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EAN : 9782070322879
192 pages
Gallimard (12/02/1985)
3.46/5   109 notes
Résumé :
« Si un homme attribue tout ou partie des malheurs du pays et de ses propres malheurs à la présence d'éléments juifs dans la communauté, s'il propose de remédier à cet état de choses en privant les juifs de certains de leurs droits ou en les écartant de certaines fonctions économiques et sociales ou en les expulsant du territoire ou en les exterminant tous, on dit qu'il a des opinions antisémites. Ce mot d'opinion fait rêver... » Jean-Paul Sartre.
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1946, on a fêté la victoire et les assassins courent encore.

“La France entière se réjouit ou fraternise dans les rues …
Va-t-on parler des Juifs ?
Va-t-on saluer le retour parmi nous des rescapés …
Pas un mot. Pas une ligne dans les quotidiens. C'est qu'il ne faut pas irriter les antisémites.”

UN TAS DE QUESTIONS

Avec la “question juive”, c'est en fait un tas de questions qui sautent aux yeux, mais comprenez qu'elles tombent mal, dans ce moment d'unité nationale. Elles tombent toujours mal en fait …

Et puis, comment pouvez-vous parler à la place des juifs ? de quoi je me mêle ? On s'inquiète pour rien.

Aujourd'hui, on peut entendre que “le judaïsme doit beaucoup à l'antisémitisme puisqu'il s'est construit en réagissant à la haine dont il a été victime”. (** J'ai fait ici un détour par l'interview de Delphine Horvilleur - en juin 2023 - Letemps.ch- “Le texte ne dit que ce qu'on lui fait dire”)

Malgré le dilemme imposé aux juifs, certains revendiquaient leur judaïsme et en même temps l'identité nationale. Eux seuls pouvaient encore parler du « coeur du judaïsme »** (l'expression est de Horvilleur)
D'autres, plus nombreux, ne voulaient plus en parler. Et alors que leur judaïsme devenait indicible, ils.elles embrassaient à corps perdu l'identité nationale.

C'est tout ça à la fois que Sartre découvre comme une « identité de situation » produite par la situation elle-même, et aussi mouvante qu'elle. Comme il peut dire aussi que l'existence précède l'essence. Comme “le texte ne dit que ce qu'on lui fait dire” ** (cf Horvilleur au-dessus).

Comme un antisémite voudrait passer pour un roc dans sa “certitude fulgurante”, alors qu'il.elle n'est que le produit de générations qui lui ont appris qu'il.elle était un.e bon.ne français.e de souche.
Mais s'il.elle est aussi sérieux.se dans sa haine des juifs, qu'il.elle est léger.e dans ses arguments irrationnels, c'est qu'il.elle fait un choix libre d'une certaine conception du monde.
Qu'il.elle se trouve maintenant concentré.e devant un mathématicien juif, « et l'antisémite qui suit son raisonnement devient, en dépit de ses résistances, son frère. » (sa soeur).

Sartre dessine un long portrait de l'antisémite qui invite le public à se poser une seule question :
Si je ne corresponds pas à ce portrait, serais-je capable de “lever le petit doigt pour empêcher de violenter les juifs ?”

Il faut questionner en effet celui ou celle qui se dit “démocrate”, mais qui peine à se distinguer de l'antisémite. C'est que l'individu singulier-universel qu'il.elle conçoit n'a concrètement aucune singularité. Il.elle se veut libéral.e à condition que la politique rende impossible une “conscience juive” ou de la même façon une “conscience de classe”, etc…
L'assimilation des individus par abstraction des singularités, voilà son programme.
Sartre invite son public très rationnel à refuser de considérer le rationalisme comme “un pur jeu d'abstractions”.

“Ce sont nos paroles et nos gestes, notre antisémitisme, mais tout aussi bien notre libéralisme condescendant, qui ont empoisonné le Juif jusqu'aux moelles ; c'est nous qui le contraignons à se choisir juif, soit qu'il se fuie, soit qu'il se revendique, c'est nous qui l'avons acculé au dilemme”

Évidemment, dans un État de droit, “pas un Français ne sera libre tant que les Juifs ne jouiront pas de la plénitude de leurs droits”.
Et d'un autre côté, « on peut accumuler les décrets et les interdits : ils viendront toujours de la France légale et l'antisémite prétend qu'il représente la France réelle.”

