Autant l'exprimer d'emblée, les tribulations d'Andreï à la fois physiques, mentales, intellectuelles, et émotionnelles qui sont le sujet, en mode kaléidoscopique de ce récit, m'ont tout à la fois intéressé, agacé, parfois lassé. J'ai perdu le fil assez souvent notamment pendant la deuxième partie consacrée à la vie professionnelle d' Andreï, professeur de littérature à Saint-Pétersbourg, dans une ambiance bien légitimement russe ! matinée de débats qui m'ont paru souvent ésotériques, énigmatiques voire abscons. Ceci a été aggravé , je vous le concède, par ma faible connaissance de la littérature russe contemporaine.
Le paradoxe de cette oeuvre, et aussi sa qualité, réside dans le fait que l'auteur ne laisse jamais longtemps, son lecteur fut il non initié, se perdre dans un abîme de perplexité. J'ai eu en ce qui me concerne l'impression d'être dans un labyrinthe heureusement équipé d'un solide fil d'Ariane ! ou d'être un spectateur regardant un film, dépourvu de plan de coupe, contenant de rares indices permettant de prévoir le plan suivant auquel se raccrocher lorsque l'attention vagabonde, ce qui n'empêche que ce spectateur reste envers et contre tout éveillé et en tension jusqu'à la fin !
A l'image de la vie en zigzag d'Andreï, il ne semble pas avoir ou se donner d'objectif précis, il n'a visiblement pas non plus l'intention de mettre ses oreilles dans le sens du vent. Il reste avec constance idéaliste, sans destination révélée, dans un monde résolument matérialiste, dirigé sans contre-pouvoir clairement établi par l'argent-roi, qui règne grâce à l'individualisme absolu la dévotion au sexe sans lendemain, et s'entretient à peu de frais, au fond par quelques oasis éphémères de paradis artificiels, impropres à produire de la joie durable. En bref, voici illustrée la condition humaine par l'image du pélican maladroit, empêtré, sur terre et pourtant équipé pour le sublime, une fois qu'il a aura réussi à décoller, cette image reviendra à plusieurs reprises dans le récit, fort génialement intitulé "
Il est interdit de nourrir les pélicans !
J'ai particulièrement apprécié la description des villes, qui deviennent de véritables personnages du livre : principalement Londres, Venise, Saint-Pétersbourg,
Paris. L'âme des peuples qui les habitent est subtilement dépeinte. Les personnes que rencontre et qui nourrissent les pensées ou la vie d'Andreï, notamment Katia, ses professeurs, ses collègues, ses amis sont croquées avec réalisme, souvent avec humour et nous sont rendues vivants, nous avons plaisir à les croiser et recroiser au fil du récit. L'imprégnation continue du lecteur dans la « tête » d'Andreï est également structurellement très habilement construite, et bien écrite.
En conclusion,
Andreï Astvatsatourov, nous offre un beau voyage, certes déconcertant, indéniablement original. J'ai trouvé ce voyage à la fois, désespérément optimiste, et fort intéressant par le décentrement qu'il exige de la part du lecteur. J‘ai refermé l'ouvrage en me disant qu'une deuxième lecture me serait nécessaire pour en saisir toutes les nuances.
Je remercie Masse Critique et les Editions Macha pour cette découverte d'un auteur à suivre...