Dès les premières pages, Beauvoir présente la prémisse suivante :
«Quelle est la mesure d'un homme? Quels buts peut-il se proposer, et quels espoirs lui sont permis?» (p. 16)
Pour répondre à ces questions, elle se base sur l'histoire du roi Pyrrhus 1er et de son ami «conseiller» Cinéas. Lors d'une discussion entre les deux hommes, Cinéas demande au roi ce qu'il va décider de conquérir après tel territoire. Il lui en nomme un autre. Cinéas lui dit : «Et après?». La discussion continue de cette façon entre les deux jusqu'à la fin où le roi ayant déployé toute sa puissance de conquête, ne sachant probablement plus quoi conquérir, répond qu'il va se reposer. En ce sens, après toutes ses conquêtes, le roi n'a qu'un désir, se reposer. Pour Cinéas, les actions de Pyrrhus apparaissent absurdes car il aurait pu se reposer dès le départ si c'était cela son but ultime. Pour Simone de Beauvoir, toutes nos actions devraient se baser sur une telle réflexion. Et ce paradoxe animant notre condition semble nous dire qu'il faut que nous acceptions cette ambiguïté régissant notre existence. Pyrrhus semble alors représenter l'existence humaine qui se réalise dans l'instant tandis que Cinéas, évoque plutôt le non-sens, l'irrationalité de notre existence, l'absurdité.
Mais encore, pour exprimer sa position, Beauvoir se réfère, entre autres, à la philosophie de son acolyte,
Jean-Paul Sartre et de son essai L'Être et le Néant paru l'année précédente.
Par exemple, la philosophie déployée par Beauvoir se base sur les notions d'homme, de projet, d'existence, de liberté. Ce qui compte le plus pour la philosophe, c'est la liberté.
«[…]; l'homme a à être son être; à chaque instant il cherche à se faire être, et c'est cela le projet. L'être humain existe sous forme de projets qui sont non projets vers la mort, mais projets vers des fins singulières. Il chasse, il pêche, il façonne des instruments, il écrit des livres: ce ne sont pas là des divertissements, des fuites, mais un mouvement vers l'être; l'homme fait pour être. » (p. 60)
Et le projet est libre, tout comme autrui.
La philosophe dans la première partie exprime les bases de «cet après» pour l'homme par le biais du recours «Au jardin de Candide», à «L'instant», «L'infini», «Dieu», «L'humanité» et «La situation».
Dans la deuxième partie, elle soulève des éléments comme «Les autres», «Le dévouement», «La communication»et «L'action», car l'être humain n'est pas seul dans l'univers. L'homme est libre au moment où il accepte sa finitude et qu'il reconnaît l'autre dans sa liberté d'être. Et, dans sa conclusion, Beauvoir mentionne :
«L'homme ne connaît rien d'autre que lui-même et ne saurait même rien rêver que d'humain : à quoi donc le comparer? Quel homme pourrait juger l'homme? Au nom de quoi parlerait-il? » (p. 115)
Dans un article fort intéressant que j'ai retrouvé sur le Web, la critique mentionne
La force de l'âge où
Simone de Beauvoir aborde sa pensée exprimée dans
Pyrrhus et Cinéas :
«Ce dialogue entre
Pyrrhus et Cinéas rappelle celui qui se déroula de moi-même à moi-même et que je notai sur mon carnet intime, le jour où j'entrai dans ma vingtième année; dans les deux cas, une voix demandait : «À quoi bon?» En 1927, elle avait dénoncé la vanité des occupations terrestres au nom de l'absolu et de l'éternité ; en 1943, elle invoquait l'histoire universelle contre la finitude des projets singuliers: toujours elle invitait à l'indifférence et à l'abstention. Aujourd'hui comme hier la réponse était la même : j'opposai la raison inerte, au néant, au tout l'inéluctable évidence d'une affirmation vivante. S'il me parut si naturel de me rallier à la pensée de Kierkegaard, à celle de
Sartre, et de devenir «existentialiste», c'est que mon histoire m'y préparait ; dès l'enfance mon tempérament m'avait portée à faire crédit à mes désirs et à mes volontés; parmi les doctrines qui intellectuellement m'avaient formée, j'avais choisi celles qui fortifiaient cette disposition; déjà à dix-neuf ans, j'étais persuadée qu'il appartient à l'homme, à lui seul, de donner un sens à sa vie, et qu'il y suffit; cependant je ne devais jamais perdre de vue ce vide vertigineux, cette aveugle opacité d'où émergent ses élans […].»
J'ai toujours été très intimidée par les concepts beauvoiriens ou sartriens.
Simone de Beauvoir m'intimide profondément en raison de sa grande intelligence. Encore maintenant… Je crois que cela remonte à mes années universitaires où j'avais lu ceci :
«Je suis trop intelligente, trop exigeante et trop riche pour que personne puisse se charger de moi entièrement. Personne ne me connaît ni ne m'aime tout entière. Je n'ai que moi».—-
Simone de Beauvoir,
Cahiers de Jeunesse (1926-1930)
Avez-vous lu cet essai? Qu'avez-vous pensé de mon billet?
https://madamelit.ca/2024/03/25/madame-lit-
pyrrhus-et-cineas-de-simone-de-beauvoir/
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