C'est donc à une révolte plus profonde qu'il faut réfléchir.
“Les vrais Français, les bons Français sont tous égaux car chacun d'eux possède pour soi seul la France indivise.”
“Ce qui fonde la vertu de l'antisémite c'est l'assimilation des qualités déposées par le travail de cent générations sur les objets qui l'entourent, c'est la propriété”. (Il possède l'identité par assimilation de l'avoir à l'être. L'identité est possédée.)

MILITER et RÉFLÉCHIR

Il faut dire que Sartre a du style. Qu'on n'aime ou qu'on n'aime pas, on peut remarquer sa diversité d'approches ; celle du philosophe, du théoricien politique, du romancier, etc…
J'aurai beaucoup de plaisir à tenter de décrire son style, car il me paraît très inspirant.
Certes, en faisant deux choses à la fois, militer et réfléchir, il accuse nécessairement un décalage par rapport à l'évènement. En outre, on estimera ses jugements insuffisamment réfléchis, ou carrément irréfléchis, peut-être. Il tombera sur un os, ce sera trop sommaire ou il faudra tout reprendre, peut-être.
Mais précisément, il décomplexe.

Philosophe, Sartre réserve ses longs développements à d'autres livres ; mais on retrouve ici l'importance d'étudier les questions en situation. Il porte un regard phénoménologique qui doit mettre en suspens une sorte de vérité naturelle trop évidente, quitte à se contenter de “vérités plus fragmentaires mais plus précises”.
L'existence précède l'essence. On ne peut rien être sans jouer à l'être, ou à ne pas être. Nous sommes condamnés à être libres. L'Autre entre et je ne m'appartiens plus. Ces pensées sont omniprésentes. (Être-en-soi, être-pour-soi, être-pour-autrui).
Dans sa phase militante, Sartre assume le fait de suspendre les questions métaphysiques, mais c'est pour les reprendre plus tard, une fois libéré des questions sociales et politiques urgentes.

Théoricien politique, Sartre est connu pour ses expériences hasardeuses avec la pensée marxiste. Elle est reconnaissable dans ce livre, et loin d'être inintéressante. Disons qu'il y a bien une tendance à arrêter la pensée dans un état idéal. L'authentique après l'inauthentique, et finalement la libération avec la disparition du dilemme. Sartre dépeint très bien la duplicité des personnages, mais elle n'est pas infinie ; chacun.e vit avec ses contradictions, mais doit toujours agir.
Au-delà de l'homme, il voit la finalité vivante comme « un projet aveugle et rusé », et ne voit pas bien que l'être vivant mute imperceptiblement, et non sans risques, pour s'éclater au monde comme un malade (condamné à être libre). L'homme fait-il autre chose ? Contrairement à d'autres, Sartre revendique faiblement son spécisme. Il y a une générosité, un optimisme foncier, qui laisse toujours une ouverture.

Romancier, Sartre dessine ici, non pas des personnages de fiction, mais plutôt des persona en train de jouer à être ou ne pas être, comme ils le font dans la réalité.
L'antisémite joue à être un roc haineux. « Il lit dans les yeux des autres une image inquiétante qui est la sienne et il conforme ses propos, ses gestes à cette image. » ;
Le démocrate joue à être l'Homme Universel qui va de soi ;
Le juif inauthentique joue à n'être pas juif ;
Le juif authentique joue au stoïcien « marqué d'une nature et d'une destinée qui le dispense de toute responsabilité et de toute lutte ».
Aucun n'est fou (ou totalement fou), tous font des choix libres « qui engagent toute leur personne ». Ce qui crée nécessairement des ouvertures ; les choses pouvant tout à fait se dénouer dans la chambre à coucher (dans l'intimité du vivant).

AUJOURD'HUI

Sartre ne traite que de la situation des juifs français en 1946. Mais sa manière de militer et de réfléchir est inspirante dans d'autres situations ; comment redonne t'il vie à des questions tout à fait communes ?
Faire entendre ses différences. Faire face (ou faire fuir la machine). Se défaire des jeux abstraits, des mystiques nationales (et autres rapports toxiques).

