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EAN : 9782081445437
208 pages
Flammarion (06/03/2019)
4.29/5   7 notes
Résumé :
« L'histoire de mon grand-père se fond dans celle du XXe siècle. Né à Rovno, en 1903, dans une famille juive et profondément russe, il a entendu, enfant, ses parents discuter à voix basse de l'influence de Raspoutine sur la tsarine. Plus tard, il s'est battu contre les miliciens de Petlioura, est parti pour échapper aux pogroms, a construit des maisons à Tel-Aviv et s'est engagé dans l'armée française. Puis il a longtemps mené la vie simple d'un artisan parisien qui... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Lorsque le 5 septembre dernier j'ai lu et chroniqué de Yehuda Koren et Eilat Negev la biographie tragique de la poétesse Assia Wevill, c'était la première fois que j'entendais ce prénom. Dans l'ouvrage de Marguerite Bérard, l'Assia du titre est celui d'un homme, son grand-père. L'explication tient, en fait, au lieu de naissance du "Papi Assia" , comme l'auteure l'appelle affectueusement, Rovno, l'actuelle Rivne en Ukraine, à 330 kilomètres de Kiev et presque 500 de Varsovie.
Assia est donc un prénom typiquement juif de l'Europe de l'Est bizarrement donné aux 2 sexes. En fait, c'est le diminutif de Menashe, son prénom de naissance.
Il existe aussi une jeune femme arabe en Ontario au Canada qui se nomme Assia Beauty, mais cela est évidemment une tout autre histoire.

Avant d'entamer quelques épisodes dans la longue existence de Menashe Bat Genstein (son nom de baptême) un mot sur sa petite-fille et auteure.

Marguerite Bérard a un curriculum à rendre jaloux la plupart de nous autres, simples citoyens. Major de sa promotion à l'ENA, 2002-2004, à 26 ans, et après des diplômes à l'IEP (Institut d'Études Politiques) de Paris et l'université de Princeton aux États-Unis, la 6e meilleure du globe (selon le classement officiel qui vient d'être publié). Chose plutôt rare, ses parents sont aussi des énarques : son père, Jean-Michel, a été préfet et sa mère, Marie-Hélène Bérard-Genstein, a été conseillère de Simone Veil, Raymond Barre et Jacques Chirac.
Pour ne pas rompre une bonne tradition, l'auteure s'est mariée avec un énarque, Thomas Andrieu, directeur des libertés publiques et affaires juridiques du ministre de l'Intérieur.
Le couple a 2 enfants, des garçons de 9 et 5 ans.

Après l'inspection générale des finances, Marguerite Bérard devient conseillère aux affaires sociales à l'Élysée, puis chef de cabinet du ministre du travail, ensuite la n° 2 à la BPCE (Banque populaire et Caisse d'épargne), pour être nommée, cette année-ci, à la tête de la direction France du groupe bancaire BNP Paribas.

Toutes ces promotions n'ont pas empêché la jeune banquière (née en décembre 1977) à publier en mars 2019 l'histoire de son grand-père. Il est vrai qu'elle a écrit le plus gros dans les aéroports, à bord d'avions lors de vols longue distance et dans les hôtels, le soir. L'auteure explique qu'il ne s'agit pas d'un récit historique à proprement parler, puisque basé sur la mémoire orale et un texte d'Assia, écrit à 80 ans, sur insistance de ses 2 filles, Micheline et Marie-Hélène. Elle précise que ce sont les souvenirs d'un homme âgé "qui n'avait pas envie de tout raconter".

Assia est né en 1903 dans un ménage de Juifs relativement aisés, assimilés et non-pratiquant, qui parlaient Russe à la maison et que rarement le Yiddish.
Il était le 4e de 6 enfants.
Ses débuts n'ont pas été simples : antisémitisme et pogroms, 1re Guerre mondiale, révolution communiste, liquidation de Juifs par les troupes du nationaliste ukrainien, Symon Petlioura (né à Poltova en 1879 et assassiné à Paris en 1926). C'est finalement l'occupation de Rovno par les Polonais, qui l'a incité à fuir vers la Palestine, en l'été 1920, à 17 ans.
Il lui a fallu cependant attendre à Vienne l'automne 1921 et la levée de l'interdiction d'entrée en Palestine.

C'est dans un kibboutz super-primitif qu'Assia s'est installé et où il a vécu 3 ans tout en travaillant très dur dans le bâtiment. En 1924, il a déménagé à Jaffa et continué à travailler dans le bâtiment, mais se rendant compte que sans diplôme il n'arrivera nulle part. Sans parler Français et sans un sou, il s'embarqua en 1928 pour Marseille.

