Je lis des polars parce qu'ils me donnent l'illusion d'approcher une face obscure de l'humanité. Alors je crois que je viens de me réconcilier avec le travail de
Michael Connelly :
Deuil Interdit renoue avec l'humanité. Exit Harry Bosch en superman. Dans le précédent volume des aventures de Hiéronymus (
Los Angeles River)(ben oui, j'aime lire les livres d'une série dans l'ordre), j'avais été vraiment déçu par sa nouvelle carrure de surhomme, un super-héros sans super-pouvoir, avec pour krypotnite une gamine de 5 ans. L'histoire rebondissait de performance en exploit, ça donnait au bouquin un petit air du Magnifique, mais en moins drôle.
Dans les volumes précédents, le personnage de Bosch était poignant parce qu'il se dédiait totalement à sa mission, qu'il luttait contre sa hiérarchie envers et contre tout pour aller au bout d'une enquête. Connelly en avait fait un révolté, hanté par son passé, tout juste maitrisable et qui survivait dans un système policier trop imparfait grâce à son incomparable compétence. Sa hiérarchie était l'agréable caricature d'arrivistes sans état d'âme. Ça faisait de bons romans, bien manichéen, avec Bosch en chevalier blanc, éclat de lumière plongeant corps et âmes dans les ténèbres, et malgré tout attachant parce qu'il revenait passablement cabossé de ces descentes aux enfers. Et puis il y avait LA, quasiment un personnage à part entière ; et les médias croqués sans fards dans leur avidité d'information.
Dans
Deuil interdit, Bosch réintègre le LAPD, la police de Los Angeles. On pourrait penser à un simple retour aux sources, mais le changement de décor est finalement profond. Tout semble être au rendez-vous : la ville, fantastique miroir aux alouettes, est bien de retour, les médias barbotent dans l'intrigue, et Bosch, lui, est de retour parmi les humains : il remet son costume élimé de chevalier blanc et engage le corps à corps avec les Ténèbres. le grand changement, c'est sa place dans la police : le révolté fait profil bas, et sa hiérarchie n'est plus si détestable, bref cet à-côté de l'histoire n'est plus aussi obscur, il devient même un peu optimiste, et ce n'est pas désagréable, un peu d'optimisme. Et je ne vous parle pas de l'intrigue, comme toujours redoutable d'efficacité.
Puisque c'est une critique, quelques bémols, quand même : j'ai trouvé que Connelly abuse un peu de la relation de Bosch avec sa fille, comme pour en remettre une couche – un peu tape à l'oeil – sur le côté vulnérable de son personnage. Et puis je l'ai repris en flag de surenchère : et voilà que Bosch a été surfer, brièvement, mais à un sacré niveau puisqu'il allait « rider » dans les tubes, ces grands cylindres liquides que forment les rouleaux dans les meilleurs spots de surf, et qui sont réservés aux meilleurs. Tout ça pour caser la métaphore récurrente du livre : je trouve ça trop cher payé. Et puis il y a la fin un peu trop sentencieuse à mon goût – mais aussi délicieusement hollywoodienne.
Enfin je chipote : ces détails n'empêchent pas que j'ai beaucoup aimé ce bouquin.
J'aime aussi Connelly pour sa manière de glisser dans l'intrigue de petits paragraphes sur le monde de la police et des médias qui ressemblent plus à du journalisme que du roman. Leur côté documentaire me donne l'impression de passer dans le réel, de devenir une sorte d'initié grâce au partage de ces menus secrets.
Reste la question ambiguë qui tourne autour de Bosch : sa mission, retrouver les coupables, est présentée sous un angle qui a quelque chose à voir avec la vengeance ; et pourtant elle paraît souvent plus juste que la justice elle-même. La justice est-elle si mauvaise, qu'on ne puisse avoir foi que dans la police ? Évidemment, là on parle du système judiciaire américain, hein, rien à voir avec le nôtre, hein, bien loin au dessus de tout soupçon, évidemment.