Venir à mon tour m'enfermer dans cette demeure dont la vie paraissait absente, et où tout baignait dans cette atmosphère si confinée et délicate que c'était comme si le moindre souffle allait faire s'envoler, se volatiliser tout ce qui se trouvait là (cette maison où le malheur - l'attente, la crainte puis le souvenir du malheur - ou d'une autre façon que le malheur, cette chose indéfinissable et crépusculaire, cette atmosphère de crainte, d'incertitude et d'inachèvement, avaient imprégné chaque mur, chaque objet, tandis que peu à peu et comme si c'eût été normal, tout le reste avait cédé du terrain, reculé comme devant l'ennemi sur un champ de bataille tout un front d'armée, pour un jour ne plus laisser place qu'à ce qui y était permis, adapté au terrain en quelque sorte comme les végétaux qui ne poussent que dans certaines conditions - car n'était-ce pas cela, n'était-ce pas dans des demeures et des familles comme celles-là que se cultivaient les espoirs déçus et les chagrins, les renoncements et les vastes gâchis?) chaque jour mettre mes pas dans les leurs, refaire étape par étape le chemin parcouru jusqu'à entrevoir parfois au passage ce qu'elles n'avaient ni vu ni seulement soupçonné, comprendre un jour l'incroyable et lente progression de ce qui allait devenir leur destin, n'était pas exempt de danger : pire qu'une obsession ou un ressassement, l'irrésistible avancée dans ce qui, croyais-je, avait été leurs pensées, leurs espoirs et leurs craintes, n'allait-elle pas à mon tour m'en révéler la fascinante et redoutable attraction ?
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