Plein de bonne volonté, il s'inscrivit à l'Ėcole des ponts-et-chaussées, mais il lui fallait d'abord apprendre la langue de Molière et il fera comme il avait fait à Vienne avec l'Allemand (qu'il n'aime pas parler) et l'Hébreu en Palestine, sur le tas en peu de temps. En 1929, il est embauché dans la maroquinerie de M. Padova, qui lui propose la reprise du commerce. Volodia, un pote de Rovno, lui prête de l'argent et à 28 ans, il est chef d'une petite entreprise qui emploie 4 ouvriers.

En 1932, Assia se maria avec Sima (Simone) Moros, 22 ans, dont la famille, originaire de Tcheliabinsk (dans l'Oural), tenait une petite bijouterie. L'an après était né leur premier enfant, la tante Micheline de l'auteure.

En août 1938, Assia et ses 2 plus jeunes frères se sont portés volontaires pour l'armée française. En avril 1940, il a été appelé sous les drapeaux et envoyé en Normandie et, après l'invasion nazie, se trouvait à Saleilles, près de Perpignan. En décembre 1940, il fut arrêté et incarcéré à Romainville, le camp de Drancy et la caserne de Saint-Denis jusqu'en août 1944. Son jeune frère, Samuel (Sasha), fut emprisonné à Pithiviers et en juillet 1942 expédié à Auschwitz.
En novembre 1941, les parents d'Assia et Fanny, sa soeur aînée, furent abattus d'une balle dans la nuque par des soldats des escadrons nazis dans la forêt de Sosenki, à peu de distance de Rovno.
L'auteure note, à la page 163 : "Après, Assia ne fut plus jamais le même."

Après la guerre, il a rouvert son commerce et travaillé consciencieusement jusqu'à l'âge de 80 ans. En 1947, sa 2e fille est née, Marie-Hélène, la mère de l'auteure. Sa grand-mère est morte d'un cancer en 1976 et finalement Assia a choisi, à 93 ans, pour mourir la nuit de Noël 1999.

L'ouvrage de Marguerite Bérard m'a beaucoup plu. Il combine la qualité d'écriture avec un dosage savant de l'histoire de son grand-père et de son siècle en mélangeant les moments cruciaux avec des petites anecdotes sélectionnées judicieusement. Son livre est, par ailleurs, illustré par de nombreuses photos inédites.

