Le concept était intéressant à la base, mais l'ignorance totale des fondamentaux même de
Star Trek manifestée par les auteurs fait rapidement s'effondrer tout l'édifice
J'ai reçu ce livre dans le cadre de l'opération Masse Critique organisée par Babelio. Je remercie les responsables du site, ainsi que les éditions Dunod.
Le concept mis au point par les deux auteurs (dont
Jeanne-A Debats, un nom connu des amateurs de SFFF) était à la base intéressant : départager
Star Trek et Star Wars pour le titre de plus grande saga de SF de tous les temps via un match en 101 rounds, comprenez 101 paragraphes essayant, en un recto (plus une illustration ou un tableau récapitulatif), de comparer les deux oeuvres sur différents thèmes, du plus concret et sérieux au plus futile.
Ceux qui me suivent depuis un certain temps savent que j'ai une règle : je finis toujours un livre commencé. Sauf que toute règle a une exception, et qu'il ne m'a pas fallu plus de 41 pages (sur 220) pour me forger une opinion définitive (et je le dis tout de suite, très négative) sur cet ouvrage. En effet, lorsqu'on a l'ambition de comparer deux sagas, la condition sine qua non est de connaître les deux univers et d'en avoir compris et assimilé les fondamentaux. Il ne m'a hélas pas fallu bien longtemps, en tant que Trekkie chevronné, pour m'apercevoir que les deux auteurs ont une connaissance de l'univers de
Star Trek que je qualifierais de très lacunaire et (très) superficielle, et que (et c'est le plus important) ils n'ont strictement rien compris aux fondamentaux de cet univers.
Mais commençons par le commencement : après une préface d'
Alan Dean Foster (la classe !), et un avant-propos des auteurs (dans lequel ils disent ne pas avoir voulu exprimer leur propre choix dans la question qu'ils posent, ce qui, je le précise immédiatement, est complètement raté -voir plus loin-), on commence tout de suite à enchaîner les questions : Casting, carrière subséquente des acteurs, effets spéciaux, héroïnes, place des femmes, impact sur la vraie science, utilisation de l'archétype de l'orphelin, bénéfices et rentabilité des films, volume capillaire des coiffures, etc, les thèmes abordés sont très variés, à commencer par le côté fondamental ou beaucoup plus sérieux de la chose.
Sur la forme, nous avons droit à des anecdotes (intéressantes), à l'avis, très souvent, de l'auteur (ce qu'il ne fallait surtout pas faire : d'abord parce que ça induit une partialité, ensuite parce que ça peut orienter l'attribution du point vers une des deux sagas en influençant le lecteur : je conseille donc d'en lire assez pour deviner le thème de la question, d'attribuer le point en fonction de son opinion personnelle, puis éventuellement de lire la suite), et à un ton volontiers humoristique, gouailleur et goguenard, auquel je n'ai personnellement pas du tout accroché (non pas que j'ai quelque chose contre la gouaille, bien au contraire, mais le ton des deux auteurs m'a très rapidement lassé). L'approche qui consistait à ne pas faire du livre un essai était évidemment pertinente, mais j'estime qu'il y a des limites à ne pas franchir tout de même dans le sens inverse.
J'ajoute que, parfois, les auteurs ont des affirmations péremptoires qui soit laissent pour le moins dubitatif, soit sont l'occasion d'une franche hilarité tant elles sont grotesques : un exemple ? « Tout récit est initiatique ». Mais oui, bien sûr, c'est d'ailleurs pour ça qu'on distingue les romans initiatiques des autres…
- Mon premier problème avec ce livre
A ce stade de ma lecture, j'ai déjà (outre le problème de partialité expliqué plus haut) un premier souci avec ce livre : celui de la pertinence de certaines questions. Un exemple : la comparaison de l'argent rapporté (et plus généralement, de la rentabilité économique) par les films Star Wars par rapport aux films
Star Trek. Comme vous le savez ou vous en doutez probablement, une telle comparaison est ridicule : il est évident que la franchise
Star Trek n'a pas fait le gros de ses bénéfices sur les films, et tout le monde sait à quel point la plupart des Star Wars ont été d'énormes pompes à fric. Bref, il aurait été bien plus pertinent d'évaluer l'impact financier global des deux franchises, en prenant en compte films, séries et produits dérivés : nul doute que le match aurait alors été plus équilibré, et la question bien plus pertinente.
Plus généralement, je trouve que certaines questions sont mal posées, ou, pire, relèvent de thématiques où il ne peut pas y avoir (objectivement parlant) match entre les deux franchises : qui peut nier, par exemple, que le casting du premier Star Wars, ou celui de la seconde trilogie (
Christopher Lee, etc) est sans commune mesure avec celui, composé d'inconnus, de la série
Star Trek Originale ?
Ce qui me conduit à une remarque connexe et, à mon sens, nettement plus préoccupante : je voyais, en comptant les points, Star Wars monter beaucoup plus vite que
Star Trek ; or sur la foi d'arguments rationnels que je ne vais pas développer mais qui existent bel et bien (à commencer par la profondeur des thématiques et questionnements humanistes générés), j'ai toujours trouvé
Star Trek incomparablement supérieur au très manichéen et superficiel (pour ne pas dire pipi-caca) Star Wars. Ma remarque est donc la suivante : en orientant les thématiques des questions, en orientant le choix du lecteur en instillant le leur (ce qu'ils n'étaient pas censés faire, mais passons…) et surtout en donnant le même poids (1 point) à des questions futiles par rapport à d'autres qui ont beaucoup plus de sens dans la comparaison de l'intérêt sur le plan SF des deux oeuvres, Olivier Cotte et
Jeanne-A Debats construisent un dispositif comparatif qui n'a en fait que peu de sens.
