Je me faisais une joie de recevoir l'album de jeunesse "
Le TEMPS, ça dure un peu, beaucoup, énormément" et je remercie d'ailleurs les éditions du Ricochet pour l'envoi de cet ouvrage, et Babelio pour m'avoir sélectionnée pour cette Masse Critique.
Je destinais cette lecture à mes trois petits neveux et nièces de 2 et 3 ans. En ce sens, en tournant très rapidement les pages, il me semblait de prime abord que l'album par son propos et ses illustrations était adapté à cette tranche d'âge.
Cet album s'inscrit dans une collection (dont
Rhéa Dufresne signe les textes) et qui traite de sujets tels que la mort, les mesures,
les émotions, les mots et le corps. On est donc plutôt dans le domaines des albums à visée éducative.
• Sauf que... Dès la 1ère page, je grimace... Une double page, illustrée d'un petit bonhomme aux formes stylisées, accompagné de son chien, trône au milieu d'un tangram (cette forme géométrique découpée en plusieurs figures géométriques elles aussi, et qu'il faut reconstituer une fois les morceaux tous mélangés).
Le texte énonce que
"LE TEMPS,
c'est rapide
c'est lent
ça change
tout
le temps..."
Je suis dubitative. Parce que pour moi, le temps, c'est au contraire une structuration régulière : qu'il fasse nuit ou jour, beau ou mauvais temps, qu'on soit en France ou en Alaska, en 1721 ou en 2021, une heure s'écoule toujours à la même vitesse et une journée dure invariablement 24h.
Bon, ça commence mal, mais je poursuis car c'est peut-être simplement une entrée en matière qui se veut quelque peu... artistique ? Je reste ouverte, car après tout
Paul Eluard lui-même m'expliqua lorsque j'étais enfant que la Terre était
bleue comme une orange ! (Heureusement je ne l'ai pas pris au pied de la lettre !)
• Voilà que sur les pages doubles suivantes apparaissent les secondes. "c'est minuscule. Mais c'est suffisant pour faire un clin d'oeil à Valentine..."
Bon pourquoi pas, c'est un peu anecdotique, mais d'accord. (Flûte, que faire si on ne connait pas de Valentine?)
Mais j'observe un peu plus en détail la page d'illustration : des contours simplifiés de maisons, motifs répétés plusieurs fois, et le chien qui souffle dans un cor, instrument de musique disproportionné par rapport au chien et au petit bonhomme.
Est-ce que c'est moi qui ne comprends pas l'esprit de cet album ? Quelque chose m'échapperait-il? Quel est le rapport entre l'unité de mesure du temps "seconde" et des petites maisons et un cor ?
Je sens l'agacement pointer le bout de son nez... Car j'en ai soupé lorsque j'étais enseignante des ouvrages qui se veulent didactiques mais ne livrent qu'une vision très conceptuelle d'adultes, tronquée de toute forme de réalité, parfois inexacte, car il faut garder à l'esprit que vous, en tant qu'adulte ayant déjà une expérience du monde, avec une représentation que vous vous êtes forgée à force d'y interagir, vous avez déjà une vision de votre environnement et du monde. Vous l'avez testé et éprouvé ce monde qui vous entoure. Vous savez que si vous touchez le four en marche, vous vous brûlerez; vous savez que vous ne pouvez pas partir en sandalettes à l'école au mois de décembre (je sens que certains parents font oui de la tête, petite expérience commune à beaucoup d'entre nous !!), vous savez aussi qu'une minute n'est pas une journée (légère distorsion temporelle entre "aller chercher le pain à la boulangerie à côté" et "partir en vacances en voiture à l'autre bout de la France": dans un seul de ces cas retentit la fatidique question "Quand est-ce qu'on arrive ?" On vient juste de partir ma chérie...)
