Cette "Histoire globale des
révolutions" est remarquable à plus d'un titre. Par son volume: 1200 pages bien tassées rédigées par des auteur·es remarquables et cosmopolites. Par son ambition de couvrir l'ensemble du globe et une période historique très large enfin.
Comme souligné dans l'introduction, il importe de considérer les
révolutions comme des événements qui, pouvant être rares et exceptionnels, ne peuvent être réduits à cette unique définition. Les
révolutions sont en effet plurielles et sédimentées, et il importe de pouvoir donner la parole à leur protagonistes (qui peuvent porter un regard situés sur ces moments) pour en donner la meilleure définition, d'autant plus que le risque est grand de tomber dans un occidentalo-centrisme lorsqu'il s'agit de comprendre ce qui a ébranlé ces sociétés. Afin de pouvoir comparer les
révolutions entre elles par contre, il importe de montrer, derrière la singularité et la diversités, les mécanismes élémentaires communs et leur inscription dans une certaine temporalité.
En partant de cet objectif de dresser cette histoire mondiale, les différents chapitres de cet ouvrage nous entrainent aux quatre coins du monde, apportant un regard diachronique autant que synchronique permettant d'éclairer des moments
révolutionnaires connus mais également moins connus. On y remonte jusqu'aux
révolutions athéniennes, en passant par les
révolutions médiévales ou les
révolutions amérindiennes des 16ème et 18ème siècle. L'accent est ensuite mis sur les "constellations" de
révolutions, les auteurs entendant par là l'influence qu'il peut y avoir d'un événement à l'autre, parfois aux deux extrémités de la planète, par "circulations
révolutionnaires. Il s'agit de cette manière de mettre en avant les proximités, connexions, résonances et discordances et montrer que les mouvements
révolutionnaires se font écho même lorsqu'ils sont éloignés dans l'espace. La dernière partie de cette Histoire monumentales évoque les conditions et commencement de ces
révolutions, montrant notamment les conditions démographiques ou environnementales menant à des
révolutions, mais aussi l'importance des affects, sensibilités et émotions en
révolutions. Il est y mis en avant les subjectivités (femmes, race, paysanneries). Il est également question des "cosmologies"
révolutionnaires et de la pensée qui forge l'esprit
révolutionnaire, là où il est, pensée ancrée dans le contexte local. le rôle de l'art en
révolution n'est pas laissé de côté, en abordant notamment sa circulation et le rôle de la circulation des arts dans la contamination
révolutionnaire, mais aussi, à l'inverse le rôle des
révolution dans l'effervescence artistique. L'économie des
révolutions, l'étatisation, la violence, la république et le nationalisme sont également traités, de même que l'échec de certaines
révolutions.
En conclusion, les auteur·es insistent sur la "géographie nouvelle et mondiale" que l'ouvrage a dessiné et la pluralité de langues et formes qu'ont pris les
révolutions.
Les auteur·es terminent en citant
David Graeber, anthropologue nord-américain, qui était aussi activiste dans le mouvement altermondialiste des années 2000, et qui avait proposé, dans un essai intitulé revolutions in Reverse (« Les
révolutions à l'envers »), une nouvelle vision de ce que pouvait être une
révolution au xxi siècle compte tenu de l'héritage
révolutionnaire des siècles précédents? : « Il est fort possible que nous nous dirigions vers un moment ou peut-être une série d'événements
révolutionnaires, écrivait-il alors, mais nous n'avons plus aucune idée claire de ce que cela peut signifier. [...] Pourquoi l'idée d'une transformation sociale radicale semble-t-elle si souvent "irréaliste" ? Que signifie la
révolution lorsque l'on ne s'attend plus à une rupture unique, cataclysmique, avec des structures d'oppression? ? » En réponse à ces questions, Graeber invitait les
révolutionnaires à se détacher des conceptions exclusivement insurrectionnelles de la
révolution qui ont dominé l'histoire. Elles subordonnent, déplorait-il, l'exercice de l'imagination populaire au renversement préalable de l'État par la violence. Il en résulte que le problème légué par le siècle dernier serait de savoir comment institutionnaliser la créativité collective sans produire, dans le même mouvement, des structures au moins aussi aliénantes et violentes que celles qui auront été abattues.
Une histoire globale des révolutionsLudivine Bantigny,
Quentin Deluermoz,
Boris Gobille,
Laurent Jeanpierre,
Eugénia Palieraki