Si Sartre s'attarde sur l'inquiétude existentielle des juifs, c'est qu'elle est la prémisse qui peut et qui doit, selon lui, se transformer en révolte.
Le démocrate sera alors forcé de bouger - on imagine que c'est déjà le cas en lisant ce livre - alors que pour l'heure on voit bien son apathie. Sans parler de l'antisémite qui ne bougera jamais ou sinon par la force des choses.
Sur le fond, disons-le tout de suite, Sartre ne parle pas à la place des intéressés, notamment au sujet de l'Etat d'Israel (pas encore proclamé). Pour les juifs français, c'est un choix possible (une alternative). ***

On trouverait plusieurs points communs avec l'analyse que Hanna Arendt a faite sur la situation des réfugiés juifs aux Etats-Unis en 1943. (« Nous autres réfugiés »).
Le fait, pour un assez grand nombre de juifs, de renoncer à leur judaïsme, rappelait trop à Arendt et à Sartre les prémisses d'un régime totalitaire. Les visions sont tranchées, et aucun des deux n'a vu que les “chemins de fuite” ont aussi le pouvoir de dégonfler imperceptiblement toutes les machines assimilatrices. Il y a des mutations existentielles ou une “puissance créatrice” différente de celle que Sartre voit en pleine lumière. Peut-être est-ce le rationalisme dont il parlait, celui qui sort des limites du “pur jeu d'abstractions” ?

Aujourd'hui, on dirait que Sartre et Arendt ont été alarmistes puisque la situation des juifs a fini par s'améliorer. Mais comment faire pour prévenir l'émergence d'un nouveau phénomène totalitaire, autrement qu'en se révoltant à chaque fois qu'on doit faire taire sa différence ?
(Et comment faire autrement pour aussi prévenir l'émergence d'une forme catastrophique de développement séparé ?)

En observant l'antisémite, Sartre trouve plusieurs fois le raciste. D'une part ils.elles revendiquent en commun une sorte de propriété indivise de la « France réelle ». C'est à cette mystique nationale qu'on a associé le mot naturaliser.
D'autre part, ils.elles ont une haine de celles et ceux qu'ils voient comme une mauvaise « race » qui se perpétue. le projet commun de l'antisémite et du raciste c'est l'extermination.

C'est dire, en passant, comment l'idée de nature est en mauvaise posture. Comment ne pas s'étonner que cette nature-là soit réellement « empoisonnée jusqu'aux moelles » ? (Si Sartre s'était arrêté sur la situation écologique, il n'aurait pas pu dire autrement).

Aux autres points d'intersection de l'antisémitisme, Sartre trouve la haine envers les femmes avec des détails glaçants. Mais on est à peine surpris de la part de l'antisémite, tant il peut voir dans la féminité un “avatar de la différence”. ****

NOTES :

*Jean-Paul Sartre, Réflexions sur la question juive. 1946
https://fr.scribd.com/document/301216364/Jean-paul-Sartre-Reflexions-Sur-La-Question-Juive

**Delphine Horvilleur - interview juin 2023 - Letemps.ch- « Le texte ne dit que ce qu'on lui fait dire »
https://www.letemps.ch/societe/egalite/delphine-horvilleur-texte-ne-dit-quon-lui-dire

*** Il n'y a aucune évocation d'une question israélo-palestinienne dans ce livre, qui, encore une fois, se concentre sur la situation des juifs français. (En 1967, Sartre se rend sur place pour prendre la mesure de la situation.)

