... Il y a quelques temps, j'ai écrit ici que je préférais les auteurs avec un style, au détriment du contenu, que l'inverse, et j'ai cité Dantec, par rapport à mes lectures d'il y a quelques années. 808 pages de Métacortex après, je ne suis pas sûr d'être toujours d'accord avec moi-même...
Dantec a un style unique, du talent. Mais dans chacun de ses livres, il s'égare dans ses considérations mystiques, théologiques, historiques, géographiques, politiques... Que tout lecteur de son oeuvre connaît, mais qu'il réassène 15 fois par livre jusqu'à ce que ce qui tenait sur 300 pages en fasse 800. C'est infernal...
On a compris : le trauma de la seconde guerre mondiale ne s'est jamais arrêté, le monde vit dans un pacifisme hypocrite, un totalitarisme masqué sous couvert de paix universelle, et la menace islamiste révélée par le 11 septembre finira par emporter l'humanité, qui ne peut être sauvée que par des doubles de lui fantasmés : Derniers flics ultra virils qui cognent et qui lisent les Pères de l'Église, les contre-révolutionnaires ainsi que d'autres de ses idoles. Cela peut être aussi agaçant qu'ils aient perpétuellement des épiphanies proustiennes (du style "Je compris/Il comprit que...") dans n'importe quelles circonstances, même en pleine fusillade ou horreur apocalyptique. Mais vous savez que je ne suis pas très copain avec Marcel, le super-décodeur du réel...
J'aimais bien le parti-pris idéologique qui faisait la singularité de Dantec, qu'on soit d'accord ou pas. Mais il le répète encore et encore et encore... Ses romans, à partir de Villa Vortex (et même avant) ne sont plus que prétexte à l'essai géopolitique, avec son double pour porte-voix. le problème est là. D'autres auteurs font ça,
Ellroy, une de ses idoles, est aussi derrière la quasi-totalité de ses personnages. Sauf qu'on vit ce qui leur arrive, qu'ils ont tous une identité distincte, et que bon sang, il pense à son intrigue avant toute chose.
Métacortex est la suite/reprise de Villa Vortex. Ce dernier qui a beaucoup divisé, m'avait plu, malgré le fait que ce soit un monstre littéraire polar/SF/essai géopolitico-historico-théologique où la fiction a le même rôle de démonstration des propos de Dantec. Il y avait plein de scènes hallucinantes, à Paris, sur Omaha Beach, en Allemagne, etc. Métacortex est censé être "le roman le plus fluide" de Dantec en 2010. Alors...
Cela commence par des scènes impressionnantes marquées par son esprit et sa patte : le naufrage de deux vaisseaux de réfugiés au bord de la côte canadienne futuriste puis l'assassinat de deux flics dans leur bagnole (cette scène est absolument géniale, avec une dilatation du temps digne d'un film de de Palma, et sera reproduite vers la fin). Quel rapport entre les deux me direz-vous? Justement, cette question n'a de cesse de nous hanter ensuite, alors que Dantec semble multiplier les débuts d'intrigue policière sortis de son tiroir, qui devraient être le sujet unique d'un roman qui leur est propre, mais qui n'ont rien à faire ensemble : Tueurs en série pédophiles ET meurtres en série de ces pédophiles, attentats terroristes avortés, nouvelle scène d'arrivée de migrants génialement écrite, émeutes, dérèglement climatique... On ne sait où est le centre du roman, et on a l'impression de lire une suite de passages qui tient à peine avec du scotch. Dantec se mettra justement ensuite à radoter ad infinitum sur le centre, la périphérie, la carte et le territoire, dans des délires géométriques deleuziens qui atteindront leur climax à la fin, avec le repaire des malfrats.
Il s'avère que tout, ou presque, dans le roman, s'explique par un groupe de super vigilantes qui tente de conquérir l'Amérique et la planète par sa justice souterraine. Mais je n'ai pas vraiment compris leur motivation de s'acoquiner avec tous les pédophiles de la Maison Cosworth... On a l'impression qu'il manque des explications. Idem pour le fameux Métacortex, objet technologique Deus Ex Machina qui fait de Paul Verlande, le flic du roman, une sorte d'humain augmenté omnipotent : Jamais l'origine de cet objet ne sera expliquée, alors qu'il l'a pourtant pris aux criminels du livre! Ou alors j'ai loupé quelque chose, et il est normal que dans l'univers christique de Dantec, un gadget capable de tout, fruit divin, surgisse de lui-même... Même chose pour l'apocalypse finale, qui vient comme un cheveu sur la soupe, sans jamais être expliquée.
Le récit des investigations de Verlande est entrecoupé d'un autre récit (le chiffre 2 est très présent dans le roman), celui de son père SS à contrecoeur durant la seconde guerre mondiale. Ces derniers passages m'ennuyaient au début, puis ont fini par beaucoup m'intéresser, il y en a de très réussis, notamment celui dans les tunnels, la traversée de la rivière, l'exécution sommaire de déportés, la fuite après la défaite, etc. On se dit qu'il y aura un rapport à la fin, un lien surprise entre les deux récits. Il y en a plus ou moins un, mais il vaut mieux que j'évite de m'attarder dessus, tant ça fait Deus Ex Machina au-delà de toute cohérence et de vraisemblance technique qui est normalement la base de toute SF...
En somme, il y a des scènes mémorables, où Dantec est très inspiré, d'autres où il ressasse encore et toujours ses mêmes obsessions, et l'ensemble est vraiment très inégal, en plus de faire 400 pages de trop. C'était déjà valable avec Villa Vortex, mais j'avais quand même été séduit. J'ai peut-être vieilli? Il y a des échos assez sympas aux Racines du mal à partir de la deuxième moitié, ainsi qu'à Villa Vortex à d'autres. Dantec dit ne pas faire de plan, et on a une impression désagréable d'inachèvement à la fin. le duo Verlande/Voronine rappelle instantanément Lee Blanchard et Bucky Bleichert dans le Dahlia noir d'
Ellroy, mais jamais les personnages ne sont aussi développés et distincts que chez le grand James... Voronine n'est là que pour représenter la Russie (le face-à-face US/URSS fascine Dantec) et comme faire-valoir des illuminations et de la toute-puissance christique et proustienne de Verlande (et de Dantec). Et puis tous ses personnages parlent tout le temps comme lui, même un nonagénaire, c'est n'importe quoi... Les dialogues d'exposition sont aussi subtils que les armes technologiques badass qu'il met en scène (je loue son inspiration à leur sujet, par contre, et son habituelle fascination - qu'il répudie - pour les armes).
Je suis content de le refermer enfin et de passer à autre chose. Mais je réitère qu'il est dommage qu'un auteur avec un style si singulier, et qui puisse aller aussi loin dans la noirceur, ait gaspillé son talent dans autant de réassertions par centaines de son propos. Il a été une fois comparé à Hugo dans l'excès, et la comparaison m'a paru évidente en lisant Métacortex. Sauf que le grand Victor nous emporte dans des océans d'émotion, quand bien même il a aussi ses passages toujours répétés, ceux où il prêche, ou ses personnages sont lui... Mais ils ne jouent absolument pas dans la même catégorie!