Pour terminer, je donne les changements de nom de la rue principale de Rovno, comme illustration de l'ouvrage. Au départ c'était la rue "Shossejna" (= de la chaussée), ensuite la rue du 3-Mai pour commémorer la constitution polonaise, par après successivement "Hitlerstraße", rue Stalina et la Leninska. Aujourd'hui, elle porte le nom plus catholique de "Soborna" ou de la cathédrale.
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Assia (diminutif de Manasseh) Bat Genstein, né en 1903 à Rovno (Ukraine) est mort à Paris le lendemain de la Noël 1999. C'est le grand-père de Marguerite, l'auteur de cette histoire de toute une famille à travers l'Europe en folie. Une histoire de résilience, un parcours semé de pogroms, d'exils, d'adaptations à de nouvelles langues, de nouvelles cultures et d'enracinement dans un pays choisi.
Pour Assia, force de la nature ayant toujours peur de manquer mais tellement séduisant, allant toujours de l'avant malgré les drames dus à l'antisémitisme et la guerre, les invasions, le régime totalitaire soviétique, « l'éducation était la seule chose qui comptait car la seule chose qu'on pouvait emporter avec soi s'il fallait partir rapidement ». Il en savait quelque chose ...
Ce récit familial m'a particulièrement émue. J'y ai découvert des foules de points communs avec ma propre saga familiale : cette jeune femme a décidé de publier le récit que son grand-père avait écrit à l'âge de 80 ans, exactement comme j'ai retranscrit jadis le récit de mon père pour que son souvenir demeure.
D'autres points communs : malgré sept années de plus – mon père était de 1910 - Assia s'est marié avec Sima en janvier 1932, quelques jours seulement après le mariage de mes parents. Ils ont eu deux filles avec une grande différence d'âge. La plus jeune, Marie-Hélène, est née en 1947, quelques mois après ma naissance …
Et cette femme, mon mari l'a connue, a travaillé avec elle – ou plus exactement contre elle car c'est une nature forte. .. Je la comprends mieux aujourd'hui en lisant l'histoire de sa famille.
C'est aussi l'histoire d'une dynastie fondée sur le travail, un symbole de la méritocratie républicaine : Assia a réussi à intégrer le Gymnasium, pas évident pour le rejeton d'une famille juive, il a obtenu son diplôme de fin d'études, mais à 17 ans il décide de s'embarquer comme « haloutz », pionnier pour construire Tel-Aviv, puis il émigre en France dans les années 20 et devient patron d'un atelier artisanal de parage de peaux à façon, à Belleville. Il avait fui l'invasion polonaise en Ukraine pour retrouver l'occupation allemande en 1940, il s'engage dans une armée rapidement en déroute avec deux de ses frères. L'un d'eux, héros de guerre, n'en sera pas moins déporté et assassiné, comme ses parents et sa soeur restés en Ukraine…
Assia n'est pas particulièrement religieux et il conservera toute sa vie son fort accent russe. Il a adopté la France comme elle l'a adopté. C'est par l'éducation de ses enfants qu'il lui a rendu ce que la France lui a donné : par modestie, l'auteur ne parle pas de la réussite éclatante de sa mère, énarque, mariée à un énarque, ni la sienne, sortie major de l'ENA, elle aussi mariée à un énarque, aujourd'hui dirigeante au plus haut niveau d'une grande banque française.
Une histoire de famille, exemplaire … n'oublions jamais.
Lien : http://www.bigmammy.fr/archi..
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" le 5 Novembre 1941, par voie d'affiches, les occupants ordonnèrent aux Juifs dépourvus d'un permis de travail de se rassembler deux jours plus tard sur la place de la Cathédrale afin d'être "relocalisés". Comme vingt-trois mille cinq cents autres Juifs de la ville, dont six mille enfants, le vendredi, dès 6 heures du matin, Simon, Fanny et Maria se présentèrent place Grabnik, dans le froid intense et la neige.
Que savaient-ils exactement de ce qui les attendait ? (...)
Les Allemands, appuyés par la milice ukrainienne, bouclèrent la place, hurlant au mégaphone. (...)
Tous étaient obligés de se déshabiller entièrement, de placer leurs vêtements chauds dans des caisses, et les autre vêtements dans d'autres caisses. Il en était de même des objets de prix qui avaient été dissimulés sur la grande place.
Les Juifs étaient ensuite conduits, par groupes de quinze, jusqu'aux fosses, où on leur ordonnait de se tenir au bord. (...)
Très peu en réchappèrent." .
Il y a des périodes de l'Histoire qu'il ne faut surtout pas oublier. .
Un témoignage de plus est toujours le bienvenu... D'autant plus que les survivants à cet atroce génocide disparaissent petit à petit... Nous aurons des mémoriaux, des lieux ineffaçable, des films, des interviews. Et des livres. Des témoignages. Familiaux. de nombreuses personnes, survivantes ou bien descendantes, ont eu l'envie, la nécessité de coucher sur papier cette innommable épreuve. J'utilise le mot « épreuve » mais je suis très loin du compte... Je n'arrive pas à trouver le mot juste.
Un récit sobre et efficace. Marguerite Bérard se plonge dans les écrits de son grand père, interroge sa mère, retrace les liens entre les différentes familles pour obtenir des informations sur ce siècle de vie.
Une vie de migration. Quitter son village et sa famille pour la Palestine en passant par Vienne, puis débarquer à Paris pour s'engager dans l'armée française. Survivre à ces deux guerres.
Un témoignage sans pathos, très simple. Ni romancé, ni enrobé. La distance m'a perturbé au départ mais finalement le récit est brut et tant mieux !
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Un très beau livre. L'histoire personnelle du grand-père rencontre celle du Siècle. J'ai beaucoup apprécié cette errance du personnage bousculé par les drames d'une Europe en pleins tourments. le roman est écrit avec tendresse mais sans mièvrerie. de plus, il est servi par une belle plume. Merci à Flammarion de nous avoir permis de le découvrir.
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Une mère beurre une tartine pour son petit garçon, qui la fait tomber. Celle-ci, miraculeusement, tombe du côté non beurré. La mère y voit un signe et se précipite chez le rabbin pour qu'il l'interprète. Le rabbin lui demande de revenir une semaine plus tard ; il s'enferme pour lire le Talmud et réfléchir. Au bout de 8 jours, la mère revient et obtient sa réponse : "Tu avais beurré la tartine du mauvais côté ".

Blague favorite d'Assia Genstein, le grand-père de l'auteure.

(page 16).
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L'interview de Marguerite Bérard du 08/03/2019
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