**** “avatar de la différence”. J'ai emprunté l'expression à Barbara Cassin dans “L'effet sophistique”. J'ai d'ailleurs été frappé de voir comment l'expression de Horvilleur « le texte ne dit que ce qu'on lui fait dire », répondait à l'expression sophistique : l'être n'est qu'un effet de dire.
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Sartre a écrit ce livre à la fin de la deuxième guerre mondiale, en se focalisant principalement sur l'antisémitisme français et chrétien. Sa première démarche est de démontrer que l'antisémitisme n'est pas une opinion mais une passion. Dans ce mot d'opinion il entend une signification assez stricte en excluant tout goût irrationnel, qui ne se base sur rien de concret et dont on ne peut pas débattre. Un antisémite est avant tout un être passionné à qui on ne peut pas faire entendre raison. le but de Sartre est bien sûr d'empêcher les antisémites de se réfugier derrière la liberté d'opinion. Cette acception du mot d'opinion aurait mérité, à mon avis, un plus large développement qui aurait pu déboucher sur des questions essentielles, sur le droit et même sur une certaine « moralité démocrate ». Mais Sartre a préféré faire du Sartre, c'est-à-dire de la psychologie synthétique et l'essentiel du livre est consacré à la description psychologique de l'antisémite, puis du juif. Ainsi, on apprendra que l'antisémite est non seulement un être passionné et irrationnel, mais aussi un homme qui refuse d'envisager sa condition humaine. L'antisémite a peur de ses responsabilités et de sa solitude. Quant au juif, il est surtout juif à cause du regard porté sur lui : « le juif est un homme que les autres hommes tiennent pour juif ». Toutes ces descriptions psychologiques sont loin d'être dénuées d'intérêt et je les crois assez justes. Seulement, elles pourraient être appliquées à un grand nombre d'hommes et de femmes pas forcément antisémites ou juifs. Ses portraits à charge ne nous disent rien de fondamental sur l'antisémitisme. Alors, finalement, quelle est la réponse de Sartre à la question juive ? A long terme, pour qui connait l'idéologue Sartre, sa solution n'a rien de surprenante. A court terme, l'éducation et la répression étant insuffisantes, il préconise la constitution d'une « ligue » pour défendre les juifs et la solidarité de tous ceux qui ne sont pas antisémite, car : « Pas un français ne sera en sécurité tant qu'un Juif, en France et dans le monde entier, pourra craindre pour sa vie. » Un essai qu'il faut lire mais remettre dans son contexte. Il a été écrit à la fin de la deuxième guerre mondiale et concerne particulièrement l'antisémitisme français et chrétien. La situation des juifs n'a pas évolué depuis cinquante ans, elle s'est métamorphosée et beaucoup de réflexions de Sartre sur les juifs ne sont plus du tout valables à notre époque. Sartre effleure, parfois, des questions sur la constitution des communautés, l'exclusion ou le rapport à soi et aux autres qui mériteraient aujourd'hui d'être approfondies.
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Certes, Sartre ne se livre à aucune méditation sur la Shoah dans ce livre écrit en 1946 - peu différent en cela de ses contemporains.
Certes encore, il ne connaît manifestement ni l'histoire du peuple juif, ni sa culture, ce qui l'amène à dire que le Juif est le simple produit de l'antisémitisme.
D'où sa solution : supprimons l'antisémitisme (en bâtissant la "société sans classes"), et le "problème juif" disparaîtra de lui-même.
Ces bémols énoncés, il y a quand même de belles choses dans ces "Réflexions".
L'analyse de l'antisémitisme y est lumineuse : c'est la peur (de la modernité, de l'autre, de l'étranger) qui explique l'antisémite.
Il y critique également (en contradiction avec lui-même, d'ailleurs), l'assimilationnisme démocratique, qui ne voit dans le Juif que l'homme et lui demande purement et simplement de s'intégrer.
Et puis, comme toujours chez Sartre, à côté des systèmes idéologiques (il s'est pratiquement toujours trompé !), ces fulgurances de style et de pensée...
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Sartre a t'il bien fait de rédiger ce texte sur la question juive ? La réponse est oui…
Une analyse construite d'une communauté, d'une religion, d'un groupe social si précise qu'en réalité je ne peux pas rajouter grand chose.. Cependant je me dois d'informer le lecteur de ce qu'il peut trouver dans ce texte, dans ces questions qu'en se posant à lui-même, Sartre y interroge l'humanité.
