Jean-Paul Dubois est un gaucher contrarié. Il est de cette époque pas si lointaine où l'Ecole interdisait aux enfants gauchers d'exprimer leur préférence latérale et les obligeait à devenir droitiers. Comme tout le monde. Parce que c'est comme ça.
Jean-Paul Dubois revient sur cette particularité physique qui oblige une minorité à vivre en inadéquation avec le monde qui l'entoure. L'exemple des ciseaux a été, longtemps, l'exemple phare (mais maintenant il en existe pour gauchers !) mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. Que dire du levier de vitesse à droite, du mètre de couturière, des couteaux économes, des tournevis, des fourchettes à gâteaux, de certains becs verseurs, etc. ? A l'envers, forcément, et obligeant les gauchers à se servir de leur main faible - la droite - !
Mais l'auteur ne se borne pas à un inventaire à la
Prévert des objets du quotidien qui se révèlent de vrais casses-têtes pour les gauchers. Il dresse ici un portrait des gauchers - avec un détour par certaines catégories de gauchers qu'il a pu identifier - à travers les âges, en insistant sur cette particularité physique qui rend l'idée même de latéralité bancale et condamne cette minorité à une inadaptation face à la majorité.
Je suis gauchère. C'est un fait. Même pas de parents gauchers (ce qui, d'après
Jean-Paul Dubois, aurait grandement augmenté ma malchance de l'être). Une mère contrariée, sans doute, car trop ambidextre pour être une vraie droitière.
Je suis gauchère, mais de cette génération qui a eu le droit d'exprimer cette différence. Ce qui ne fait pas de moi une personne plus heureuse, juste quelqu'un à l'envers pour beaucoup de choses. Les ciseaux, pour commencer. J'ai dû apprendre de la main droite car les ciseaux pour gauchers n'existaient pas encore. Imaginez le côté pratique de la chose : déjà qu'apprendre à bien couper aux ciseaux en maternelle c'est compliqué... Mais le fait est que j'ai eu la chance, contrairement à l'auteur, de conserver ma main gauche comme main dominante. L'évolution est déjà sensible.
Dénicher par hasard dans la petite librairie de ma ville cet essai de Dubois (repéré lors de sa sortie en grand format) n'a pu rester sans conséquence. J'ai toujours été fasciné par la minorité que représentent les gauchers. Malgré les persécutions et les travers linguistiques que l'on nous assène - passer l'arme à gauche, avoir deux mains gauches, être maladroit, etc. - nous sommes toujours là, au fil des générations. Et toujours plus nombreux d'après l'essai de Dubois. Pourquoi donc les concepteurs d'objets du quotidien (qui semblent tous être droitiers), se bornent-ils à créer des objets uniquement pour les droitiers ? Une question que je me pose quasiment tous les jours... Il y aurait pourtant un credo lucratif pour qui voudrait se pencher sur la question !
Éloge du gaucher est un texte furieusement bien construit. Il nous entraîne au gré de la pensée de Dubois dans des réflexions souvent drôles sur la latéralité et ses caprices. J'ai adoré. Je m'y suis retrouvée. J'ai ri.
A lire si vous êtes gaucher (cela s'appelle du militantisme), à lire si vous êtes droitier (cela s'appelle de l'ouverture d'esprit), à offrir dans tous les cas (cela s'appelle de la générosité).
Merci
Jean-Paul Dubois pour cette analyse de notre condition gauchère !
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