M, écrivaine d'une cinquantaine d'années, s'adresse, par lettres pensons-nous, à un certain
Jeffers, ami et écrivain lui aussi, pour lui relater un épisode de sa vie, dans une temporalité proche du confinement.
Elle s'est installée avec son deuxième mari, Tony, dans une maison située dans une région de marais offrant un paysage enchanteur, en Angleterre peut-être. En emménageant, ils ont découvert une deuxième petite maison cachée,
la dépendance, qu'ils restaurent et décident de transformer en résidence d'artistes. Ils sont bientôt rejoints, au gré des évènements, par sa fille et son compagnon, ainsi que par un artiste peintre L. Ce dernier arrive inopinément avec une jeune et belle créature d'une trentaine d'années, pas invitée et donc attendue.
Vous penserez que nous ne sommes pas loin d'une situation vaudevillesque, décrite comme telle en quatrième de couverture pour attirer le chaland, et bien pas du tout. Les différents personnages annexes ont finalement assez peu d'importance, le coeur du roman étant consacré, d'une part, à la relation entre les deux protagonistes principaux, ceux qui ne sont pas dotés de prénoms, M et L, et d'autre part, à une plongée en apnée dans la psyché tourmentée de la narratrice, sous la forme d'une sorte de flux de conscience, que la genre épistolaire permet.
M, touchée au plus profond d'elle même, lors d'une visite à Paris, par les toiles de l'qui ont joué sur elle un rôle de révélateur, nourrit le rêve, depuis, d'inviter le peintre et de nouer avec lui un lien dont elle ne maîtrise pas vraiment les ressorts. Est-ce une aventure amoureuse ou l'représente-t-il une figure paternelle ?
C'est avant tout la rencontre entre deux créateurs qui ne parviennent pas à s'accorder, à se respecter, et dont les univers mentaux ne peuvent cohabiter, s'encastrer, l'un et l'autre courant le risque de l'envahissement et de l'anéantissement. Ils craignent l'emprise et la prise de contrôle de l'un sur l'autre.
M en proie à un questionnement intérieur taraudant, à des doutes incessants sur son être, sa féminité, sa présence au monde, la maternité, ne parait pas de taille à affronter ce monstre de fatuité. Elle s'interroge inlassablement et métaphysiquement sur son existence, son rapport à la réalité, au réel, à la vérité et cela donne lieu, dans le livre, à certains passages abscons, énigmatiques qui peuvent décourager le lecteur -je me suis posée des questions sur la qualité de la traduction-.
Est-elle si fragile que cela ? N'est-ce pas l'image qu'elle souhaite donner d'elle ? Les autres ne paraissent pas la percevoir ainsi.
Qui sortira vainqueur de ce combat d'égos ? de quelle dépendance parlons-nous dans ce livre ? Ce mot polysémique a été particulièrement bien choisi dans la version française.
On se demande jusqu'au bout de quoi on parle exactement dans
La dépendance, sans que cela ait gêné ma lecture. Les accents woolfiens de plus en plus marqués au fil de l'ouvrage nous donnent un éclairage ; la dernière page également, où l'autrice mentionne sa source d'inspiration et l'origine des deux initiales (Mais chut...).
Rachel Cusk confirme ici, avec son roman à tiroirs, son art de sonder les êtres et les affres de la création artistique, son talent de romancière anglaise digne successeur (pas de féminin en français) des plus grandes, inscrite dans la tradition littéraire britannique.