Il y a plusieurs points que j'aimerais aborder dans cette critique car je ne souhaite pas faire un résumer limpide d'une oeuvre aux réflexions vastes et personnelles mais tout simplement émettre mes idées par rapport aux théories développées par J-P.S. Tout d'abord, le lecteur ne doit pas se décourager par rapport au contexte historique. Certes le livre a été écrit pendant la seconde guerre mondiale néanmoins je le trouve d'une actualité frappante ce qui témoigne toujours autant de la force de cet auteur: être actuel. Sartre parle en effet dans son livre d'un grand combat, je nomme ici: L'anti-anti-sémitisme. Car en réalité où qu'il se trouve et importe sa position par rapport au judaïsme, le juif n'est fait que par l'antisémite. Sartre répond alors au méchant Céline que l'antisémitisme n'est pas une affaire d'opinion. Et il a bien raison. Les antisémites se cachent derrière leurs barrières sociales et l'effet de groupe. Ça n'est pas une opinion c'est une exclusion. Les juifs, persécutés depuis toujours le sont alors à cause de « ragots » que dévoilent sans soucis les antisémites. le juif est alors bafoué et doit affronter un monde où il n'a sa place nulle part. « Sa vie n'est qu'une longue fuite devant les autres et devant lui-même ». Rien n'est aussi vrai. Partout où qu'il soit le juif est traqué et J-P.S pose la sérieuse question de comment tuer l'antisémite ? Les réponses demeures toujours imprécises mais c'est ensemble que nous devons accompagner ce combat « Pas un français ne sera en sécurité tant qu'un juif pourra craindre pour sa vie ». Sartre prolonge plus explicitement son travail qu'il avait débuté dans L'enfance d'un chef, ( voir le mur, 1939 ) et démontre encore qu'il est un écrivain et philosophe d'élégance. Quelques redites assez récurrentes sans êtres gênantes m'empêche de mettre une meilleure note, je recommande tout de même ce traité à n'importe qui.
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Rédigé par Sartre en 1944, moment charnier où la France vient d'être libérée mais que l'horreur des camps n'a pas encore été révélée. Sartre, dans cet ouvrage, ne souhaite pas disserter sur le judaïsme qu'il ne prétendait pas connaître mais sur l'antisémitisme qui venait de prendre forme et qui avait découlé sur les persécutions de Vichy. de plus, il réalise ce livre puisqu'il a fait le constat navrant que cet antisémitisme ne s'est pas arrêté à la Libération. Ses derniers mots sont, en effet, un appel à réfléchir à cette discrimination puisque l'antisémitisme « n'est pas un problème juif: c'est notre problème ». Sa thèse principale est de démontrer que « le juif » est une créature de « l'antisémite ». Il faut donc étudier l'antisémitisme non du côté des juifs mais de leur persécuteur, l'antisémite. Il affirme ainsi que pour mettre un terme à l'antisémitisme, ce n'est pas le Juif qu'il faut changer mais l'antisémite. Il dresse ainsi le portrait de ce dernier dans un chapitre que j'ai trouvé vrai, caustique et pertinent encore aujourd'hui. Néanmoins, les autres chapitres m'ont moins convaincus car il dresse le portrait du démocrate et du juif. Ces portraits m'ont parus très réducteurs, simplistes et pas très pertinents. D'autant qu'il use de termes, à mon avis, trop généralistes et superficiels. Cependant, cet essai, en beaucoup d'aspects, reste d'actualité et peut s'appliquer, à mon avis, à toutes personnes victimes de discrimination.
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Ainsi, le Juif est en situation de Juif parce qu'il vit au sein d'une collectivité qui le tient pour Juif. Il a des ennemis passionnés et des défenseurs sans passion. Le démocrate fait profession de modération ; il blâme ou admoneste pendant qu'on met le feu aux synagogues. Il est tolérant par état ; il a même le snobisme de la tolérance, il l'étend jusqu'aux ennemis de la démocratie : ne fut-il pas de mode, dans la gauche radicale, de trouver du génie à Maurras ? Comment ne comprendrait-il pas l'antisémite. Il est comme fasciné par tous ceux qui méditent sa perte. Et puis peut-être a-t-il au fond de lui-même comme un regret de la violence qu'il s'interdit. Et surtout la partie n'est pas égale : pour que le démocrate mît quelque chaleur à plaider la cause du Juif, il faudrait qu'il fût manichéiste lui aussi et qu'il le tînt pour le Principe du Bien. Mais comment serait-ce possible ? Le démocrate n'est pas fou. Il se fait l'avocat du Juif parce qu'il voit en lui un membre de l'humanité ; or, l'humanité a d'autres membres qu'il faut pareillement défendre, le démocrate a fort à faire : il s'occupe du Juif quand il en a le loisir ; l'antisémite n'a qu'un seul ennemi, il peut y penser tout le temps ; c'est lui qui donne le ton. Vigoureusement attaqué, faiblement défendu, le Juif se sent en danger dans une société dont l'antisémitisme est la tentation perpétuelle. Voilà ce qu'il faut examiner de plus près.
