goulags, des komsomols, de bonheur perdu mais aussi d'espoirs contrariés, de craintes légitimes ou encore de trahisons infâmes. Entre regrets, colère, révolte, tristesse, nostalgie, amertume et parfois remords, tous ces récits qui ont pour point commun la souffrance, démontrent que l'Homme n'est pas exclusivement conditionné par le Bien OU le Mal mais qu'il est confronté aux deux toute sa vie : qu'il ait (eu) ou non le choix d'arbitrer ses décisions, le « petit homme » auquel s'intéresse Svetlana Alexievitch est « un grand petit homme (...) car la souffrance le grandit. (...) Il raconte lui-même sa petite histoire et, en même temps que sa propre histoire, il raconte la grande histoire » (p. 664). Lecture difficile s'il en est, cette Fin de l'homme rouge a ceci de puissant en ce qu'elle interpelle en chacun de nous. Il ne s'agit donc nullement de visions romantiques exclusivement guidées par l'amour des lettres ou le besoin de création littéraire mais de témoignages concrets dont la collecte n'a été possible que grâce à l'instauration d'une relation de confiance. Aussi, parce que lire est un acte militant, se pencher sur les travaux de Svetlana Alexievitch, c'est faire preuve d'ouverture d'esprit : cela offre d'intéressantes pistes de réflexion sur ce processus qui dicte la mainmise d'une minorité agissante sur la majorité passive. Une lecture éprouvante qui ne manque pas de questionner nos façons de penser et qui doit bousculer nos convictions...
Lien : http://embuscades-alcapone.b..
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Même si, comme moi, on n'y connaît pas grand-chose en guerre froide, en histoire soviétique, etc..., ce livre-témoignage est prenant, bouleversant et édifiant.
Pas un roman, puisque l'auteur (récemment auréolée du Nobel) a ouvert son micro au fil des ans pour recueillir les témoignages des Russes sur leur histoire et leur pays, mais pas un documentaire non plus, puisque rien n'est expliqué, tout est raconté. Donc, on devine (même si une chronologie en début d'ouvrage aide grandement), on se rappelle quelques éléments d'actualités, mais on découvre totalement la vie quotidienne de ces hommes et de ces femmes que le capitalisme a bouleversés.
Le grand talent de cet ouvrage est de parvenir à nous faire comprendre la grande ambiguïté inhérente au communisme et à sa fin : on voulait faire un monde meilleur, "parfait", et pour cela on en est venu à écrire une histoire de l'exil, de la violence, des camps et de l'autoritarisme ; puis, en voulant libérer les peuples de ce joug en courant au capitalisme, on les a condamnés à une extrême pauvreté et à une radicalisation du pouvoir... Où est le bien alors, où est le mal ? Ce livre ne prétend pas apporter la réponse, et c'est tant mieux. C'est d'ailleurs toute sa force : il dessine parfaitement les contours d'une âme slave, des bolchéviques des premiers temps aux jeunes avides de MacDo et Converse, des femmes soumises à leurs hommes dans leurs minuscules isbas aux intellectuelles engagées et pétries de culture littéraire.
Un texte dense et riche, donc enrichissant !
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Des histoires de femmes et d'hommes, des souvenirs, des passions aveuglées ou non, mais jamais indifférentes à ce monde, « même en temps de paix, tout était comme à la guerre », aujourd'hui englouti. « Brusquement, tout a changé autour de nous : les enseignes, les objets, l'argent, le drapeau… Et l'homme lui-même. Il est devenu plus coloré, plus isolé, on a fait exploser un monolithe, et la vie s'est éparpillée en petits îlots, en atomes, en cellules ». Des resurgissements du nationalisme le plus ordinaire ou le plus abject, la déification de Lénine, de Staline ou des Tsars. Les haines tenaces ou nouvelles. le capitalisme rêvé comme marchandises et liberté et ses figures plus sauvages. Les espérances ouvertes ou rabougries et les refus tournés vers des passés recomposés. Sans oublier la grisaille, le Goulag, les famines, les répressions et les quotidiens démolis, rappés, détruits, hier et aujourd'hui…

« L'histoire ne s'intéresse qu'aux faits, les émotions, elles, restent toujours en marge. Ce n'est pas l'usage de les laisser entrer dans l'histoire. Moi, je regarde le monde avec les yeux d'une littéraire et non d'une historienne. »

Une polyphonie qui fait resurgir ces femmes et ces hommes soviétiques, russes, tatars, tchétchènes, azerbaïdjanais-e-s, arménien-e-s, etc. « Nous venons tous de là-bas, de ce pays qui a connu le Goulag et une guerre effroyable. La collectivisation, la dékoulakisation, des déportations de peuples entiers… ». Les mémoires des humilié-e-s, offensé-e-s de ces êtres brisé-e-s, des stalinien-ne-s aussi et leurs réécritures aveugles, des talmudistes du socialisme ou du communisme. Des pensées nostalgiques ou résolument décidées à tourner la page du socialisme réellement existant. le souvenir des déportations, des exils, des violences, des viols, des dénonciations, des enthousiasmes. Des conversations, « à l'intérieur de la prison », « à l'intérieur d'une cellule ». le tournant des années de la perestroïka, le capitalisme réellement existant, les nouvelles dictatures. Des histoires d'amour, de séparation, d'enfance de vieillesse, des histoires de femmes et d'hommes.

Des histoires de jeans, de vodka, de racismes, d'homophobie, de normalité, de sexisme, « des bruits de la rue et des conversations de cuisine », de tanks sous les fenêtres, de bourreaux et de victimes, de cris et de murmures, de « l'aumône des souvenirs et du désir éperdu de trouver un sens », de Prague, de la Hongrie, de l'Afghanistan, de croyant-e-s, « de la cruauté des flammes et du salut qu'on trouve dans les nuages », d'un temps « où tous ceux qui tuent croient servir dieu », de Soljénitsyne. Des histoires « au milieu de nulle part », de solitude et de bonheur, « de l'horreur d'avoir eu cette envie », des appartements moscovites, du « silence de la poussière »…

D'autres pourraient probablement raconter, se raconter, autrement, dans d'autres contrées, dans d'autres réalités confrontées aux rêves et aux cauchemars. « Je vais vous cueillir un bouquet tiens… »

Un livre pour appréhender ce que furent des vies, ce que furent ou sont les souffrances, les reconstructions mentales pour sur-vivre, les lâchetés, les ignominies, les bravoures ou les résistances. Une littérature comme chroniques du temps, comme dessins de mémoires. « Mais il y a de nouveau des dizaines de milliers de gens qui descendent dans la rue. Qui se tiennent par la main. Ils ont des rubans blancs sur leurs vestes. Un symbole de renaissance . de lumière. Et je suis avec eux ».
Lien : http://entreleslignesentrele..
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