Dans la vaste littérature de pirates,
Tortuga se distingue par la volonté de déboulonner le mythe romantique hollywoodien et de rendre toute la noirceur de cet univers, en le remettant dans le contexte historique qui lui a donné naissance. A la barbarie hypocrite des européens avides de guerres et de richesses, qui justifient leurs tueries et la pratique de l'esclavagisme par les arguments bien commodes de la religion, répond la sauvagerie décomplexée des pirates, qui pillent et massacrent pour le plaisir, en une vie cyniquement dédiée à la satisfaction de l'instinct mais non dénuée d'un certain sens de l'honneur et de quelques lois étonnament démocratiques. Beaucoup sont de simples brutes mais quelques uns sont bien plus ambigus, tout particulièrement les quelques personnages arrachés à
L Histoire :
Raveneau de Lussan et Exquemelin, les deux médecins de bord, Laurens de Graaf et Michel de Grammont, les deux capitaines. Et, bien entendu, Rogério. Rogério qui n'a rien d'un personnage sympathique : sournois, cruel, hypocrite, à la rigueur pathétique mais au fond surtout médiocre, doté des défauts majeurs de son époque mais ne les relevant d'aucune prestance particulière.
Un personnage principal antipathique, c'est un peu à double tranchant. C'est intéressant, en soi comme dans la logique même de l'histoire, cela contribue à le rendre particulièrement humain et ambigu, mais en même temps, on peine un peu à accrocher à ce qui lui arrive, surtout lorsque sa mise en scène, comme ici, ne va pas assez loin, manque un peu de profondeur et de recherche. Et c'est là l'un des deux défauts majeurs que je trouve à ce roman : les éléments intéressants qu'il met en scène, personnages mais aussi discussions philosophiques esquissées avec de Lussan et Exquemelin, ne vont jamais assez loin et restent du coup un brin simplistes, frustrantes par le potentiel non pleinement exploité qu'elles recèlent, alors que les descriptions, elles, finissent par se faire un brin redondantes.
Autre défaut à mon goût : le style. Non que M.
Evangelisti écrive mal, mais son écriture manque pour moi de relief, de verdeur, de vigueur, vu le sujet abordé. On a des descriptions assez efficaces, des termes d'époque et de marine bien choisis... mais où est le langage des pirates ? Où sont ces jurons, ces blasphèmes qu'on nous présente comme abominables mais qu'on n'entend jamais ? Malgré les viols, les tortures, les flots de sang et de tripes, le langage reste trop lisse pour vraiment nous plonger dans l'ambiance. Et le fait que le personnage principal soit un ancien jésuite, réfractaire à certaines errances de langage, n'excuse rien : ce qui l'effraie tant, on peut bien l'entendre, nous ! Ou serait-ce que l'auteur manque un peu d'imagination ?
Du coup, j'ai suivi la majeure partie de ce roman avec un intérêt certain - dû surtout à la matière historique que l'auteur utilise et détourne - mais sans grand enthousiasme. Jusqu'aux cent dernières pages. Dernières pages qui, elles, sont dignes d'un très bon roman d'aventure, avec une belle ampleur laissée à de Grammont, ce personnage luciférien de loin le plus fascinant de tous et pour le coup assez romantique, que j'ai adoré. Quant au sort final réservé à Rogério et à la belle esclave noire, je ne vous en dirai rien, mais il est extrêmement bien tourné !
Malgré toutes les critiques que j'ai pu formuler, ce final m'a laissé du livre une impression très positive qui m'entraînerait à en conseiller, malgré tout, la lecture...
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