Racontée d'un grand souffle au ras du terrain, dans le regard d'un idiot utile, la mise au pas méthodique du mouvement ouvrier américain entre 1880 et 1920, par la violence, la corruption et la complicité étatique à travers ce qui deviendra le F.B.I. Une épopée sordide et vitale.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/07/20/note-de-lecture-
briseurs-de-greve-valerio-evangelisti/
Publié en 2003, «
Anthracite » racontait notamment comment, du mythe commode de la Frontière américaine, émergeaient entre 1870 et 1877 les premiers grands barons-voleurs, pères fondateurs du débridé et dominateur capitalisme américain, avec leurs hordes dédiées de pistoleros, bientôt encadrées au sein d'agences de détectives ayant pignon sur rue. Fermant le mini-cycle du «
Métal hurlant », inscrit de plain-pied dans le fantastique biscornu, à travers le personnage du tueur à gages et à objectifs personnels Pantera, versé dans les arts magiques du vaudou mexicain, il se rattachait pleinement à la veine hybride entre genres littéraires qu'affectionne tout particulièrement le créateur de la vaste et brûlante saga «
Nicolas Eymerich, inquisiteur ».
Publié en 2004, «
Nous ne sommes rien, soyons tout ! » enjambait cinquante ans des histoires parallèles du capitalisme financiaro-industriel et du mouvement ouvrier américains, pour nous proposer de plonger dans les longs soubresauts d'agonie, entre 1919 et 1960, d'un syndicalisme de combat, gangrené au fil du temps par les abandons et les fatigues, par la suprême adaptabilité de l'adversaire nanti et avide, et peut-être surtout par les tactiques véritablement guerrières déployées par le patronat avec la complicité des pouvoirs publics, en matière d'infiltration, de corruption et de promotion de syndicats « jaunes » favorables avant tout aux intérêts des propriétaires, soubresauts matérialisés par un cheminement aux côtés de l'abject personnage créé pour l'occasion, le fort pourri Eduardo Lombardo.
Publié en 2012, longtemps retardé par le cancer qui occupa fâcheusement
Valerio Evangelisti en 2009 et 2010, enfin traduit en français en novembre 2020, par
Paola de Luca et
Gisèle Toulouzan chez Libertalia, «
Briseurs de grève », pièce maîtresse de ce grand dispositif historique, avec ses 500 pages et ses abondantes notes bibliographiques, comble avec détermination le vaste espace qui séparait 1877 de 1919, en nous offrant de cheminer quarante ans aux côtés de Robert William Coates, ouvrier pauvre, malsain et réactionnaire, devenu, très jeune, infiltrateur professionnel, rémunéré par le patronat et par ses agences de détectives (jusqu'à ce que certaines d'entre elles donnent naissance au très officiel F.B.I.), et dont la vie décharnée, sordide et alcoolisée constitue le fil rouge de ce récit d'une lutte sans merci, conduite avec patience et ressources financières, contre les tentatives des ouvriers et des démunis pour obtenir davantage que le mépris et les miettes des possédants, et tout particulièrement contre l'I.W.W. (le grand syndicat unitaire, la « One Big Union » du titre original italien de l'ouvrage »).
Comme ses amis du collectif
Wu Ming, et selon la formalisation souple adoptée par le New Italian Epic dont il fait de facto partie,
Valerio Evangelisti excelle dans le maniement d'impressionnantes masses de documentation qu'il transforme ensuite en une authentique narration romanesque, apte à rendre au peuple des lectrices et des lecteurs les éléments d'Histoire et les récits occultés par les vainqueurs. En exhumant cette vision d'ensemble, quand bien même elle est traitée au ras du triste destin d'un protagoniste particulier, parmi les matériaux de l'une des plus sanglantes luttes contre les ouvriers jamais menées dans l'histoire mondiale, sur cinquante ans, rappelée aussi notamment (en dehors du formidable travail d'historien d'
Howard Zinn), jadis ou aujourd'hui, par le
Frank Harris de «
La bombe » ou le
Theo Hakola de «
La route du sang », il pratique à merveille l'usage du roman historique en anachronisme créatif, pour nous rappeler encore, s'il en était besoin, à quel point l'avidité capitaliste est un adversaire redoutable, et à quel point la défaite guette les forces de justice sociale dès lors qu'elles se laissent aller à la désunion et à la fragmentation.
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