Black

Regardez-le passer, ce bon chevalier de la Graverie, arpentant les rues de Chartres, son chapeau mou sur la tête et sa canne à la main ! Avec son air bonhomme, son ventre rond et son honnête figure joufflue, n'a-t-il pas l'air sympathique, inoffensif, adorablement banal ? Qui croirait que ce petit homme a vécu de grandes aventures ? Qu'il a connu un grand amour tragique, une amitié exceptionnelle et voyagé jusqu'à Tahiti où d'accortes jeunes indigènes se baignaient sous de chaudes cascades et lui adressaient d'indécentes propositions ?

Mais c'était dans son jeune temps. Maintenant, le chevalier est bien fatigué, bien aigri, et il ne rêve que de terminer ses jours en paix dans sa bonne ville de Chartres. Or voici qu'un événement inattendu vient le tirer de sa réconfortante médiocrité. Un bel épagneul, répondant au nom explicite de Black, se prend d'une affection inexplicable pour lui. Il le suit partout, lui fait mille caresses, comme s'il reconnaissait en lui une vieille connaissance longtemps perdue de vue. Après un moment d'incrédulité, le bon chevalier a une révélation : ce chien n'est pas un simple chien... C'est assurément la réincarnation de son excellent ami le capitaine Dumesnil, mort dans de dramatiques circonstances à Tahiti ! Mais que lui veut donc Dumesnil pour revenir ainsi de la tombe lui rendre visite ? Serait-ce en rapport avec cette belle jeune inconnue à qui Black semble également porter un grand attachement ? Et oui, brave chevalier : l'aventure, c'est comme la poisse. C'est quand on l'attend le moins qu'elle revient frapper à votre porte !

Sans les critiques de quelques babeliotes amatrices bien intentionnées, je serais complètement passée à côté de ce roman très méconnu du grand Alexandre Dumas. Et cela aurait été un grand tort. Car si “Black” n'est ni l'oeuvre la plus marquante, ni le plus haletante de Dumas, c'est assurément un petit roman extrêmement sympathique. le romancier y reprend des poncifs romantiques et les détourne habilement pour nous offrir une histoire simple, sans grands rebondissements, mais originale, amusante et vraiment émouvante par moment. Tout le mérite en revient à son personnage principal : mou, angoissé, humble, couard, gourmand, hyper-sensible, d'une douceur et d'une gentillesse ridicules, absolument dépourvu de la moindre qualité virile, le chevalier de la Graverie est l'un des anti-héros les plus adorables qu'il m'ait été donné de découvrir ! A tous les amateurs de héros audacieux et arrogants, Dumas, le grand maître du cape et d'épée apporte cette révélation étonnante : oui, les petits gros trop tendres ont droit aussi à leur chance ! Ils ont le droit d'aimer, de souffrir, de connaître l'amitié… Et même d'accéder au bonheur, ce qu'on leur souhaite ardemment. Un roman délicieux, introuvable en version papier mais gratuit en numérique. A ne bouder sous aucun prétexte.

J'ai lu assez rapidement ce roman de Dumas, plutôt différent de ce que j'aime chez lui, avec des différences de styles, de formes et de thématiques, mais aussi certaines des qualités que j'apprécie tant chez lui.
Il y a d'abord de l'humour, beaucoup d'humour - qui apparaît de façon beaucoup moins marquée dans Monte-Cristo ou dans les Mousquetaires, notamment au début, dans la description du caractère et du physique du personnage principal, Dieudonné. D'ailleurs, j'ai eu l'impression que Dumas s'auto-parodiait : il choisit délibérément un anti-héros, replet, gourmand, douillet, pour lui faire courir les grands chemins et se battre en duel. Il y a même un clin d'oeil aux Mousquetaires - ce ne sont cependant plus les mêmes. Dumas compare lui-même Dieudonné à D Artagnan, en le citant, celui qui ne voulait pas l'être et celui qui rêvait de l'être, celui qui refuse la gloire et la guerre, et celui qui les désire, les recherche et en meurt.
Loin de l'épopée et des personnages historiques donc, plutôt un récit de voyage et un récit initiatique sur le tard. Un récit de voyage qui emmène les personnages à Tahiti, première fois que Dumas nous emmène aussi loin, et ce n'est sans doute pas loin d'être une première dans la littérature française du XIXème siècle. Dans ce décor paradisiaque, l'écriture de Dumas se fait d'ailleurs plus sensuelle qu'à l'ordinaire, et si les Naïades ont la peau plus brune qu'en Grèce, elles n'en sont pas moins des déesses tentatrices pour les hommes...
Dieudonné rejoint les "bons hommes" qui peuplent en arrière-plan les romans de Dumas, du jardinier aimant les fraises tenté par le comte de Monte-Cristo, à Buvat dans le Chevalier d'Harmental, ceux qui tirent le bonheur de plaisirs simples, dans un certain isolement du monde. Et comme Buvat, c'est la paternité, même d'emprunt, qui va transfigurer Dieudonné, au sens quasi religieux. Plus envie de rire de lui à la fin, lui qui est prêt à tout pour sa fille. C'est une belle réflexion sur l'amour paternel ; on sait à quel point il est intense dans tous les romans de Dumas : les liens du coeur sont plus forts que les liens du sang et les pères sont parfois capables de plus d'amour que les mères.
Alors oui, Thérèse est décrite trop superficiellement, les rebondissements liés aux identités des personnages sont plutôt prévisibles, mais il y a une belle histoire d'amitié entre des hommes et un chien, une belle histoire de paternité, de beaux décors et de l'humour. Et tout cela fait tourner les pages très vite. Pas la plus grande oeuvre de Dumas, mais une belle oeuvre qui rend heureux.