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L'homme sensé cherche en gémissant, il sait que ses raisonnements ne sont que probables, que d'autres considérations viendront les révoquer en doute ; il ne sait jamais très bien où il va ; il est « ouvert », il peut passer pour hésitant. Mais il y a des gens qui sont attirés par la permanence de la pierre. Ils veulent être massifs et impénétrables, ils ne veulent pas changer : où donc le changement les mènerait-il ? Il s'agit d'une peur de soi originelle et d'une peur de la vérité. Et ce qui les effraie, ce n'est pas le contenu de la vérité, qu'ils ne soupçonnent même pas, mais la forme même du vrai, cet objet d'indéfinie approximation. C'est comme si leur propre existence était perpétuellement en sursis. Mais ils veulent exister tout à la fois et tout de suite. Ils ne veulent point d'opinions acquises, ils les souhaitent innées ; comme ils ont peur du raisonnement, ils veulent adopter un mode de vie où le raisonnement et la recherche n'aient qu'un rôle subordonné, où l'on ne cherche jamais que ce qu'on a déjà trouvé, où l'on ne devient jamais que ce que déjà, on était. Il n'en est pas d'autre que la passion. Seule une forte prévention sentimentale peut donner une certitude fulgurante, seule elle peut tenir le raisonnement en lisière, seule elle peut rester imperméable à l'expérience et subsister durant toute une vie.
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je me refuse à nommer opinion une doctrine qui vise expressément des personnes particulières et qui tend à supprimer leurs droits ou à les exterminer. Le Juif que l'antisémite veut atteindre, ce n'est pas un être schématique et défini seulement par sa fonction comme dans le droit administratif ; par sa situation ou par ses actes, comme dans le Code. C'est un Juif, fils de Juifs, reconnaissable à son physique, à la couleur de ses cheveux, à son vêtement peut-être et, dit-on, à son caractère. L'antisémitisme ne rentre pas dans la catégorie de pensées que protège le Droit de libre opinion.
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[…] Pour nous, l’homme se définit avant tout comme un être « en situation ». Cela signifie qu’il forme un tout synthétique avec sa situation biologique, économique, politique, culturelle, etc. On ne peut le distinguer d’elle car elle le forme et décide de ses possibilités, mais, inversement, c’est lui qui lui donne son sens en se choisissant dans et par elle, Être en situation, selon nous, cela signifie se choisir en situation, et les hommes diffèrent entre eux comme leurs situations font entre elles et aussi selon le choix qu’ils font de leur propre personne. Ce qu’il y a de commun entre eux tous n’est pas une nature, mais une condition, c’est-à-dire un ensemble de limites et de contraintes : la nécessité de mourir, de travailler pour vivre, d’exister dans un monde habité déjà par d’autres hommes. Et cette condition n’est au fond que la situation humaine fondamentale ou, si l’on préfère, l’ensemble des caractères communs à toutes les situations.
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Pas un Français ne sera en sécurité tant qu’un juif, en France et dans le monde entier, pourra craindre pour sa vie.
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Jean-Paul Sartre fut l'instigateur d'une forme de psychanalyse existentielle originale peu discutée jusqu'alors. Il existe actuellement de nombreuses techniques de psychothérapie et il n'est pas toujours facile de s'y retrouver. Aussi, l'auteur résume-t-il ici dix principales formes de psychanalyse pratiquées dans le monde, y compris la psychanalyse existentielle de Sartre dont il s'est inspiré dans diverses situations cliniques à l'hôpital psychiatrique. Ces recherches innovantes, qui nous révèlent un « autre Sartre », relèvent ici de l'hommage et du devoir de mémoire et remettent en question certains concepts orthodoxes dominants. Elles portent aussi un regard critique sur cet ensemble très hétéroclite depuis ses tout débuts que l'on nomme à tort « La » psychanalyse.
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Crédit : Ariane, la prise de son, d'image et montage vidéo
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