Bref, le livre est un moyen pour l'enfant qui n'a pas encore testé son environnement de mettre le doigt dessus, par le biais de représentation forcément tronquée puisque sur papier, au lieu d'être vécue. C'est pourquoi dans un ouvrage qui se veut didactique, je privilégie toujours le vecteur de la photo : pour les imagiers par exemple, on ne peut pas se contenter de montrer à un enfant un dessin vaguement stylisé et approximatif. Ça c'est bon pour un adulte qui a déjà la maîtrise du concept, qui connait déjà l'objet représenté.
Donc me voilà arrivée à la mesure "UNE MINUTE": je peux peler une orange et la manger."
Hum hum... Alors, je ne voudrais pas être pénible, mais pour avoir aussi aidé en cantine, je peux témoigner qu'un enfant ne met pas du tout 1 mn à effectuer cette tâche !!! Et intégrer en plus le temps de manger ladite orange dans la minute, c'est vomissements assurés !
Quant à "faire rebondir mon ballon au moins 30 fois en 1 mn"... Non, non, c'est promis juré, pas en petite section, ni moyenne section non plus... À moins d'avoir les neveux de
Michael Jordan en classe, et encore sous Guronsan alors !
Bon, à ce stade là, je passe sur les "TRENTE MINUTES", dont il n'est même pas mentionné que ça équivaut au terme bien plus utilisé de demi-heure.
"UNE HEURE" c'est le temps qu'il faut pour sortir ma peinture et mes pinceaux". Ah bah non, c'est là que c'est drôle, parce que justement pour mettre le bazar et sortir un outil de destruction massive, ça, par contre, vous pouvez leur faire confiance, 2 à 3 mn devraient suffire ! C'est plutôt votre temps de rangement et de nettoyage à vous, après l'apocalypse créative, qui est évaluable en terme d'heure !!!
Je fais l'impasse sur les unités de temps suivantes : la 1/2 journée, la journée, le WE (petit anglicisme, hop, on aurait pu mentionner "la fin de semaine": les jours "Samedi et Dimanche" ne sont même pas nommés. Or pour des enfants de l'âge auquel est adressé cet album, le connaissance des jours de la semaine est primordiale).
La semaine (aucune mention des jours la composant), le mois, les saisons, l'année: tout est abordé de la même façon. Les illustrations sont fantasques et sans rapport avec l'unité abordée, aucun nom de jour, de mois, ou de saison n'est abordé. On est dans le domaine du conceptuel creux.
Et surtout, le pire de tout pour moi, c'est l'absence de ce qui peut permettre à l'enfant de mesurer le temps, notion tellement abstraite : la montre, l'horloge, ou même le téléphone portable (hé oui, je fais partie de ceux qui ont lâché leur montre...) auraient pu être cités.
Bien sûr, les enfants sont trop petits pour s'en servir mais ils peuvent apprendre que ce sont ces outils-là qui nous guident dans la mesure du temps. Et comment avoir oublié le sablier ? Comment ne pas avoir fait référence au soleil et à sa course, élément primordial à l'origine du découpage par journée, année, heure... C'est la base, c'est en s'appuyant sur ces éléments naturels que l'Homme a construit ses repères temporels. Et il est tellement facile de se référer aux temps de la journée qu'un enfant a déjà vécue !
Le pompon pour la fin : l'auteur nous propose de photocopier une page où figure une forme à plier/ couper/ coller, laquelle une fois montée représente le petit bonhomme des illustrations.
Je vous souhaite bien du courage avec vos petits assistants de 3-4 ans car découper des formes aussi fines et précises est déjà une gageure, alors les plier et les coller... Faites comme tout bon parent qui se respecte : faites-le vous-même, ça ira plus vite !! (Y a t-il des gens de mon Club du " Attends, je vais le faire" dans la salle?)
J'aurais adoré vous conseiller cette lecture, mais pour résumer, cet album ne s'appuie pas sur des éléments assez pédagogiques pour être qualifié d'éducatif et n'est pas non plus assez riche pour basculer dans la catégorie "artistique ou poétique". Une déception pour moi, mais 3 étoiles tout de même car, pour peu qu'on y mette le ton, le public des enfants est toujours très réceptif et ça c'est enthousiasmant !