Un exemple : je ne pense pas que la profondeur des questionnements éthiques et moraux qu'on retrouve dans la plupart des épisodes de The Next Generation soient ne serait-ce qu'approchés dans n'importe quel film Star Wars, où tout se résume au combat bien / mal, jedi / sith, côté lumineux / côté obscur, et ainsi de suite, bref à des questionnements manichéens dépourvus de toute nuance ou subtilité, de tout dilemme ou quasiment. Comment placer ce point précis, par exemple, sur le même plan que le casting, le volume capillaire des coiffures féminines ou le côté Kitsch des décors ?
- Mon deuxième (gros) problème avec ce livre
A ce stade, j'étais dubitatif, mais poursuivais tout de même ma lecture. Jusqu'à ce que je commence à tomber sur des signes de plus en plus nets que les auteurs n'avaient qu'une connaissance très lacunaire et hautement superficielle de l'univers
Star Trek. En tout cas beaucoup trop pour avoir l'ambition d'écrire un livre dessus.
Cela a commencé par des choses anecdotiques (le commandant Picard : trouvez-moi un seul film ou épisode de série où ce bon vieux Jean-Luc est appelé Commandant et pas Capitaine, ça m'intéresse beaucoup…) mais ça s'est rapidement transformé en points nettement plus préoccupants. Un exemple ? le chapitre sur la place de la femme dans les deux sagas assène que les femmes ne sont pas jugées assez intéressantes pour incarner une antagoniste de premier plan dans
Star Trek. Ce à quoi j'ai envie de répondre : et la Reine Borg, c'est du nougat ? Si elle n'est pas un antagoniste de tout premier plan, à la fois dans Voyager et Premier contact, personnellement je ne sais pas ce que c'est… D'où le fait que je m'interroge : quelle est exactement le pourcentage de films et de séries
Star Trek que les deux auteurs ont personnellement visionné ? Visiblement, pas grand-chose.
A ce stade, la crédibilité des deux compères était déjà sérieusement entamée à mes yeux, jusqu'à ce que survienne le coup-de-grâce (et par là-même l'arrêt de ma lecture), p 41 : selon les auteurs, dans
Star Trek l'aspiration individuelle est moindre que dans Star Wars, on la joue collectif puisqu'on est militaires. Cette phrase peut paraître anodine, mais elle est en fait extrêmement lourde de sens : elle montre clairement l'abîme d'ignorance et d'incompréhension totale des deux auteurs concernant l'univers de
Star Trek. Pourquoi ça ? La réponse est très simple, et double. D'abord, on ne coopère pas parce qu'on est « obligé », hiérarchie militaire oblige, mais parce que la civilisation a évolué et mis en exergue les valeurs d'entraide, de coopération, d'altruisme, de paix, plutôt que d'individualisme, d'agression et d'opposition. C'est un complet changement de paradigme du comportement humain à côté duquel les deux auteurs sont passés complètement à côté.
Ensuite, Starfleet n'est PAS et n'a jamais été une organisation militaire : c'est un corps d'exploration, à but scientifique et diplomatique, et ayant éventuellement un rôle très secondaire de défense. Point. J'en veux pour preuve ces déclarations de protagonistes de tout premier plan de la saga
Star Trek qu'on trouve sur Memory Alpha (la bible de référence de tout Trekkie) :
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Gene Roddenberry était, de son vivant, catégorique sur le fait que Starfleet n'était pas une organisation de type militaire ni à but militaire. Elle a certes un rôle défensif, mais n'est pas plus militarisée, selon lui, que les Gardes-Côtes US.
*
Nichelle Nichols (= Uhura dans la série originale) a déclaré que dépeindre Starfleet comme une organisation militaire est un contre-sens absolu à tout ce que
Star Trek représente, et que si Starfleet est le descendant d'une organisation de notre époque, c'est celui de la NASA et pas de l'US Air Force.
* le Capitaine Picard déclare dans le 21ème épisode de la saison 2 : « Starfleet n'est pas une organisation militaire, sa mission est d'explorer ».
Bref, difficile de faire plus clair… J'ajoute que si Starfleet était réellement une organisation militaire, toute l'intrigue d'Into Darkness (y compris les objections de Mr Scott à accomplir « une mission militaire ») s'effondrerait.
A ce stade de ma lecture, mon opinion était faîte : les deux auteurs ne savent absolument pas de quoi ils parlent concernant
Star Trek. A partir de là, il m'a paru complètement inutile de poursuivre ma lecture, vu que je ne voyais pas ce que pouvait m'apporter un livre construit comme un château avec des fondations bâties sur du sable. Comment comparer
Star Trek et Star Wars si on n'a pas la plus petite idée de quoi on parle réellement concernant le premier ? Comme je vous l'ai démontré, on ne parle pas d'une méconnaissance de points de détails, de pinaillage de Trekkies fanatiques, mais de l'essence, de la base même de cet univers.
- En conclusion
Si l'idée de départ était bonne (comparer
Star Trek et Star Wars en 101 questions allant des plus sérieuses aux plus anecdotiques, voire futiles), de nombreux parti-pris rendent l'édifice instable, et il achève de s'écrouler totalement lorsque l'initié se rend clairement et incontestablement compte que les deux auteurs ne connaissent quasiment rien à
Star Trek et / ou n'en ont pas compris les fondamentaux. Bref, un livre sans aucune utilité, vu qu'il n'est en aucun cas assez solide pour répondre de façon pertinente à la question qu'il pose. On conseillera aux auteurs, la prochaine fois, d'écrire sur un sujet qu'ils maîtrisent réellement.
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