Alain Cadéo dont j'ai lu beaucoup d'oeuvres, que je connais personnellement, qui est un ami, un frère de coeur, m'a transmis ces
Lettres en vie, le dimanche 11 octobre, à l'occasion de nos retrouvailles à la pizzeria du Colombier au Revest, en compagnie de Martine. Annoncées depuis le printemps, j'attendais la parution de ces Lettres d'autant plus qu'il m'avait proposé de vivre éventuellement cette expérience d'accompagnement. Cela ne s'est pas fait.
Cet ensemble de lettres et de peintures (car
Michel Cadéo, le frère cadet d'Alain est peintre et il a rendu compte de ses rencontres avec les patients au travers de portraits et de paysages-voyages oniriques) est une oeuvre d'humanité dans le sens où les deux frères (solides et mystérieux comme leurs confrères rochers au large des Sablettes à La Seyne) et les soignants font preuve d'humanité envers les patients. Faire preuve d'humanité, c'est voir l'humanité de l'autre même très diminué, parce que très diminué, parce que se dévalorisant, s'isolant. Faire preuve d'humanité c'est le reconnaître comme corps-esprit-âme, c'est l'accompagner avec bienveillance, bien-traitance, le soutenir dans ses essais de rester humain, digne, propre, coquet. C'est l'énergiser, lui redonner accès à ses désirs et rêves, à son enfant intérieur retrouvé. C'est l'esprit « soins palliatifs » tel que pratiqué à La Maison à Gardanne, pionnière dans ce domaine : le soin est un art, l'art est un soin selon la formule du docteur Jean-Marc La Piana.
En quoi est-ce un art ? Chaque patient est unique, une personne unique, un être unique et chaque rencontre, chaque moment est unique. Aucun protocole, aucune expérience ne peut préparer au caractère inédit, imprévu de la rencontre. Cela relève du ressenti et de l'intuition, facultés éminemment sensibles, d'un autre niveau que le mental qui juge, supposant un travail sur soi de nature spirituelle. Sans ce travail préalable de nettoyage, de dissolution des carapaces, cintres et panoplies dont nous nous affublons pour paraître, pour jouer le jeu, le jeu social, sans ce travail pour retrouver l'enfant qui est en nous, l'enfant porteur de notre être, il ne semble pas possible de pouvoir se mettre sur la même longueur d'onde que ce patient que je visite.
(aujourd'hui, je suis sensible aux deux enfants que nous portons en nous, l'enfant intérieur, lui-même double, l'enfant blessé car tout enfant connaît, vit un jour ou l'autre des blessures à vie, à vif, enfouies ensuite, l'humiliation par exemple, et l'enfant rêveur avec son jardin secret où il peut se réfugier quand ça tangue ; et l'enfant des étoiles, l'enfant de lumière, venu du ciel, d'en haut, qui nous visite parfois, faisant sentir le mystère de l'Éternité et de l'Infini ; pour donner un exemple, mon enfant intérieur pourrait être Coco, celui qui va au royaume des morts parce que les morts ont peur d'être oubliés et mon enfant de lumière est le petit prince qui apprend à voir avec le seul regard vrai, le regard du coeur),
Ce patient que je visite, le voilà en fin de vie, ne bougeant qu'un pouce, n'ayant qu'un filet de voix, de grosses difficultés respiratoires, des difficultés motrices s'il s'assoit, tente de se lever, de bouger. Par quels canaux va passer la mise en phase : le sourire, le toucher, la tendresse, le regard, l'écoute, la compassion, un récit, une sollicitation, une invite, une première lettre... ? le livre ne témoigne pas de cela.
Les lettres d'Alain sont des portraits personnels des patients rencontrés dans leur intimité et dans leur être (dans la mesure où il s'est révélé). Portraits personnels en ce sens qu'Alain s'y met en jeu avec ses mots, ses images, ses exhortations, ses rejets et sa quête de sens, de beauté, de bonté, de perfection, d'Éternité, de grands espaces terrestres, célestes, de grandes profondeurs et houles océaniques. Portraits d'intimité car quand les patients se racontent, se livrent, se révèlent, on en retrouve trace dans les lettres (pas de détails, juste le parcours, le tracé d'une vie) et portraits faisant émerger l'être, l'enfant retrouvé donnant sens à un dernier acte de vie, par exemple le tableau réalisé par un patient pour le restaurant de sa fille et qui s'en va, le tableau exécuté ou tel autre écrivant un conte pour sa femme. Ces lettres sont des poèmes, elles ont le pouvoir que
Novalis donne à la poésie : La poésie est le réel absolu.
Aux lettres d'Alain qui poussent à vivre la vie jusqu'au bout parce que l'abord est pour certains d'abord réservé, en retrait, mettant en avant le rien qu'on est, la fatigue, l'épuisement, pour d'autres l'abord est d'entrée curieux, ouvert, lettres qui sont de véritables porteuses de lumière et d'énergie (au sens quantique, agissante aux niveaux les plus profonds, infimes), les patients répondent par leur enchantement, leur étonnement d'être reçus, compris, soutenus.
L'équipe s'est aussi mise à l'écriture, médecin, psychomotricienne, psychologues, infirmières, accomplissant non seulement le travail quotidien d'accompagnement, (y compris des patients remarquables, c'est-à-dire à ne pas réanimer), mais s'investissant dans les rencontres du lundi en fonction de leurs disponibilités.
Les 27 oeuvres de
Michel Cadéo, portraits et paysages-voyages oniriques, accompagnant les lettres des uns et des autres (femmes, hommes, pas d'âge donné, sauf exception, pas de milieu d'origine ou de profession exercée) ont sans doute été réalisées après les rencontres sur la base de ce que Michel avait vécu, ressenti, prenant peut-être des croquis.
Le regard dans ces portraits a quelque chose du regard des portraits du Fayoum, d'il y a 2000 ans, l'intensité. Quand le corps est au bord des falaises, des gouffres, seul le regard intérieur, celui porté par le sourire intérieur, sourire de béatitude, peut l'amener ailleurs. Comme l'a si bien dit
G.K. Chesterton : Si les anges volent, c'est parce qu'ils se prennent eux-mêmes, à la légère.
Va jusqu'où tu ne peux pas, ces mots de Kazantzakis sont pour
Alain Cadéo comme un ex-voto, invitant au voyage, de nature spirituelle, c'est-à-dire de dépouillement, de purification, d'élévation. Ce fut la règle de vie de van Gogh : Mourir à soi-même, réaliser de grandes choses, arriver à la Noblesse, dépasser la vulgarité où se traîne l'existence de presque tous les individus… » Il disait aussi que peindre pour lui c'était le moyen de se tirer de la vie.
Ces
Lettres en vie sont un OUI à la Vie.
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