Dumas le dit lui-même : il commence son roman par la fin, c'est-à-dire par la rencontre de son personnage principal avec un chien. le chevalier de la Graverie est un paisible épicurien résidant dans la non moins paisible ville de Chartres. Plus porté sur les arts culinaires que sur les mystères ésotériques, il en vient pourtant à croire que cet épagneul qui le suit avec obstination pourrait bien être la réincarnation de son défunt ami le capitaine Dumenil. En se lançant à la recherche du chien, le chevalier va être ramené à un passé douloureux et jeté dans des aventures houleuses.

Ce roman paraît bien singulier dans la bibliographie de Dumas. Ici, point de gascon bretteur ni de ténébreux vengeur mais un bonhomme tout ce qu'il y a de plus bonhomme, le genre de personnage qu'on s'attendrait plutôt à trouver chez Balzac. J'ai eu un peu de mal avec ce personnage mais, au fil de ma lecture, il m'a paru un peu plus attachant car, au-dessus de cet estomac un peu trop distendu, sommeille un coeur sensible et généreux, capable de grands dévouements. Ce roman pourrait sembler n'être qu'un divertissement léger mais Dumas semble y injecter une réflexion morale sur ce qu'est un "homme bon" et même sur le traitement réservé aux femmes, en particulier celles qui n'ont pas la protection d'une famille, d'un nom, d'une fortune. Il le fait dans son style inimitable, où il joue la connivence avec son lecteur pour notre plus grand plaisir.

Un roman finalement bien sympathique à lire. Je le recommanderais aux fans de Dumas et aux autres.

Challenge XIXe siècle (illimité)

Black , disons le tout de suite, est un roman qui m'a enthousiasmée. le héros éponyme est un épagneul noir qui sera le sauveur du personnage principal, le chevalier de la Graverie. Celui ci est réellement le héros du roman, un héros dont Dumas avoue lui-même qu'il n'est pas comme les héros habituel: replet, inquiet, mauvais cavalier, piètre escrimeur, il n'a rien des qualités viriles qui expédiaient les mousquetaires aux quatre coins du royaume pour y chercher les mauvais coups, et rien de l'entêtement de Dantès qui le faisait poursuivre sa vengeance sur des décennies!
Le chevalier pourtant, après être tombé au plus bas pour la raison qui mène le monde chez Dumas, l'amour, sera finalement sauvé de lui-même et de son apathie par un enchaînement d'évènements déclenché par Black, en qui il est persuadé de retrouver son meilleur ami, devenu chien par métempsycose pour continuer de veiller sur lui!

C'est un roman très attachant, triste et drôle tour à tour, un roman qui va de Chartres à Tahiti et est plein de pages superbes, le chevalier est un personnage auquel on s'attache avec force, et Black est définitivement l'un de mes derniers coups de coeur chez cet auteur inépuisable et incroyable.

Dans ce texte assez court, Dumas entremêle les ficelles romanesques les plus classiques à un soupçon de fantastique - un soupçon seulement, dont le lecteur se fera sa propre idée, mais qui suffit à donner beaucoup de relief à l'histoire. Si le fond de celle-ci peut sembler un peu désuète au lecteur moderne, son dénouement un peu trop tissé de bons sentiments, ces défauts d'époque sont largement compensés par le charme des personnages et - surtout ! - la qualité de la narration. du Dumas dans sa meilleure forme, plein de malice et d'esprit, dont la verve entraîne le lecteur d'un bout à l'autre de l'aventure sans jamais le lasser.

Un texte délicieux, à recommander à tous les amateurs de l'auteur, et qui mériterait grandement une réédition en bonne et due forme !